Villes en mouvement

La biopolitique du coronavirus

« Moi, je reste à la maison » dit un habitant de San Piero in Bagno en Italie (Copyright: Il Resto del Carlino)

Il y a quelques décennies, le philosophe Michel Foucault a popularisé le terme de biopolitique pour parler de la gestion des populations par les gouvernements. Ce terme est particulièrement utile pour éclairer la situation actuelle face à l’épidémie Covid-19. On ne comprend en effet pas la diffusion, les taux de mortalité et les enjeux de cette épidémie sans les penser comme des phénomènes biosociaux et biopolitiques.

Un processus biosocial et biopolitique

Il est d’abord important de souligner ce qui devrait être une évidence: une épidémie est un processus biosocial. Le coronavirus c’est un virus ET des modalités de diffusion qui dépendent des formes que prennent nos interactions sociales (dans des foules ou non, rapprochées ou non, etc.). Moins perçu, est le fait que les taux de mortalité du virus sont une question biopolitique. Nous assistons à des débats sans fin ces jours-ci sur le taux de mortalité « réel » de Covid-19, alors que ce taux dépend, d’une part, de la dangerosité du virus, et, d’autre part, de la qualité des systèmes de soin et des politiques de santé publique. Or, ces derniers sont, comme nous le voyons dans l’actualité, très variables géographiquement. Par conséquent, les taux de mortalité comparés entre l’Italie et la Suisse (6% versus 0.6% à ce jour) ne sont pas une indication d’une incertitude sur le taux de mortalité « réel », mais une indication des différences en matière, d’une part, de population de référence testée positive au virus et, d’autre part, de systèmes et de politiques de soin. Ils sont en d’autres termes des effets biopolitiques.

Choix biopolitiques et biosocialité

Enfin, approcher l’épidémie comme une question biopolitique nous conduit à mieux cerner les choix qui s’offrent à nous. Les effets de Covid-19 sont démographiquement et socialement sélectifs: le virus fait plus de victimes chez les personnes les plus âgées et plus pauvres (qui n’ont pas ou peu d’accès au soin). De ce point de vue, le débat très présent dans les médias autant que dans les discussions de bureau et de bistrot quant à savoir si les politiques « sous-réagissent » ou « sur-réagissent » n’a pas beaucoup de sens. L’épidémie va passer, plus ou moins rapidement: on ne le sait pas encore. Mais elle passera. Dans ce contexte, nous pouvons choisir de ne rien faire, ou pas grand chose, sachant que les plus vulnérables (en l’occurrence les personnes âgées et les pauvres), surtout dans les pays les plus inégalitaires et les moins riches paieront l’essentiel de la facture. Ou alors, nous prenons des mesures fortes (ce qui ne veut pas dire autoritaires), précisément en sachant cela, pour permettre aux systèmes de soin de gérer les malades de façon satisfaisante et pour protéger ainsi les plus vulnérables. C’est une question de choix biopolitique. Je suis évidemment, n’ayant pas de grand fantasme misanthrope ou survivaliste, en faveur du second de ces scénarios. À ce titre, il est intéressant et réjouissant de voir comment l’Italie, ce pays dont la population manquerait soi-disant de sens civique, semble accueillir dans sa grande majorité favorablement les politiques drastiques mises en place dans le pays. On y voit se manifester un sens fort de la responsabilité collective autour de l’épidémie ou, ce que certains appellent une « biosocialité ». En ce sens, la gestion du virus peut à la fois nous isoler, en accroissant de façon nécessaire la fameuse distance sociale, mais aussi créer du collectif par le partage de valeurs positives.

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