Inde: Arts & Lettres

Bijoux, femmes et sexualité en littérature: Are diamonds a girl’s best friend?

Dans Les hommes préfèrent les blondes (1953), Marilyn Monroe sous les traits de Lorelei Lee, évoque la fiabilité et la permanence des diamants dans la mythique chanson “Diamonds are a girl’s best friend” (1949):

 

Men grow cold as girls grow old
And we all lose our charms in the end
But square cut or pear shaped
These rocks don’t lose their shape
Diamonds are a girl’s best friend

 

Lorsque les femmes perdent leur beauté et que les hommes s’en vont, les diamants restent à leur côté dans leur beauté éternelle. Ils sont le signe d’un amour passé et forment un gage financier. Ils sont le plus fidèle et le meilleur ami d’une femme.

 

Les diamants et les bijoux en général sont-ils les meilleurs amis des femmes? Comment sont-ils utilisés en littérature? Qu’est-ce qu’ils signifient? Quelle est leur symbolique?

 

Dans de nombreux textes de la littérature classique indienne, il est question de bijoux et d’ornements féminins. Leur fonction symbolique varie, mais ils sont le plus souvent liés à la sexualité et au statut de la femme qui les porte. Au travers des bijoux, il est possible de reconnaître une grande dame, une épouse ou une ascète, dans une fonction plus ou moins parallèle à celle des cheveux ou du vêtement. Dans la narration, ils peuvent aussi bien représenter la chasteté d’une épouse que son infidélité. Ils peuvent signifier la disponibilité sexuelle d’une femme ou représenter une monnaie d’échange.

 

“King Dushyanta proposing marriage with a ring to Shakuntala”, chromolithographie de Ravi Varma (1848-1906); Credit: Wellcome Collection. CC BY; https://wellcomecollection.org/works/w4dkzctx

Parfois, ils sont au centre de la narration comme dans la pièce de théâtre du célèbre poète sanskrit Kalidasa (4ème siècle), Shakuntala au signe de reconnaissance (Abhijñānaśākuntalam), dans laquelle un anneau sert d’objet de mémoire et permet l’identification de l’héroïne comme étant l’épouse du roi.

 

Shakuntala est une jeune femme dont le roi Dushyanta tombe éperdument amoureux un jour qu’il va chasser dans la forêt. Il décide de s’unir à elle et lui offre un anneau gravé à son nom. Peu de temps après, perdue dans ses pensées à rêver de son bien-aimé alors que celui-ci s’en est retourné à sa cour, elle en oublie de procéder aux hommages à un sage de passage. Vexé, celui-ci la maudit et assure que l’homme dont elle rêve perdra son souvenir et qu’il ne le retrouvera qu’à la vue d’un bijou. Enceinte, Shakuntala se met en route pour rejoindre son époux et se présente à la cour. Subjugué à nouveau par sa beauté, le roi ne se souvient pourtant pas de l’avoir épousée:

Solitaires, bien que je m’absorbe en moi-même, je ne me souviens pas d’avoir épousé cette femme. Quand il est visible qu’elle porte un enfant, comment la recevrai-je si je soupçonne qu’alors je ne serais son époux que de nom?[1]

Alors que Shakuntala touche son doigt afin de présenter à son époux l’anneau qu’elle porte, elle réalise avec stupeur que celui-ci n’y est plus. Il a glissé au fond d’un étang alors qu’elle y faisait ses ablutions. Le roi Dushyanta et Shakuntala ne se retrouveront que des années plus tard, alors que le roi reconnaîtra son fils en le voyant jouer. Il s’était souvenu de son amour pour Shakuntala lorsque l’anneau lui fut ramené par un pêcheur qui l’avait trouvé dans le ventre d’un poisson. [2]

 

Dans le Ramayana, dont il a été question dans un précédent article, les bijoux de Sita sont aussi utilisés à plusieurs endroits du récit pour l’identifier en tant qu’épouse de Rama, pour prouver sa fidélité ou pour signaler son enlèvement par Ravana. De même, dans Le Petit chariot de terre cuite (Mṛcchakaṭikā) de Shudraka (3ème siècle), des bijoux sont échangés à plusieurs reprises. Dans Ratnāvalī, pièce attribuée au roi Harsha (7ème siècle), la princesse est identifiée grâce à son collier de perles.[3]

 

La poésie amoureuse, tournée vers la description des émotions du couple, utilise aussi ce symbole. Dans ce poème d’Amaru (7ème siècle), il est question des bracelets que l’épouse reçoit lorsqu’elle se marie et qu’elle ne peut plus porter lorsque son mari s’en va:

Mes bracelets ont pris la route,
Mes larmes, amies chères, me quittent sans arrêt,
Ma fermeté a pris congé,
Mon esprit a choisi de prendre de l’avance,
Mon bien-aimé a décidé de son départ :
Tout fuit en même temps.
Si tu dois t’en aller, ma vie,
Pourquoi perdre l’escorte de tes chers amis?

“Bangles”, Varanasi, 2009; © NC

Au contraire, la jeune femme se pare de tous ses bijoux, lorsqu’elle s’en va rejoindre son bien-aimé:

A ton sein le collier sonne
A ta hanche galbée chantent les rangs de pierres
A ta cheville tintent les anneaux de perles ;
Si tu vas chez l’amant en frappant le tambour,
Innocente, à quoi bon jeter alentour
Ces regards effrayés?[4]

 

Selon les prescriptions adressées à l’épouse dans le livre 4 du Kamasutra (4ème siècle), celle-ci doit en effet laisser de côté et ne plus porter certains de ses bijoux lorsque son mari est absent:

Quand il est parti en voyage, elle ne porte que des bijoux qui ont une signification et un pouvoir religieux,
se voue à des jeûnes dédiés aux dieux, attend des nouvelles et gère la maisonnée. [5]

 

[1] Citation (p. 1120) tirée de “Śakuntalā au signe de reconnaissance”, in Théâtre de l’Inde ancienne, sous la direction de Lyne Bansat-Boudon, Paris : Editions Gallimard, 2006, p. 1061-1157.

[2] Cette histoire et de nombreux autres mythes orientaux et occidentaux, anciens et modernes, impliquant des bijoux sont analysés dans l’ouvrage de l’historienne des religions Wendy Doniger, The Ring of Truth and Other Myths of Sex and Jewelry, New York : Oxford University Press, 2017. Cet article est partiellement basé sur cette brillante étude.

[3] Ces deux pièces de théâtre sont également traduites dans Théâtre de l’Inde ancienne.

[4] Poèmes tirés de Amaru. La Centurie. Poèmes amoureux de l’Inde ancienne, traduit par Alain Rebière, Paris : Gallimard, 1993, p. 39 et 37.

[5] Extrait tiré de Kâmasûtra, de Wendy Doniger et Sudhir Kakar (traduit en français par Alain Porte), Paris : Editons du Seuil, 2007, p. 254.

 

Image du bandeau: https://www.youtube.com/watch?v=bfsnebJd-BI

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