Affaire Maudet: ce que va changer la décision du Tribunal fédéral

Dans un arrêt du 31 octobre 2022 (6B_220/2022) rendu public le 16 novembre 2022, le Tribunal fédéral annule l’acquittement de Pierre Maudet du chef d’acceptation d’un avantage en lien avec le voyage à Abou Dhabi de ce dernier et prend ainsi le contre-pied de la position exprimée par la Cour de Justice genevoise. Les précisions juridiques apportées par les juges de Mon-Repos dans cet arrêt pourraient faciliter à l’avenir la condamnation d’agents publics pour acceptation d’un avantage, repectivement celle de tiers pour octroi d’un avantage.

Rappelons que les éléments constitutifs de l’infraction d’acceptation d’un avantage au sens de l’art. 322 sexies du code pénal, dans sa teneur à l’époque des faits (2015) et jusqu’au 30 juin 2016, étaient les suivants :

  • un agent public (notamment un fonctionnaire)
  • qui sollicite, se fasse promettre ou accepte
  • un avantage indu (soit un avantage auquel l’agent public ne peut prétendre sur une base juridique et qu’il n’a pas le droit d’accepter étant précisé que des avantages autorisés par règlement ou convenus par contrat ou encore de faible importance et conformes aux usages sociaux ne sont pas considérés comme indus)
  • pour accomplir les devoir de sa charge
  • et cela intentionnellement (élément constitutif subjectif).

C’est ainsi à ces conditions, et uniquement si celles-ci sont toutes réunies, qu’une condamnation pénale peut intervenir du chef de cette infraction.

L’infraction d’octroi d’un avantage au sens de l’art. 322 quinquies permet quant à elle de punir quiconque offre, promet ou octroie un avantage indu à un agent public pour qu’il accomplisse les devoirs de sa charge.

Notons au passage que le champ d’application de ces infractions a désormais été élargi, depuis le 1er juillet 2016 au cas où l’avantage indu profite à un tiers et pas seulement à l’agent public concerné.

Aucune nécessité de parallélisme

La Cour de Justice de la République et canton de Genève avait certes admis que ce voyage d’une valeur estimée à 50’000 francs constituait un avantage indu accepté par Pierre Maudet, mais avait acquitté cet agent public au motif qu’il n’était pas établi que la Couronne d’Abu Dhabi avait octroyé l’avantage dans la perspective que le Conseiller d’Etat accomplit les devoirs de sa charge. Raisonnement erroné, expliquent les juges de Mon-Repos, car aucun parallélisme n’est nécessaire entre l’illicéité de l’octroi de l’avantage indu et celle de son acceptation par l’agent public.

En d’autres termes : un agent public peut être reconnu coupable d’acceptation d’un avantage indépendamment de la question de savoir si celui qui a octroyé l’avantage en question peut ou non être reconnu coupable d’octroi d’un avantage. Les infractions d’octroi d’un avantage et d’acceptation d’un avantage sont indépendantes l’une de l’autre au point que l’on peut envisager des configurations où seul l’agent public sera punissables, ou des configurations dans lesquelles seul le tiers sera punissable.

Finalité non décisive

Sur le plan de l’intention, nécessaire pour qu’une condamnation pénale intervienne, il convient de s’attacher exclusivement à ce que le fonctionnaire avait en tête. A cet égard, il suffit donc que l’agent public s’accommode du fait que l’avantage indu lui soit remis ès qualité pour l’influencer dans l’exercice de ses fonctions officielles. La finalité visée par celui qui octroie l’avantage n’est pas décisive. ll est également sans importance que l’agent public ait réellement l’intention ou non d’adopter le comportement attendu de lui. Ainsi, le fait pour le fonctionnaire d’être imperméable aux tentatives d’influences ne permet pas d’exclure qu’il se soit rendu coupable de l’infraction pénale.

Ces précisions s’appliquent à tous les agents publics, à savoir aux fonctionnaires, membres d’une autorité judiciaire, experts, traducteurs ou interprètes commis par une autorité arbitre, ou militaire.

La porté des infractions d’octroi d’un avantage (art. 322 quinquies CP) et d’acceptation d’un avantage (art. 322 sexies CP) est ainsi précisée. Elle est plus large que ce qu’avait jugé la Cour cantonale genevoise. L’avenir dira si cette jurisprudence du Tribunal fédéral se traduira par de plus fréquentes condamnations du chef de ces infractions. C’est probable.

En effet, il est désormais clair qu’en matière d’acceptation d’un avantage, les intentions de celui qui octroie l’avantage indu ne sont pas déterminantes. Il suffira dont à l’accusation de prouver l’intention de celui qui accepte l’avantage pour obtenir une condamnation (pour autant bien sûr que les autres éléments constitutifs de l’infraction soient réalisés). A l’inverse, s’agissant de l’infraction d’octroi d’un avantage, les intentions de celui qui accepte l’avantage n’étant pas déterminantes, de sorte qu’il suffira à l’accusation d’établir celles de celui qui octroie l’avantage indu.

Mon intervention à Forum jeudi soir sur ce sujet :
https://www.rts.ch/play/tv/redirect/detail/13550456

 

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Mise à jour du 9 mars 2023

Quatre mois après l’arrêt du Tribunal fédéral rendu le 31 octobre 2023 dans l’affaire Maudet – qu’il est permis de voir comme l’expression de la volonté que la norme pénale réprimant l’acceptation d’un avantage ne reste pas lettre morte – le Ministère public valaisan a confirmé le 2 mars 2023 avoir ordonné des investigations policières s’agissant des abonnements de ski offerts ou vendus à bas prix aux élus.

Affaire à suivre…

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

16 réponses à “Affaire Maudet: ce que va changer la décision du Tribunal fédéral

  1. Les conventions de diligences des banques permettent à une personne politiquement exposée condamnée pour acceptation d’un avantage (=corruption, selon la terminologie bancaire?) de disposer d’un compte bancaire pour faire des appels aux dons ?

    Et est-ce que les juges peuvent appliquer l’art. 67 al. 1 CP et lui interdire une activité politique ??

      1. Pas une activité politique comme une autre. Il peut exprimer son opinion, intégrer un législatif, etc.

        Mais pourquoi lui permettre de se représenter devant le peuple pour un poste de Conseiller d’Etat alors que le TF l’a reconnu coupable d’acceptation d’un avantage???

        La démocratie doit se protéger d’elle-même.

        1. Il est extrêmement délicat de 1. Revenir sur un acquittement complet dans un fédéralisme qui se tient. 2. Condamner la prise d’un avantage sans contrepartie définie quand on refuse de murmurer sur qui. 3. Lever les droits politiques sur quelqu’un qui a la confiance du Peuple (même si je suis moi-même dans un rare cas où c’est justifié de lever vote et éligibilité car bloquée sur les intérêts militaires)

          1. Le TF a parlé et dit le droit.
            Dans un fédéralisme “qui se tient”, c’est son rôle de veiller à une application correcte et uniforme du droit.

            2. Il faut des mécanismes pour protéger la démocratie d’elle-même. La tyrannie de la majorité, sans état de droit, conduit à la ruine de la démocratie.

            Je n’ai rien compris à votre 3. Vous êtes privée de vos droits civiques ?

          2. Vous avez oublié “1.” Donc je vous le signale. Rendre le droit c’est aussi écouter sa conscience, je ne m’exprime pas sous un pseudo. Relisez le 3. Il s’agit des droits politiques car retenant les conneries de l’Amérique vivotant sous un plan total américaine. Donc je vous serais grée de me lire jusqu’au bout, aussi sous les archives ouvertes de l’Unige si c’est pas trop long évidemment.

  2. Le TF s’est substitué au législateur en réinventant une loi qui n’existait pas. Jusqu’ici “recevoir” était punissable en cas de contrepartie. La beauté de cette jurisprudence est que les parlementaires fédéraux seront punis dès qu’ils recevront de l’argent des entreprises, j’espère.

      1. Si les juges de la cour pénale genevoise n’avaient pas interprété correctement l’applicabilité de l’art. 322, cela veut dire que la loi n’est pas claire, et le TF a imposé sa propre interprétation en tant qu’autorité supérieure.

        1. C’est le rôle du TF.
          L’absence de jurisprudence ne signifie pas que la règle de droit n’était pas prévisible. Et des jugements cassés par le TF signifient, quand ils sont trop fréquents, qu’il existe un problème dans la sélection et la qualification des juges de la Cour de justice….

          C’est par ailleurs connu à Genève que les meilleurs juges sont en première instance, et la cour d’appel … une cour des miracles.

  3. Ce serait le moment de passer au peigne fin toutes les situations où, dans les 10 dernières années des hommes politiques et/où surtout des fonctionnaires de l’OFSP, des médecins cantonaux, des pharmaciens cantonaux ont accepté des avanatges (voyages, invitations à des congrès avec voyages payés, etc.) de l’industrie pharmaceutique, créant une situation de dépendance, ou un sentiment d’être redevable, une complaisance et une connivence, ce qui a eu pour conséquence la scandaleuse prise en otage de la population suisse dans son ensemble, la suspension des libertés individuelles, des abus de pouvoir innombrables, une mise en danger de la vie humaine par vaccination forcée avec refus de soigner, la création d’une société à deux vitesses, bref le cauchemar civique que nous avons subi lors de la crise covid, toujours dans l’avantage exclusif de l’industrie pharmaceutique.

    Et après avoir procédé à ces enquêtes il faudra que des sanctions exemplaires soient prises, sous la forme de la mise à pied immédiate et sans indemnité des coupables s’ils sont fonctionnaires, de lourdes amendes et d’interdictions professionnelles pour les autres (membres de la task force notamment), sans exclure bien entendu la responsabilité pénale et civile des uns et des autres pour les dommages causés aux victimes.

    1. Mme Mazou vous a répondu dans Forum.

      https://www.rts.ch/play/tv/forum/video/acquittement-de-pierre-maudet-annule-interview-de-miriam-mazou?urn=urn:rts:video:13550456

      Et le TF écrit:”Cette disposition énonce deux hypothèses dans lesquelles l’avantage n’est pas indu, rendant la corruption atypique. Il s’agit, en premier lieu, des avantages autorisés par le règlement ou convenus par contrat (art. 322decies al. 1 let. a CP). En matière de corruption publique, l’hypothèse la plus commune est à cet égard celle d’un texte normatif, définissant les avantages susceptibles d’être acceptés par l’agent public. En second lieu, l’art. 322decies al. 1 let. b CP considère que ne sont pas indus les avantages qui sont de faible importance et conformes aux usages sociaux. A titre d’exemples, il peut être songé, selon le Message de 1999, au bouquet de fleurs offert au personnel soignant ou aux étrennes du facteur, qui ne servent à l’octroyant qu’à exprimer sa gratitude.”

      + sont exclus les cadeaux donnés ou reçus dans un contexte privé.

  4. Les avantages en détail ne peuvent pas être définis dans un texte normatif qui défini les normes et non les choses, ce n’est pas pour Pierre Maudet.

  5. On me laissera donc sur une repartie sans réponse puisque me mentionnant tuable par la CIA. Je voulais ouvrir le débat là où il est.

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