Eric Zemmour a-t-il raison lorsqu’il parle du droit suisse?

Éric Zemmour s’en est récemment pris au principe de proportionnalité de la légitime défense dans le droit français actuel qu’il juge inadapté. Il souhaite supprimer purement et simplement ledit principe, et cite à cet égard le droit pénal suisse. Le candidat à la présidence plaide pour l’introduction dans la législation française de la notion de défense excusable connue en droit suisse. Selon lui, «avec cette protection juridique, les commerçants, les braqués, les citoyens cambriolés et les policiers en danger, auront enfin le droit de riposter aux voyous» . Mais est-ce bien juste? Pas exactement.

Proportionnalité bien ancrée dans le droit suisse

En premier lieu, le droit pénal suisse connait, comme le droit pénal français, le principe de proportionnalité en matière de légitime défense. Selon l’art. 15 du code pénal suisse, qui définit précisément la légitime défense «quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d’une attaque imminente a le droit de repousser l’attaque par des moyens proportionnés aux circonstances; le même droit appartient aux tiers.» En matière de légitime défense, le principe de proportionnalité est donc central en droit suisse.

Cela signifie que le moyen choisi pour se défendre doit être le moins dommageable parmi ceux qui permettent de repousser l’attaque. Par exemple, un coup de feu mortel ne doit être tiré qu’en tout dernier lieu, et uniquement s’il constitue le seul moyen de repousser l’attaque.

En ce sens, la volonté affichée du candidat français de supprimer purement et simplement la notion de proportionnalité ne saurait être vue comme un rapprochement au droit suisse.

Défense excusable admise de manière restrictive

Le droit pénal suisse connaît, par contre, un concept apparemment inconnu en France: la défense excusable. Aux termes de l’art. 16 du code pénal suisse, si l’auteur, en repoussant une attaque, a excédé les limites de la légitime défense, le juge atténue la peine. Et «si cet excès provient d’un état excusable d’excitation ou de saisissement causé par l’attaque, l’auteur n’agit pas de manière coupable» (art. 16 al. 2 CP).

Le Tribunal fédéral applique cependant des critères stricts pour admettre le caractère excusable de l’état d’excitation à l’origine de l’excès de légitime défense. Le caractère excusable ne peut être admis que si l’auteur n’est pas en mesure d’agir de manière réfléchie et responsable à cause de son excitation ou de sa consternation (TF 6B_853/2016). De plus, si l’auteur porte une arme à feu, il assume une responsabilité particulière. Par conséquent, pour notre Haute Cour, le fait d’emporter une arme témoigne d’une certaine préparation qui permet d’exclure un mouvement d’humeur excusable (TF, StrA, 18. 10. 2017, 6B_853/2016, consid. 1.1).

Rapport de proportionnalité exigé

Pour que l’excès de légitime défense ne soit pas punissable, le Tribunal fédéral suisse exige – encore –  un rapport de proportionnalité entre l’excitation/le saisissement d’une part et l’ampleur de l’excès de la légitime défense d’autre part. En d’autres termes, l’excitation ou le saisissement doivent être d’autant plus grands que le caractère disproportionné de la réponse à l’attaque semble importante. L’excitation/le saisissement doivent en outre être dues précisément à l’agression. «La nature et les circonstances de l’agression doivent être telles qu’elles rendent l’agitation ou la consternation excusable» (ATF 102 IV 1, 7). Une réaction excusable peut être envisagée lorsque l’attaque est soudaine et surprenante pour la personne attaquée (ATF 101 IV 119, 121).

La peur ne signifie pas nécessairement un état de saisissement au sens de l’art. 16 al. 2 CP (arrêts 6B_1015/2014 du 1er juillet 2015 consid. 3.2; 6B_889/2013 du 17 février 2014 consid. 3.1). Une simple agitation ou une simple émotion ne suffit pas à rendre la défense licite (arrêts 6B_853/2016 précité consid. 2.2.4; 6B_810/2011 précité consid. 5.3.2). Il faut au contraire que l’état d’excitation ou de saisissement auquel était confronté l’auteur à la suite de l’attaque l’ait empêché de réagir de manière pondérée et responsable (arrêts 6B_971/2018 du 7 novembre 2019 consid. 2.3.4; 6B_873/2018 précité consid. 1.1.3; 6B_853/2016 précité consid. 2.2.4). La surprise découlant d’une attaque totalement inattendue peut générer un état de saisissement excusable (ATF 101 IV 119 p. 121; arrêt 6B_65/2011 du 8 septembre 2011 consid. 3.2;).

Il a ainsi été jugé qu’un agent de sécurité expérimenté intervenant pour séparer deux individus qui se disputaient en s’empoignant ne peut pas être considéré comme s’étant trouvé dans une situation impliquant un état de saisissement tel qu’il aurait été empêché de réagir de manière pondérée et responsable (TF 6B_922/2018 du 9 janvier 2020).

Miriam Mazou

Miriam Mazou est avocate à Lausanne et fondatrice de l'Etude Mazou Avocats SA. Elle est membre de la Fédération Suisse des Avocats (FSA), de la Société suisse de droit pénal (SSDP), de l'Ordre des Avocats Vaudois (OAV) et a été membre du Conseil de l'Ordre des Avocats Vaudois. Avocate spécialiste FSA en droit pénal, elle est l'auteure de nombreuses publications et donne régulièrement des conférences dans ce domaine, plus particulièrement en matière de criminalité économique. Elle est également Chargée de cours à l’Université de Lausanne.

10 réponses à “Eric Zemmour a-t-il raison lorsqu’il parle du droit suisse?

    1. Je ne pense pas que le droit suisse aurait modifié le verdict du bijoutier niçois dans la mesure où il a été retenu qu’il avait ouvert le feu sur des hommes en train de s’enfuir. En effet l’article de notre code pénal sur la “défense excusable” ne s’applique qu’en cas de “défense”, soit le fait de repousser une attaque. Il faut donc que l’intéressé se défende (contre une agression injustifiée avec des moyens hors de proportion avec la gravité de l’attaque). Or, tel n’est pas le cas lorsque l’attaque est terminée.

  1. Il me semble que la défense est justifiée uniquement dans le cas d’une agression, donc un acte envers une personne. Tant qu’il s’agit des biens – par exemple, si on surprend un cambrioleur, ou un voleur de voiture, même si la personne s’enfuit avec nos bien, nous n’avons aucunement le droit d’user d’une arme pour défendre nos biens ou arrêter la personne.

  2. Sur le fond:

    Ne trouvez-vous pas que l’Etat tombe néanmoins fort sur ceux qui agissent “dans le moment” pour repousser une attaque ?

    J’avoue que je peine à comprendre pourquoi le MP avait fait appel dans cette affaire… “le braqueur lui-même reconnaissait qu’il n’avait fait que son job”.

    https://www.24heures.ch/le-vigile-qui-avait-tire-sur-des-braqueurs-est-acquitte-en-appel-785630128235

    Franchement, cet agent de sécurité méritait une médaille et les honneurs de la ville, pas 4 ans de procédure pour “tentative de meurtre”.

  3. bonjour; vous faites bien d’honneur à E.Zemmour en parlant de lui ! je l’ai écouté pour la première fois récemment, dans le cadre d’un débat organisé à Nice avec Michel Onfray. On peut bien sûr ne pas partager toujours, ce que dit ce dernier, mais il faut lui reconnaitre a minima, une culture réelle, alors que l’autre ne pratique qu’un faire semblant inhérent à ” ce qui brille n’est pas d’or ” . Autant Macron sert d ‘ “intelligent utile” au Kremlin, d’après Chapatte, autant Zemmour reprend le rôle au bénéfice de Macron pour la présidentielle ! Ubris , quant tu nous tient …

  4. Que penser d’un cas plus ancien où un particulier excédé de se faire régulièrement cambrioler avait piégé sa maison. Le cambrioleur a été blessé lors du cambriolage et a porté plainte contre le propriétaire de la maison. Devinez qui est allé en prison ? Le propriétaire de la maison….

    Question subsidiaire, un individu menace avec un couteau et un gendarme a son arme, que doit-il faire ? Trouver vite fait un couteau pour riposter de manière proportionnée ou faire usage de son arme ? S’il fait usage de son arme on dira que sa riposter était disproportionnée, s’il ne fait pas usage de son arme, il risque d’être blessé ou tué par l’agresseur…

    Il y a un moment où on oublie qui est la victime et qui est l’agresseur. Le bijoutier de Nice braqué de multiples fois et sous la menace des braqueurs armés a fait feu lorsqu’ils sont reparti sous le choc d’un nième braquage. Qui a braqué la bijouterie ? Qui a enfreint la loi ? Il est surprenant que ce soit au final le bijoutier qui a été incarcéré et fermé définitivement son commerce.

  5. Peut-on poignarder son violeur? Est-ce proportionné ?

    https://www.krone.at/2625871

    Je crains les réflexions des juges… vont-ils la condamner pour port d’arme illégal? Considérer qu’elle aurait dû avoir un sifflet plutôt qu’un couteau ?

  6. Eric Zemmour a raison!!! En France il y a trop d’abus de la part des délinquants, ils sont relâchés et ensuite ils continuent a violer, voir tuer!!!!
    Les médias deviennent trop gauchistes aussi en Suisse!!
    On a besoin d’un ZEMMOUR !!!!

  7. STOP. ce n’est pas une tribune pro ou contre zemmour , mais une tribune juridique de bonne tenue . merci pour les lecteurs dont je suis , de ne pas deriver .

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