Affaires de droit

Le cyberharcèlement sera mieux réprimé

Hasard du calendrier, je m’exprimais le 15 septembre 2021 sur la question du cyberharcèlement, dans le cadre de la journée de droit pénal à l’Université de Lausanne, soit 2 jours après la condamnation intervenue à l’endroit de l’auteur de plusieurs courriels «déplacés» adressés à la conseillère nationale Léonore Porchet. L’occasion de faire le point sur la répression du cyberharcèlement, comportement, qui n’est pas – encore – réprimé en tant que tel par le code pénal.

Qu’entend on par cyberharcèlement? Le harcèlement peut être défini comme le fait, lorsqu’il est commis intentionnellement, d’adopter, à plusieurs reprises, un comportement menaçant dirigé envers une autre personne, conduisant celle-ci à craindre pour sa sécurité. (Art. 34 de la Convention d’Istanbul). Le cyberharcèlement quant à lui peut être défini comme des «actes de harcèlement utilisant des moyens de communication électroniques tels que courriels, réseaux sociaux ou certaines applis.» (Rapport de l’Office fédéral de la justice du 12 avril 2019 sur la question de la codification de l’infraction de «harcèlement», p. 4).

Lien avec une infraction existante

A défaut d’infraction spécifique, la victime de cyberharcèlement qui souhaite déposer plainte pénale, devra «raccrocher» les faits dont elle se plaint à une infraction existante. Dans son intervention du 13 septembre 2021 sur forum, Léonore Porchet explique bien le désarroi de la police lorsqu’il s’est agi de trouver la qualification pénale des faits dont elle se plaignait.

C’est en l’occurrence l’infraction d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179 septies CP) qui a été retenue par le Ministère public de la Confédération à l’encontre du «cyberharceleur» de Léonore Porchet. Cette disposition pénale permet de punir d’une amende celui qui, par méchanceté ou par espièglerie, aura utilisé abusivement une installation de télécommunication pour inquiéter un tiers ou pour l’importuner. Cette disposition, qui à l’origine visait les appels téléphoniques (par exemple appels anonymes) s’applique désormais aussi aux courriels et autres messages électroniques en texte ou en image sur internet.

Messages insistants

L’application de l’art. 179 septies du code pénal a récemment été confirmée par la Cour d’appel pénale du canton de Vaud, dans un arrêt du 29 mars 2021 (CAPE décision no 112). Selon l’état de fait retenu par la Cour, après avoir été éconduit, le prévenu s’est livré à un harcèlement obsessionnel à l’endroit d’une femme dans le but de la conquérir. Il lui a notamment adressé de multiples messages insistants par divers canaux – soit par SMS, par WhatsApp, par messagerie électronique, ainsi que par les réseaux sociaux Facebook et Linkedin – au moyen de différents profils et adresses électroniques.

La Cour d’appel a estimé que la condition de l’art. 179septies CP qui suppose que l’auteur ait agi intentionnellement par méchanceté ou espièglerie «peut être remplie lorsque l’auteur utilise des SMS pour déclarer son amour à une personne pour essayer de la reconquérir. Si durant la période qui a immédiatement suivi la rupture, l’auteur peut encore penser que la personne visée est susceptible de revenir sur sa décision, ultérieurement, son action incessante, malgré la volonté affichée de ne pas renouer la relation, s’apparente au «stalking» avec les conséquences néfastes qu’il peut avoir sur le psychisme de la victime. Dans de telles conditions, il y a à tout le moins lieu de retenir une volonté d’agir par espièglerie (TF 6B_1088/2015 du 6 juin 2016 consid. 2.2 et les références citées)». Le prévenu avait donc été reconnu coupable d’infraction à l’art. 179 septies, de même que de contrainte (181 CP) dans le mesure où la victime avait, en raison de son comportement, été obligée de changer ses habitudes.

Code pénal à compléter

D’autres infractions peuvent entrer en ligne de compte. On peut par exemple penser à l’accès indu à un système informatique (art. 143 bis CP, voir à cet égard mon billet de blog du 6 juin 2019) extorsion et chantage (art. 156 CP), diffamation (173 CP), calomnie (174 CP), injure (177 CP), menace (180 CP), contrainte (181 CP), pornographie (197 CP), désagréments causés par la confrontation à un acte d’ordre sexuel (198 CP), voire lésions corporelles (art. 122 et 123 CP), et bientôt usurpation d’identité (futur art. 179 decies CP). Telles sont notamment les infractions aujourd’hui à disposition, en attendant que le cyberharcèlement soit – enfin – réprimé en tant que tel par le code pénal.

A cet égard I’initiative parlementaire déposée le 11 juin 2020 au Conseil national visant à inscrire le cyberharcèlement dans le code pénal (l’initiative parlementaire Suter 20.445) a porté ses fruits puisque la commission des affaires juridiques a décidé le 25 juin 2021 d’y donner suite (par 19 voix contre 0 et 4 abstentions) et de déposer un postulat de commission (21.3969) chargeant le Conseil fédéral de présenter les différentes possibilités de compléter le code pénal afin de punir le cyberharcèlement et la violence numérique. Il était temps.

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