Affaires de droit

Attention à ce que vous dites à votre avocat

Le Tribunal fédéral vient tout récemment de rappeler qu’il est possible de se rendre coupable de diffamation ou de calomnie par les propos que l’on tient à l’égard de son avocat (TF 6B_127/2019 du 9 septembre 2019 mis en ligne mardi). Il confirme ainsi sa jurisprudence, très stricte, malgré les critiques émises en doctrine.

Se rend notamment coupable de diffamation celui qui, en s’adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l’honneur (art. 173 al. 1 CP). Si l’auteur connaissait la fausseté de ses allégations, on parle de calomnie (art. 174 ch. 1 CP). A défaut de «tiers» à qui de tels propos sont relatés, la commission des infractions de calomnie ou de diffamation est exclue.

L’avocat peut être un tiers

En l’espèce, Ministère public genevois avait refusé d’entrer en matière sur la plainte pénale dont il avait été sais au motif que les propos incriminés avaient été tenus dans le cadre du mandat confié par l’intéressé à son avocat. Selon le procureur, ce mandataire revêtait ainsi la qualité de «confident nécessaire», ce d’autant que les propos tenus ne devaient pas être communiqués à d’autres tiers.

Les juges de Mon-Repos ont  au contraire estimé qu’il n’était pas exclu que l’intéressé ait transmis les informations incriminées à son avocat dans le but que son conseil s’en serve. Il n’était par conséquent pas possible, préalablement à toute instruction, de nier que l’avocat puisse avoir la qualité de tiers et de refuser d’entrer en matière sur la plainte pénale pour ce motif.

Pas de condamnation si l’on est de bonne foi

Notre haute cour a rappelé ce qu’elle avait déjà énoncé dans un ancien arrêt: La personne qui est l’objet d’une poursuite pénale ou qui souffre de difficultés financières ou autres doit pouvoir s’épancher dans le cabinet de son mandataire. Le client doit toutefois s’en tenir à des assertions qui se rapportent à son affaire et qui ne sont pas absolument dénuées de fondement. A condition de respecter ces limites, le client échappera à toute condamnation pénale. Il pourra en effet se prévaloir d’un motif suffisant et administrer les preuves libératoires énoncées à l’art. 173 ch. 2 CP.

En effet, selon l’art. 173 ch. 2 CP l’inculpé n’encourra aucune peine s’il prouve que les allégations qu’il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu’il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies. Ainsi, il suffira à l’intéressé d’invoquer certains indices à l’appui de ses déclarations pour établir sa bonne foi conformément et obtenir son acquittement. 

 


 

Revirement de jurisprudence dans un arrêt rendu le 29 septembre 2022 (TF 6B_1287/2021, cons. 2.3.3) :

De la même manière, il ne saurait être fait abstraction du contexte particulier dans lequel s’inscrit un entretien entre un avocat et son client.  
Il faut en effet prendre en considération que, par la nature de ses activités de conseil juridique ainsi que par le secret professionnel auquel il est soumis (cf. art. 13 LLCA), l’avocat assure à son client un climat de confiance qui leur permet de communiquer d’une manière libre et spontanée, le client pouvant ainsi se livrer en faisant part de sa version des faits, mais également de ses émotions, de son ressenti et de ses opinions. Le client est d’ailleurs bien souvent en conflit avec la personne objet des déclarations litigieuses et se trouve alors animé par une certaine passion. Il en découle que les paroles tenues peuvent parfois dépasser sa pensée, tout comme une forme d’exagération est à cet égard prévisible, ce dont l’avocat, destinataire des propos en cause, est parfaitement conscient (cf. sur ces aspects: BOHNET/MELCARNE, Le client peut-il diffamer en se confiant à son avocat?, in: RSJ 11/2020 p. 369). 
Au vu du cadre particulier décrit ci-avant, le sens de propos tenus à un avocat ne saurait dès lors être apprécié de la même manière que celui de déclarations exprimées à l’égard de n’importe quel autre tiers. Aussi, afin de ne pas compromettre l’exercice d’une communication libre et spontanée entre avocat et client, il se justifie, dans un tel contexte, de n’admettre une atteinte à l’honneur qu’avec retenue. Tel peut en particulier être le cas lorsque les propos en cause n’ont pas de lien avec l’affaire dans laquelle intervient l’avocat et que ceux-ci ne tendent en définitive qu’à exposer la personne visée au mépris (cf. en ce sens: arrêt 6B_229/2016 du 8 juin 2016 consid. 1.3; BOHNET/MELCARNE, op. cit., p. 370). 

 

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