Foliosophy

Folios : le décryptage, une cause à tout prix et la statue déboulonnée

 

Du décryptage

Le mot “décryptage” est employé par les médias de plus en plus fréquemment et pour des usages toujours plus variés : Arte “décrypte” et enquête, la RTS promet le “décryptage” de la situation par untel…le ”décryptage” de la question en fin d’émission… J’ignore depuis quand le terme est entré aussi abusivement dans le langage courant, comme synonyme abâtardi de, en gros, “on en parle”. 

Par cet usage nouveau, on impose comme une double torsion au terme. 

On s’en prévaut orgueilleusement d’abord. Orgueilleusement parce que le mot “décryptage” désigne bien plus qu’une simple explication. Car en réalité, dans la plupart des mini reportages proposés par les médias, il n’est en fait même pas question d’analyse, mais simplement d’illustration. 

Le décryptage,

c’est la reconstruction d’un texte original à partir d’un message chiffré dont on ne possède pas la clé,

c’est l’analyse approfondie d’un document pour en déceler le sens ou profond,

c’est la tâche complexe de découvrir un code gardé secret. 

Dans tous les cas, il est question de la découverte d’un sens caché qui échappe à celui qui n’a pas le code pour traduire les phénomènes donnés à la perception. Dans le décryptage, il est question de trouver la “clé de lecture”. 

Mesurer le fossé entre ce qui nous est donné à comprendre dans ces émissions et le sens du mot, c’est comprendre en quoi la prétention à un terme aussi puissant prête à sourire. Un peu de bouffissure pour faire sérieux. Quelque chose du domaine de l’inflation. 

La deuxième distorsion imposée au mot “décryptage” découle de la première. Parce qu’on le revendique avec une fatuité qu’on veut faire passer pour de la rigueur, on vide le mot de son sens. On lui enlève sa profondeur, son importance, l’extraordinaire perspicacité, la ténacité, la puissance de pénétration qu’il faut pour “décrypter”. 

A ce tarif, on est Champollion ou Turing à peu de frais. 

Le langage s’use, on le sait. L’usage patine les mots, en émousse les reliefs. L’informatique omniprésente est évidemment pour beaucoup dans le glissement de l’usage du “décryptage”. L’esprit du complot, qui présuppose par définition quelque chose de caché “derrière tout ça”, y puise une énergie toute particulière. 

 

La faute à pas de chance

Quand, pour expliquer la cause d’une affection, un médecin dit : « C’est la faute à pas de chance », je ne peux m’empêcher d’y voir à la fois les limites de notre connaissance en même temps que le signe d’un manque de curiosité. 

Mais peut-être que le besoin de trouver une raison à tout et à n’importe quel prix est précisément ce qui fait le lit du complotisme. 

 

La double face du déboulonnage des statues

A propos du déboulonnage de statue, une des branches de la “cancel culture” : 

L’opposition n’est pas à établir, d’une part, entre les tenants du déboulonnage des figures historiques qui ont participé autrefois à des actions ou qui ont exercé des activités qu’on juge aujourd’hui répréhensibles et, d’autre part, ceux qui considèrent que la mémoire est un devoir et qu’on ne peut, en outre, pas juger les actions passées à l’aune de la morale actuelle.  Ce n’est pas entre ces deux pôles qu’a lieu le vrai débat. Il me semble que serait éclairante la distinction entre mémoire et célébration, qui est le véritable enjeu du débat : pourquoi, à certaines époques, a-t-on érigé sur les places et devant les monuments, des figures de personnes devenues, parfois par cette érection même, célèbres ? Si l’installation d’une statue a correspondu à la volonté de voir célébrée une figure comme particulièrement édifiante pour la collectivité (d’où l’édification), il n’y a pas vraiment de surprise que l’édification passée pose un problème présent si la figure n’est plus jugée édifiante. 

Peut-être doit-elle alors entrer au musée. 

D’histoire ou d’anthropologie. 

 

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