La dangereuse tentation du mauvais messie

Dans un silence religieux, tous attendaient la venue du messie. Incarné en terre helvétique par le collège des 7 sages, ce messie devait apporter la solution au défi du 9 février. On espérait – au moins ! – qu'il transforme l'eau en vin. Une année de travail et de consultations pour donner forme à la volonté populaire, la cérémonie promettait d’être belle. Mais la communion a tourné court, les officiants n’ayant finalement aucune solution tangible à présenter. Comme un public déçu le soir d’une première, les commentateurs et les partis politiques ont sorti leurs griffes et leur air blessé. Ils ont hurlé au manque de leadership. Le messie venait d’être assassiné et trainé dans la boue.

Mais ce procès en manque de leadership manque sa cible et offre une lecture tronquée des responsabilités politiques. Il traduit une focalisation trop confortable sur un exécutif dénué dans une situation de dilemme. En acceptant l’initiative du 9 février, la majorité du peuple suisse a pris une décision en contradiction avec ses engagements précédents – c’est donc à lui d’arbitrer les injonctions incompatibles qu’il impose à l’exécutif.

Il n’est pas nécessaire de traiter ici des faiblesses structurelles du Conseil fédéral, représentées à la fois par la présidence tournante (prévenant toute velléité de leadership intra Conseil fédéral) et le manque de coordination du DFAE en matière de relations internationales (laissant Doris Leuthard avancer seule sa politique étrangère de l’électricité et relançant la Cour de l'AELE). Dans le cas qui nous occupe, la difficulté du Conseil fédéral se trouve dans la légitimité qu’il peut revendiquer pour régler le conflit entre deux demandes que le peuple lui soumet. D’une part, le Conseil fédéral doit respecter les engagements internationaux et se présenter comme un partenaire fiable envers ses voisins européens. L’accord de libre circulation des personnes a été ratifié et confirmé à plusieurs reprises, il est toujours en force et il doit donc être respecté. D’autre part, le peuple ordonne de mettre en place des contingents et la préférence nationale, objectifs clairement incompatibles avec l’accord de libre circulation. Les citoyens ne peuvent plaider l'innocence. Ils ont placé volontairement la Suisse dans ce dilemme. Pris dans cet étau où d’autres l’ont coincé, le Conseil fédéral n’a aucune possibilité de jouer le messie tant espéré. Le Conseil fédéral est l’organe exécutif de notre système politique : il ne peut pas résoudre un arbitrage entre deux expressions contradictoires de la volonté populaire. A défaut d'être "décevantes", les propositions de changement de la loi sur les étrangers présentées la semaine passée ne sont que l’expression de cette légitimité restreinte du Conseil fédéral.

Certains aimeraient voir un Conseil fédéral plus « fort » et « courageux ». Derrière cet appel se cache parfois la nostalgie d’un exécutif puissant et porteur de l’onction du suffrage universel. Le Conseil fédéral devrait être une forme de président, le rêve à la française d'une providence présidentielle. Mais le système politique suisse prévient à dessein un Conseil fédéral qui trancherait les dilemmes que les citoyens ont souhaité inscrire dans la Constitution. L’arbitrage entre les deux injonctions revient au peuple, ou à ses représentants directs à Berne. C’est là que le vrai (manque de) leadership est à dénoncer. Le 10 février au matin, il était prévisible que le Conseil fédéral ne pourrait se sortir seul de cette ornière. Et si certains ont perdu du temps, il s’agit en première ligne des partis politiques. Sautant dans la DeLorean volante de la politique suisse, imaginons un ensemble de six personnalités de poids, issues des six partis qui combattaient l’initiative de l’UDC, qui se seraient présentées au public au printemps 2014 avec une leçon de véritable leadership en trois points. Premièrement, une reconnaissance claire que les injonctions du peuple sont contradictoires et incompatibles. Il faut choisir. Deuxièmement, l’identification des alternatives offertes aux citoyens : accorder la priorité à l’accord de libre circulation ou à la mise en place des contingents et de la préférence nationale. Respect de nos engagements auprès de l'UE ou contrôle planificateur de l’immigration. Troisièmement, l’esquisse d’un calendrier pour cet arbitrage nécessaire et la mise en place d’incitatifs pour régler cette question à l’aune des intérêts supérieurs du pays et non d’intérêts électoraux. Une date pour une nouvelle votation. Jouer franc jeu et ouvrir la voie à une participation citoyenne, voilà ce qu’aurait fait un vrai leader.

La partie est-elle jouée ? A l’inverse, les partis politiques pourraient encore tirer un intérêt électoral de cette stratégie de leadership. Au lieu de laisser le Conseil fédéral poursuivre sa stratégie du pire (la seule qui s’ouvre à lui), ils pourraient mettre les citoyens devant leurs responsabilités. Par là-même, ils témoigneraient du respect dû au système de démocratie directe. En effet, si les choix des citoyens ne valent que recommandations, la démocratie se fait sondage d’opinions. De plus, cette stratégie permettrait  de créer un large front politique le long de la ligne de partage absolument essentielle entre une Suisse qui respecte ses engagements internationaux et une Suisse qui les foule aux pieds sans avoir le courage de les dénoncer. L’UDC ne tardera pas à relancer sa vision d’une Suisse qui viole les engagements qu’elle a elle-même choisis. Il est l’heure de serrer les rangs et de convoquer les citoyens à jouer le rôle d’arbitre qui leur revient de droit.

 

Le franc fort, les migrants et une Suisse plus engagée

Les retombées parfois inattendues du franc fort sont innombrables – les hypothèques contractées par des milliers de Polonais, les communes françaises endettées, les misères des débiteurs croates. Du côté des bonnes nouvelles, les migrants de Suisse devraient se réjouir de la décision de la BNS. Ou plus précisément, les familles qui reçoivent mois après mois un soutien financier de la part d’un proche émigré en Suisse (les fameuses remittances) ont dû trinquer à la santé du directoire de la BNS. En effet, en l’espace de quelques secondes, l’argent envoyé (souvent en euro) a gagné une valeur non-négligeable. Avec 100 francs suisses, la femme travaillant au chevet d’une personne âgée renvoie à ses proches d’un seul coup 100 euro au lieu des 83 euro au temps du taux plancher.

Extrapolant depuis cet exemple, on peut avancer deux hypothèses qui permettent de souligner l’importance cruciale des remittances au moment de choisir nos politiques d’immigration. D’une part,  la décision de la BNS a rendu les familles, les proches et des économies entières plus riches. D’autre part, sans tambour ni trompette politique, l’engagement (indirect) de la Suisse dans ce que nous appellerons la « lutte contre la pauvreté » s’est renforcé.

A l’échelle du globe, les transferts volontaires d’argent par les migrants  représentent des sommes astronomiques. La Banque mondiale estimait ainsi qu’en 2012 402 milliards de dollars avaient été renvoyés par les migrants, tendance croissante. Des économies entières reposent sur ces retours d’argent. Au Liban, Tadjikistan, Moldavie, ces retours représentent plus de 20% du PIB. Du côté des pays d’émigration, certains gouvernements n’hésitent pas à appréhender ces rentrées comme des retours sur investissement. A l’exemple des Philipinnes, il n’y a qu’un pas à franchir pour mettre sur pied une véritable politique d’émigration des citoyens à des fins de revenus substantiels.

De manière un peu contre-intuitive, les remittances circulent le plus souvent entre économies développées. La France, l’Allemagne ou l’Espagne sont des pays figurant dans le top 10 des pays recevant des transferts. L’image du migrant qui renvoie de quoi subsister à sa famille restée dans une hutte relève largement du fantasme. Il faut plutôt appréhender ces retours comme une tentative de réponse pragmatique à une misère sociale que l’Europe et ses citoyens les plus fragiles connaissent bien: immeuble décrépi, retraite insuffisante, facture d’électricité restée en souffrance, éducation de qualité hors de prix. La structure des remittances envoyés depuis la Suisse s’inscrit dans ce cadre. D’après l’étude de Brown et d'Arapovic en 2009, 80% des transferts iraient à destination des pays de l’UE. Notre première hypothèse se vérifie donc. Le choix de la BNS permet à d’innombrables résidents de notre pays d’envoyer considérablement plus d’argent vers leurs proches.

Quelle est  l’importance de ces remittances dans la politique étrangère suisse, et plus spécifiquement dans nos choix de politique migratoire ? Indirectement, l’engagement de la Suisse en termes de justice globale et de lutte contre la pauvreté s’est trouvé de facto renforcé. En effet, la relation entre migration et amélioration du niveau de vie est trop souvent réduite à la seule personne du migrant : un individu ou une famille obtient le sésame d’entrée et voit donc son niveau de vie bondir. Mais cette conception de la migration passe sous silence qu’un migrant porte avec lui les attentes – parfois très lourdes ! – de sa famille et communauté. Son émigration ne relève pas de la romantique des voyages, mais bel et bien d’un investissement parfois dûment codifié. A ce titre, prendre en compte les remittances et leurs effets individuels et macroéconomiques sur les communautés d’origine nous permet de mettre en lumière ce que nous avons appelé avec Francis Cheneval de l’université de Zurich leur effet « multiplicateur ». Les remittances démultiplient les effets positifs de l’immigration en ouvrant des canaux de redistribution non bureaucratiques. Et pour la Suisse ? En offrant plus de possibilités d’immigration légale – par exemple depuis des pays en développement – nous pourrions exploiter au mieux ce potentiel contenu dans les remittances. Et si en plus la BNS y met du sien, la victoire est pour bientôt.

2015: année(s) historique(s)

L’année qui commence verra les Suisses se battre contre les Suisses. Comme à l’époque des mercenaires aux bras noueux, les Confédérés seront des deux côtés de la bataille. En 2015, ils jetteront leur force dans un conflit identitaire et tenteront d’en faire jaillir du sens pour un présent bien incertain. Pourquoi fêter la bataille de Morgarten (1315), la conquête du canton d’Argovie (1415), la bataille de Marignan (1515) ou encore le congrès de Vienne (1815) si ce n’est pour investir à neuf les mythes qui sous-tendent notre vie politique ?

Ces tentatives de réappropriation des mythes que d’aucuns disent « fondateurs » n’ont rien d’inhabituel. A l’inverse, elles traduisent la capacité collective des citoyens de sans cesse réévaluer leur propre histoire et apparaissent comme signe de vitalité. A cette fin, deux stratégies se déploient en parallèle. D’une part, certains proposent de nouveaux mythes ancrés dans une relecture  d’événements passés. Ainsi de la tentative du PS de mettre « 1945 » à l’ordre des festivités, le jubilé de la fin de la Deuxième guerre mondiale mais également du début de la prise de conscience européenne et de la construction d’un espace de droit et de libertés. D’autre part, de nombreux citoyens cherchent à contester la lecture parfois bien établie de certains événements obligés, proposant une nouvelle clef de lecture résonnant avec le présent.

Les jubilés de cette année 2015 trouvent un fil rouge dans l’affirmation d’une certaine Suisse dans le monde. A leur manière, ils rappellent tous que l’histoire suisse ne peut être que « transnationale » (selon la formule d’André Hollenstein, auteur de l’excellent « Mitten in Europa »). L’augmentation des échanges et la densification des accords entre cantons qu’on va peu à peu appeler « la Suisse » ne peut se comprendre qu’avec une vue européenne. Cette lecture nous permet de mettre en lumière ce que la Suisse doit à ses voisins, mais elle souligne également avec quel talent la Suisse a su tirer le meilleur des contraintes imposées par ses « partenaires ». Là où Joëlle Kuntz parle du « génie de la dépendance », nous pourrions évoquer l’intelligence politique, tantôt brillante, tantôt cynique.

A l’inverse, une lecture « isolationniste » de l’histoire suisse montre ses limites lorsqu’il s’agit de mettre en exergue les compétences helvétiques. En admettant que la Suisse ait pu se construire seule, ses talents se résumeraient alors à une modestie existentielle,  un art consommé de la fuite et un goût pour la solitude. N’est-il pas plus valorisant de laisser enfin les compétences helvétiques germer au grand jour ? Approprions-nous une Suisse audacieuse, tacticienne, travailleuse, chanceuse. A leur tour, ces expériences historiques permettent d’éclairer d’un jour nouveau les compétences clefs de la Suisse du 21è siècle : cerveau et  entremetteuse de la mondialisation, patrie du droit international et de la protection des libertés, championne de l’innovation.

Quant à son pouvoir symbolique, Morgarten est peut-être la mère de toutes les batailles. Par-delà la faiblesse des sources disponibles, les experts s’accordent sur un accrochage entre des groupes paysans, la puissante abbaye d’Einsiedeln et ses protecteurs habsbourgeois. Pour l’histoire des cantons, le souvenir de Morgarten symbolise le début d’un certain réalisme politique. Les alliances se créent au gré des opportunités, les expéditions guerrières sonnent sur les terres de la Suisse centrale, les ennemis d’hier peuvent devenir les partenaires de demain. A ce titre, la conquête de l’Argovie en 1415 ouvre la voie au développement de l’alliance entre les cantons. Mais il serait faux d’y voir une réponse à la logique binaire d’un « nous » contre un puissant ennemi extérieur. Le mécanisme de densification des alliances s’inscrit plutôt dans la recherche d’une prospérité commune. Selon l’historien Thomas Maissen, cette logique d’alliances changeantes trouve un bel exemple dans la relation avec les Habsbourg, passant de concurrents à partenaires selon les occasions.

La bataille de Marignan en 1515 symbolise la poursuite de cette logique d’intégration en consacrant la nécessité de développer une politique extérieure commune et de moderniser les méthodes de guerre. Les cantons ne peuvent plus se permettre une politique d’émigration de soldats mercantile et disparate. A force de s’offrir au plus offrant, certains seigneurs de guerre prennent des risques inconsidérés qui nuisent à la réputation commune. Sur fond de conflits religieux, les cantons vont alors peu à peu apprendre à coordonner leurs engagements internationaux et à les formaliser. Loin de s’arrêter sur la plaine italienne de Marignan, les mercenaires suisses seront au service de la France jusqu’à la fin du 18è siècle, une pratique ancrée dans un accord international en bonne et due forme (de 1521 à 1777).

Le sens de l’opportunité des différents émissaires suisses – et ce qu’il faut de  chance – fera merveille au congrès de Vienne (1815). Les frontières cantonales imposées par Napoléon – qui occupait la Suisse quinze ans auparavant, ne l’oublions pas ! – seront ancrées dans les accords de droit international qui esquisse la Suisse moderne. Comment réagir lorsque sa propre existence est imposée par d’autres, qui plus est avec la nécessité de rester neutre ? Les Suisses auraient pu se lamenter, ils vont réussir à exploiter la marge de manœuvre de leur position pour établir les fondements d’un ordre libéral prospère.

Paradoxalement, l’opportunisme politique et économique des Suisses est mis à l’épreuve par la fin de la Deuxième guerre mondiale en 1945. Exploitant leur statut de neutre au-delà du défendable, les Confédérés sont bousculés par les Alliés et sommés de rendre des comptes. Comment peut-on repousser les réfugiés juifs, faire de juteuses affaires avec le Reich et ne pas participer à l’effort des Alliés ? A nouveau, leur intelligence de situation leur permet de plier l’échine, de faire amende honorable et de retrouver une place au soleil dans la guerre froide qui s’annonce.

Veut-on voir la Suisse et son histoire comme une petite marmotte qui se cache de ses voisins pour entretenir un bonheur paisible dans la tiédeur d’une cachette alpine ? Ou veut-on défendre l’idée d’une Suisse habile et opportuniste, parfois un peu retors, mais parfaitement capable de construire et de coopérer avec ses voisins ? En cette année historique, la réponse coule de source(s). Il faut rendre honneur à nos prédécesseurs pour avoir entrainé au fil des siècles cette capacité à se frotter aux contraintes et à en tirer des leçons. En 2015, nous fêterons une Suisse dont l’histoire est profondément « transnationale », consciente de ses forces à la lumière de cette histoire et suffisamment agile pour les mobiliser au service d’un monde plus juste, pour elle et ses « partenaires ».

Ecopop : wie wir die Kontrolle über die Einwanderung verlieren

Für viele Bürger könnte die Abstimmung über Ecopop am 30. November nochmals die Möglichkeit bieten, die Kontrolle über die Einwanderungspolitik nochmals zu verstärken. Aber der Schein trügt und der Initiativtext würde dazu führen, dass wir die Kontrolle über unsere Einwanderungspolitik verlieren. Die Ecopop Initiative führt zu einer Abwärtsspirale der Einwanderung. Nach folgendem Zahlenbeweis verliert die Schweiz die Instrumente ihrer Einwanderungspolitik.

Die Initiative verlangt, dass „Die ständige Wohnbevölkerung in der Schweiz (…) infolge Zuwanderung im dreijährigen Durchschnitt nicht um mehr als 0,2 Prozent pro Jahr wachsen (darf)“. Daraus ergibt sich die „Ecopop-Gleichung“: die Anzahl Auswanderer + 0.2% Wachstum = Anzahl Einwanderer.

Wenn Ecopop sofort umgesetzt werden sollte, würde die Gleichung wie folgt aussehen: 93'000 (Anzahl Auswanderer, im Schnitt, zwischen 2007 und 2013) + 16'000 (Wachstum um 0,2% der aktuellen Bevölkerung von 8 Mio) = 109'000 erlaubte Einwanderer. Diese Zahlen stammen von der Homepage der Initianten und werden kaum eine Kontroverse auslösen. Nach Einschätzung von Ecopop würde die Inititive nur eine Senkung der Einwanderung um einen Drittel mit sich bringen (160‘000 ohne Initiative, 109‘000 mit). Diese Obergrenze von 0.2%, welche in der Bundesverfassung verankert sein soll, stellt ein grosses Flexibilitätsproblem dar, obwohl diese Flexibilität so wichtig wäre für die Verteidigung der Interessen der Schweiz. Aber noch viel schlimmer: Der Text löst einen Mechanismus aus, der unsere Politik unkontrollierbar macht.

Um diesen Effekt zu verstehen, müssen wir uns erstmals auf eine der Kernelemente der „Ecopop-Gleichung“ konzentrieren: die Anzahl Auswanderer aus der Schweiz. Diese Auswanderer sind mehrheitlich Ausländer. Im Jahr 2013 haben 73‘000 Ausländer die Schweiz verlassen, hingegen nur 29‘000 Schweizer. Interessant ist, dass die Anzahl Schweizer, die das Land verlassen, sich kaum geändert hat in den letzten 20 Jahren.

Wieso interessieren wir uns für die Anzahl Auswanderer? Dieser Punkt ist zentral: Wenn die Initiative angewendet werden sollte, würde die Einschränkung der Einwanderung auch eine grosse Auswirkung auf die Auswanderung haben. In anderen Worten: Weniger Ausländer die einwandern, heisst automatisch auch weniger Ausländer die wieder auswandern. Diese Senkung der Auswanderung würde sich wieder negativ auf die Anzahl zulässigen Einwanderer auswirken. Der Teufelskreis ist mechanisch: Weniger zugelassene Einwanderer, weniger (ausländische) Auswanderer die wieder auswandern, heisst wiederum noch weniger zugelassene Einwanderer, usw… Diese unselige Mechanik wird noch zusätzlich durch die Angst verstärkt, nicht zurückkommen zu können. Wer würde das Auswandern riskieren im Wissen, dass eine Rückkehr vielleicht nicht möglich sein wird?

Eine schnelle Analyse der Zahlen der Neunzigerjahre bestätigt diesen Mechanismus. Zwischen 1991 und 1997 ging die Einwanderung der Ausländer in die Schweiz von 133’000 (1991) auf 70'000 (1997) zurück oder um 48% (BFS). Mit einer Verzögerung von wenigen Jahren zeigte sich ebenfalls die Auswirkung auf die Auswanderung. Die Auswanderung der Ausländer ging von 86‘000 (1992) auf 51‘000 (2003) zurück, was einem Rückgang von 41% entspricht.

Wo würde diese Mechanik des Kontrollverlusts aufhören? Wenn wir die Elemente der „Ecopop-Gleichung“ betrachten, können wir nur über das Gleichgewicht spekulieren. Schauen wir uns die Unbekannten der Gleichung an. Das erlaubte Wachstum von 0.2% der Bevölkerung bleibt zwischen 16‘000 und 18‘000. Die Anzahl Auswanderer besteht einerseits aus dem Wanderungssaldo der Schweizer von 6‘000 pro Jahr. Der wichtigste Datenpunkt wäre die Anzahl Ausländer, welche wieder ausreisen, nachdem sie in die Schweiz gekommen sind. Darüber kann man leider nur spekulieren. Mit den vorhandenen Daten scheint es glaubwürdig, dass etwa die Hälfte die Schweiz wieder verlässt. Nach dieser Schätzung würde sich die „Ecopop-Gleichung“ dann stabiliseren, wenn folgendes Equilibrium erreicht ist: 21'000 Auswanderer (6'000 Schweizer und 15'000 Ausländer) + 16'000 (0,2% von 8 Millionen) = 37'000 erlaubte Einwanderer

Diese letzte Schätzung zeigt klar zwei Punkte auf. Auf der einen Seite bringt die Ecopop Mechanik die Schweiz zu einem Verlust der Kontrolle über die Einwanderung. Wir liefern unsere Einwanderung einer Mechanik aus, die unseren Interessen nicht dient. Auf der anderen Seite ist es klar, dass die Ecopop-Mechanik die Einwanderung stark reduzieren wird, sogar massiv. Man kann sich den politischen Kampf vorstellen, wenn es darum geht die 40‘000 Erlaubnisse zu verteilen. Pikanterweise zeigt Ecopop auf ihrer Homepage die Anzahl Asylbewerber (21‘000 in 2013, nach ihren Zahlen) und die Hochzeiten mit einem Schweizer Bürger oder Bürgerin (14‘000 in 2013). Es würden also nur noch 5'000 „Eintritte“ für die Wirtschaft übrige bleiben. Hätten der Asylbereich oder der Familiennachzug Vorrang gegenüber dem Personalbedarf unserer Spitäler? Hätten die Spitäler Vorrang gegenüber dem Baugewerbe? Der Text ist sowohl radikal und Auslöser für einen extremen Teufelskreis. Hüten wir uns davor, diesen Weg zu wählen.

 

Johan Rochel, Vizepräsident von foraus ­– Forum Aussenpolitik

Mikael Portmann, dipl. Physiker, Unternehmer in Zürich

 

La version française de cet article est parue dans L'Hebdo du 20 novembre 2014.

Ecopop: comment nous perdrons le contrôle de l’immigration

Pour de nombreux citoyens, la votation Ecopop du 30 novembre prochain pourrait être l’occasion de réaffirmer une volonté de « contrôler » notre politique migratoire. Mais les impressions sont toutefois trompeuses et le texte de l’initiative nous ferait totalement perdre le contrôle de notre politique migratoire. En effet, l’initiative Ecopop engage une spirale de baisse de l’immigration – jusqu’à l’absurde. Suivant une démonstration chiffrée de la mécanique de l’initiative, la Suisse serait dépossédée de ses instruments de politique migratoire.  

Pour rappel, l’initiative Ecopop exige que « la part de l’accroissement de la population résidant de manière permanente en Suisse qui est attribuable au solde migratoire ne peut excéder 0,2 % par an sur une moyenne de trois ans ». Nous pouvons en déduire ce que nous appellerons l’ « équation Ecopop » : le nombre de sorties + le 0,2% d’accroissement autorisé = le nombre d’entrées autorisées.

Si Ecopop devait être mise en œuvre de suite, l’équation ressemblerait à ceci : 93'000 (nombre de sorties, en moyenne, entre 2007 et 2013) + 16'000 (accroissement de 0,2% de 8 millions d’habitants) = 109'000 entrées autorisées. Tirés du site des initiants, les chiffres ne devraient pas provoquer de controverse. Selon les propos d’Ecopop, l’initiative ne signifierait donc qu’une diminution du tiers des entrées autorisées (160'000 sans initiative, 109'000 avec). Cette limite fixe de 0,2% inscrite dans la Constitution pose un premier problème de flexibilité, pourtant si nécessaire à la défense des intérêts du pays. Mais plus grave encore, le texte déploie des effets mécaniques qui rendent notre politique incontrôlable.

Pour comprendre ces effets, il faut tout d’abord se concentrer sur l’une des composantes essentielles de l’« équation Ecopop » : le nombre d’émigrants qui quittent la Suisse (les sorties). Ces émigrants sont en majorité des étrangers. En 2013, 73'000 personnes de nationalité étrangère ont quitté le pays, contre seulement 29'000 Suisses. Fait intéressant, le nombre de Suisses qui quittent le pays année après année n’a pratiquement pas changé en 20 ans.

Pourquoi s’intéresser au nombre de sorties ? Ce point est essentiel car si l’initiative est appliquée, la réduction du nombre d’entrées aura rapidement un effet sur le nombre de sorties. En d’autres mots, moins d’étrangers qui entrent impliquent mécaniquement moins d’étrangers qui repartent. A son tour, cette baisse du nombre de sorties influe négativement sur le nombre d’entrées autorisées. Par à-coups, l’initiative entraine donc le nombre d’entrées autorisées vers le bas. La spirale est mécanique : moins d’immigrants sont autorisés à entrer en Suisse, moins d’émigrants (étrangers) quittent la Suisse, moins d’immigrants sont autorisés à entrer en Suisse, moins d’émigrants (étrangers) en repartent et ainsi de suite. Cette funeste mécanique sera d’autant plus renforcée par la peur des étrangers de ne plus pouvoir revenir en Suisse. Qui se risquerait à émigrer en sachant pertinemment que le retour ne sera peut-être plus possible?

Une analyse rapide des chiffres des années nonante corrobore cet engrenage fatal. Entre 1991 et 1997, l’immigration en Suisse a reculé de 133’000 (1991) à 70'000 (1997), soit une réduction de 48% (OFS). Avec un décalage de quelques années, l’impact sur l’émigration s’est fait sentir. Composée principalement d’étrangers quittant la Suisse, l’émigration a diminué de 86'000 (1992) à 51'000 (2003), soit une réduction de 41%.

Où s’arrêterait la mécanique Ecopop de perte de contrôle sur l’immigration ? En reprenant les éléments de l’« équation Ecopop », nous pouvons spéculer sur le point d’équilibre, à défaut de le prédire. Procédons tour à tour avec les inconnues de l’équation. L’accroissement autorisé de 0,2% de la population résidante restera compris entre 16'000 et 18'000. Le nombre de sorties se composera d’une part d’un solde migratoire des Suisses d’environ 6'000 sorties par année. La donnée la plus cruciale concerne le nombre d’étrangers qui repartiront après avoir immigré en Suisse. Malheureusement, on ne saurait que spéculer sur ce chiffre. Sur la base des données à disposition, il parait crédible d’avancer que la moitié des étrangers va repartir. Suivant cette estimation, l’« équation Ecopop » se stabiliserait au point d’équilibre suivant : 21'000 sorties (6'000 Suisses et 15'000 étrangers) + 16'000 (0,2% de 8 millions) = 37'000 entrées autorisées.

Cette dernière estimation met clairement en lumière deux points essentiels. D’une part, la mécanique Ecopop entraine la Suisse vers une perte d’autonomie migratoire. Nous confions  notre immigration à une mécanique incapable de servir nos intérêts. D’autre part, il est certain que la mécanique Ecopop entrainera le nombre d’entrées autorisées vers le bas – vers le très bas. On ose imaginer les terribles combats politiques au moment de distribuer moins de 40'000 entrées. De manière piquante, Ecopop indique sur son site que les demandes d’asile (21'000 en 2013, selon leurs chiffres) et les mariages avec un citoyen suisse (14'000 en 2013) devraient restés protégés. Il subsisterait donc environ 5'000 entrées pour l’économie. Face à cette pression, l’asile ou le regroupement familial auront-ils la priorité sur les besoins en personnel de nos hôpitaux ? Ces mêmes hôpitaux auront-ils la priorité sur le secteur de la construction ? Le texte est à la fois radical et extrême dans la spirale qu’il met en place. Gardons-nous de choisir cette voie.

 

Johan Rochel, vice-président du foraus ­– Forum de politique étrangère

Mikael Portmann, physicien de formation, entrepreneur à Zürich

Renforcer Dublin – un double système de protection contre le syndrome Zalando

La décision rendue hier par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg dans l’affaire Tarakhel contre la Suisse marque-t-elle la lente agonie du système de Dublin ? Les politiques suisses se lamentent de voir la marge de manœuvre des autorités limitée. Ô insolence, il ne sera même plus autorisé de renvoyer sans condition une famille de requérants d’asile vers l’Italie. A l’avenir, il faudra avoir obtenu des autorités italiennes une garantie individuelle concernant, d’une part, une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et, d’autre part, la préservation de l’unité familiale (§122 de l'arrêt). Loin de cette lecture négative, cette décision de Strasbourg doit être saluée comme le développement d’un double mécanisme de contrôle capable de parer au syndrome « Zalando » du système de Dublin.

Avant toutes choses, la réaction de la droite de l’échiquier politique – à l’exemple d’Heinz Brand (UDC) et Gerhard Pfister (PDC) dans le Blick – rappelle combien l’accord de Dublin est devenu une partie intégrante de la réalité de l’asile en Suisse. On se lamente de voir les conditions de renvoi « limitées », mais se rappelle-t-on qu’il y a peu la Suisse ne pouvait renvoyer personne vers un autre pays « compétent » pour traiter la demande d’asile ? Le système de Dublin est imparfait, mais son alternative l’est encore plus : un traitement purement national de l’asile où chaque Etat est responsable des requérants qui déposent une demande chez lui. Ou le grand retour des demandes multiples et du tourisme de l’asile à travers l’Europe.

Le système de Dublin est parfois compris comme un simple mécanisme de retour à l’envoyeur. En règle générale, le premier Etat où un requérant d’asile est enregistré devient l’Etat responsable de sa demande d’asile. L’apparente simplicité de ce principe laisse penser que les renvois Dublin relèvent d’un mécanisme strictement administratif. Une forme de syndrome « Zalando » : on renvoie les requérants comme on renvoie une veste trop courte. Mais l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rappelle avec force que le système du Dublin doit s’intégrer dans un cadre juridique respectueux des droits de l’homme. Ce système n’est pas un accord international hors du droit, il est partie prenante du cadre européen des droits de l’homme.

L’arrêt de la Cour de Strasbourg contre la Suisse permet de préciser les contours d’un double mécanisme de contrôle. Le premier élément concerne les situations dans lesquelles un système national d’asile menace d’imploser. Selon la formule de la Cour, les problèmes sont alors « systémiques » et les requérants d’asile vivent dans des conditions inacceptables à l’aune des standards de protection des droits ayant cours en Europe. Dans l’affaire M.S.S. contre la Belgique et la Grèce, la Cour avait estimé que la situation de l’asile en Grèce avait atteint ce niveau de défaillances systémiques. Les renvois vers la Grèce devaient en conséquence être immédiatement stoppés.

Le cas de l’Italie est jugé différemment par la Cour de Strasbourg. Selon les juges, la situation sur le terrain n’est pas comparable en termes de gravité, même si – comme le démontre un rapport de l’OSAR – les requérants sont laissés à eux-mêmes sur les trottoirs. La Cour déduit de cette situation le deuxième élément du mécanisme de protection : une responsabilité renforcée et individuelle dans le cas des familles. L’Etat qui souhaite renvoyer une famille dans le cadre du système de Dublin ne peut plus le faire sans obtenir une garantie individuelle concernant, d’une part, une prise en charge adaptée à l’âge des enfants et, d’autre part, la préservation de l’unité familiale. La protection d’une catégorie spécialement vulnérable de personnes s’en trouve sensiblement améliorée.

Si le jugement permet d’améliorer les conditions d’application du système de Dublin et de corriger le syndrome « Zalando », de nombreuses questions sont encore ouvertes. A quoi pourrait ressembler cette « garantie individuelle » que la Suisse doit obtenir auprès des autorités italiennes ? Une lettre expliquant qu’une place est disponible dans un centre adapté aux familles fera-t-elle l’affaire ? Si oui, où s’arrête la responsabilité de la Suisse de s’assurer que la famille est bel et bien arrivée à l’endroit promis, dans les conditions prévues ? Poussé à l’extrême, le jugement fait peser une charge énorme sur le pays qui veut effectuer des renvois Dublin. Le pays de destination a lui aussi une responsabilité essentielle dans la mise à disposition d’infrastructures de qualité. A ce titre, le jugement de Strasbourg met le doigt sur la faiblesse des pratiques italiennes.       

L’attention médiatique portée à travers le continent au jugement contre la Suisse indique clairement la dimension européenne de cette décision. La Cour précise et développe les conditions-cadres dans lesquels le système de Dublin doit être appliqué. Dans la logique de sa jurisprudence, elle rappelle que Dublin n’est pas hors du droit et que le syndrome « Zalando » doit être corrigé. Pour une Suisse qui se targue d’être une terre d’asile, il devrait être clair que les requérants ne peuvent être renvoyés comme de simples marchandises. Advienne que pourra sur leur lieu de destination. Le renvoi d’êtres humains engage pleinement la responsabilité notre pays et nous devrions être fiers d’avoir l’occasion de mettre en œuvre dans le cadre du système européen de l’asile la valeur « famille » que nous chérissons tant.

Johan Rochel

 

Recherche pilote désespérément pour sauver pays prospère

La discussion autour de la mise en œuvre de l’initiative du 9 février prend des tournures apocalyptiques au lendemain de la publication des nouveaux chiffres de la population suisse par l’OFS. La Suisse arrive à 8,1 millions d’habitants et le solde migratoire 2013 totalise 89'500 personnes. A la lecture de ces chiffres, les cris d’orfraie de toutes les forces politiques semblent se lier pour appeler l’économie à prendre ses responsabilités et à stopper d’engager des ressortissants étrangers. Parmi tant d’autres, Robert Cramer (Verts/GE) et Isabelle Moret (PLR/VD), interrogés dans le Temps du mardi 30 septembre, parlent de « solutions de facilité » et de « responsabilité morale ». Le ton se veut outré, la posture affligée.

Essayons de revenir à l’automne 2013 et de nous imaginer ce que la plupart des politiciens auraient alors dit. Premièrement, l’immigration vers la Suisse est avant tout économique. L’économie recrute des gens car elle tourne à plein régime. A moins que ce pays n’ait définitivement sombré dans une grave schizophrénie, c’est a priori une excellente nouvelle. Deuxièmement, que signifie appeler l’économie à « prendre ses responsabilités » ? Veut-on sous-entendre que l’économie suisse aurait un autre choix que d’engager ces ressortissants étrangers ? Avec un taux de chômage autour de 3%, nous sommes proches du plein-emploi et nous n’avons tout simplement pas les réserves nécessaires de personnel adéquat. On a beau crier de manière presque insultante qu’il faut ressortir les femmes des cuisines et des pampers et raccourcir les retraites anticipées, cela ne suffira pas à combler les besoins d’une économie prospère et florissante. Et le retour de ces personnes sur le marché du travail créera de nouveaux postes de travail. Maudit cercle vertueux de création d’emplois. Troisièmement, ceux qui à l’époque se battaient contre l’initiative de l’UDC auraient rappelé que l’économie planifiée n’avait jamais produit de résultats exceptionnels. En effet, une fois abandonné le contrôle de l’immigration par le système de libre circulation économique, l’alternative consiste à donner à l’Etat mission de déterminer qui peut engager un étranger pour accomplir quelles missions. Voilà ce qu’appellent de leurs vœux nombre de parlementaires autrefois libéraux : une bonne vieille planification pour forcer l’économie à prendre ses responsabilités. Forçons les entreprises à engager des résidents qui ne sont tout simplement pas là, pas assez qualifiés ou qui ne veulent plus travailler. Aux champs !

Mais voilà, tout cela aurait été dit en automne 2013. Depuis le 9 février, nous sommes entrés dans une Suisse de la fermeture et du repli. Ceux qui autrefois montraient les dents se dépêchent aujourd’hui de jouer le jeu des gagnants du 9 février. En chœur, ils répètent le nouveau mantra officiel : oui, l’immigration est un problème, oui le peuple suisse veut moins d’étrangers, oui la Suisse doit redevenir un pays à 4 millions d’habitants.

Mais la décision populaire du 9 février ne change rien sur le fond. L’immigration n’est toujours pas un problème. Bon an mal an, c’est un phénomène qui continuera à nous occuper et qu’il nous faut apprendre à transformer en opportunités. Tenter de « régler le problème » par recours à la planification économique est une illusion aussi forte que dangereuse. Devoir maintenant la mettre en œuvre au titre de décision populaire ne nous dédouane pas de continuer à affirmer haut et fort que le système de libre circulation est un système de contrôle de l’immigration autrement plus efficace. L’équation « un travail=un permis » permet de respecter la liberté des migrants et des entrepreneurs de ce pays.  

Populisme pur que d’affirmer que les entreprises suisses auraient la possibilité de faire autrement tout en maintenant leur croissance. De plus, faut-il rappeler que la Suisse crée massivement des emplois ? Selon les chiffres du SECO, le nombre total (moyennes annuelles) de personnes actives occupées a passé de 4,705 à 4,837 millions de personnes entre 2011 et 2013. Les Suisses ont une attitude d’enfants gâtés irresponsables lorsqu’ils se plaignent que leur économie produit trop d’emplois et de richesses.

Quant à la vision que nous développons du pays pour les trente prochaines années, vivement une Suisse qui se pense comme une métropole nationale : 10 millions d’habitants, des zones urbaines très densifiées, des zones à haute valeur ajoutée où vie économique et sauvegarde du paysage sont réconciliés et des infrastructures de mobilité de haute facture pour les relier. Voici un pays prospère et sûr de lui dans lequel il fera bon vivre.

 

L’après 9 février : l’heure de rassembler la société civile

La rentrée automnale semble inspirer la société civile sur la question de la politique d’immigration et, plus largement, sur nos relations avec l’Union européenne. Alors que la majorité des représentants politiques usent de formules obscures, confinant souvent à l’incantation rituelle sur une supposée « solution » (miracle), la société civile bruisse de mille projets et initiatives. Afin de permettre une discussion axée sur la recherche des meilleures solutions, il est devenu essentiel d’avoir une vue d’ensemble des projets en cours en Suisse romande et en Suisse alémanique (voir ci-dessous les principaux projets rendus publics). Mis côte à côte pour la première fois, ces projets laissent apparaître d’intéressants éléments d’analyse.

Premièrement, les différentes initiatives issues de la société civile semblent toutes partager une analyse pour le moins pessimiste quant à l’équation « respect du choix démocratique du 9 février <=> sauvegarde de l’accord de libre circulation des personnes avec l’UE ». Le constat du « cul-de-sac » l’emporte partout et les différents groupements évoquent volontiers une quadrature du cercle. Les professeurs de droit européen qui prennent position sur cette question – à l’exemple du Prof. Thomas Cottier de Berne ou de la Prof. Christa Tobler de Bâle – considèrent eux-aussi que la Suisse se dirige à grande vitesse vers une violation du traité avec l’UE ou vers le non-respect du choix populaire exprimé le 9 février.

Deuxièmement, les différents projets déduisent de ce constat la nécessité d’une nouvelle votation populaire. Ce rappel aux urnes déboucherait sur l’une de ces situations « win-win » tant appréciées en politique. Il permettrait d’une part de confirmer le choix des citoyens et de l’exprimer cette fois-ci avec toute la clarté nécessaire pour que le Conseil fédéral et le Parlement agissent en conséquence (« souhaitez-vous conserver l’accord de libre circulation des personnes ? »). D’autre part, une nouvelle décision permettrait de préciser les conséquences que le peuple est prêt à accepter (« souhaitez-vous relativiser le choix du 9 février pour le rendre compatible avec l’accord de libre circulation ? »). Dans les deux variantes, un nouveau vote offrirait la possibilité de sortir, au moins du point de vue de politique intérieure, du climat d’insécurité qui règne actuellement. Effet collatéral non-désagréable, il mettrait en avant l’idée de « démocratie de conséquences ». Nos choix de citoyens ont des implications dont nous portons la responsabilité. Si ces conséquences sont balayées par les Parlementaires ou le Conseil fédéral, alors l’exercice démocratique devient une vaste fumisterie.  

Troisièmement, les propositions d’initiatives politiques sont accompagnées et secondées par des « appels» et « manifestes » élaborés par des groupes de personnalités publiques. Ils visent à reposer la discussion européenne en Suisse sur une base à la fois plus solide et plus pragmatique. A ce titre, ils rappellent les fondements des relations Suisse-UE en termes de valeurs, d’histoire et d’intérêts. Ce travail intellectuel est d’ailleurs marqué par le « retour » sur le devant de la scène politique de certains historiens, à l’exemple de la sortie en allemand du livre de Joëlle Kuntz sur l’art de la dépendance ou la nouvelle parution du Prof. Hollenstein « Mitten in Europa : Verflechtung und Abgrenzung in der Schweizer Geschichte ». Plus ou moins volontairement, les historiens se retrouvent partie prenante d’un débat qui voit s’affronter plusieurs lectures de l’histoire suisse dans et par l’Europe. A coup sûr, ils joueront dans les débats politiques à venir un rôle crucial.

S’ils partagent ces points communs, les différentes initiatives et projets défendent des positions différentes sur l’opportunité de lier le dossier migratoire avec le dossier européen. D’après les informations en provenance de Bruxelles, les négociations sur les « questions institutionnelles » sont bien avancées et un résultat se dessine à l’horizon des prochains mois. Le débat suisse sur la question s’annonce extrêmement émotionnel. D’un point de vue tactique, il faut dès lors certainement renoncer à une votation mettant en jeu le destin européen de la Suisse (migration + questions institutionnelles + article sur les valeurs communes).

Comment poursuivre le débat ? La société civile doit chercher à coordonner ses actions et ses projets. Il ne sera certainement pas facile de construire un projet commun avec une telle diversité d’acteurs. Et pourtant, face à un contre-mouvement bien organisé, fortement doté sur le plan financier, seul un front commun peut espérer regagner l’initiative. En plus de se faire concurrence sur le marché très disputé de l’attention politique et de mobiliser des précieuses ressources financières et humaines, des petits projets épars n’ont aucune chance de créer une majorité. Une fois cet effort de coordination réalisé, la société civile doit ensuite renforcer ses liens avec les élus fédéraux. Il faut à tout prix parvenir à faire cesser l’omerta qui règne sur la question européenne en soutenant les quelques élus encore prêts à en débattre de manière constructive. Alors que les préparatifs pour 2015 vont bon train dans les partis, l’Europe – à la fois l’UE et le Conseil de l’Europe – doit redevenir un thème essentiel pour une Suisse ouverte, libérale et prospère.

Johan Rochel

 

Projets d’initiatives populaires

1. « Raus aus der Sackgasse » ("Sortir de l’impasse")

Texte d’initiative : l’Art. 121a et ses dispositions transitoires sont abrogés.

Le comité d’initiative note que le choix du 9 février ouvre des fossés et risque de diviser pour des années les cantons, les régions, les branches professionnelles et les partenaires sociaux. De plus, il remet fondamentalement en question la voie bilatérale et crée une insécurité juridique insupportable pour l’économie et toutes les personnes concernées.

 

2. « Article Europe 2016 » (proposée sous forme d’initiative parlementaire)

Présentation du projet dans la NZZ et dans le Temps

Texte d’initiative (traduction inédite par le soussigné)

1. La Confédération suisse participe au processus d’intégration européenne. Elle reconnaît et soutient les valeurs fondamentales de paix, de liberté et de prospérité ancrées dans les traités du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

2. Afin de renforcer l’économie suisse, sa compétitivité et de contribuer à un développement durable, la Suisse s’efforce de développer une participation approfondie au marché unique de l’UE et dans d’autres domaines politiques.

3. Dans le cadre des traités existants, la Confédération et les cantons prennent en compte les besoins de la population résidente, notamment dans les domaines du transport, du travail, de l’éducation, de la planification du territoire, du partenariat social et de la sécurité sociale.

Les articles 121a et 197 (9) de la Constitution fédérale sont abrogés.

 

Choix parmi les autres projets rendus publics

1. Plan stratégique du NOMES pour 2014-2015

Pour éviter l'isolement complet de la Suisse, "un nouveau vote doit être envisagé, qui permette d'éliminer les attaques contre la libre circulation des personnes figurant dans l'article constitutionnel adopté le 9 février 2014. Cette démarche est la seule susceptible de garantir la survie d'accords bilatéraux aujourd'hui menacés".

 

2. Die Schweiz in Europa: Aufruf besorgter Bürgerinnen und Bürger

Document de réflexion présentant entre autres 4 raisons de défendre un dialogue européen constructif: l’histoire commune entre la Suisse et l’UE, les valeurs communes, l’interdépendance, la pertinence de l’Europe dans le monde.

Auteurs du papier de réflexion : Thomas Cottier, Alexandre de Senarclens, Peter-Max Gutzwiller, René Jost, Eric Kistler, Giusep Nay, Gilles Petitpierre, Remigio Ratti, Jean-Pierre Roth, Friedrich Sauerländer, Benedikt von Tscharner, Luzius Wasescha, Jean Zwahlen.

 

3. Opération Libero

Mouvement pour la promotion de la Suisse de demain : prospère, innovante, ouverte, respectueuse de l’Etat de droit, prête à garantir l'égalité des chances. Le manifeste intitulé "Nous les descendants de 1948" dans le journal Die Zeit.

 

4. Mobilisation des scientifiques autour du Prof. Adriano Aguzzi

Après une tribune parue dans la BAZ sous le titre « L’isolation met en danger la place scientifique Suisse », un mouvement issu des milieux de la recherche est en phase de se former pour défendre l'excellence de la Suisse.

 

 

 

Bâle et Easyjet contre Paris et l’UDC ?

J’ai d’abord cru à un arrangement de coulisses. Une alliance folle entre l’aéroport de Bâle, Paris, Berne et Easyjet pour exposer aux citoyens suisses la nécessité vitale de respecter le droit international. Pour démontrer en temps réel l’erreur d’un petit pays tenté par la voie de l’isolation et de la confrontation. Mais l’affaire n’a rien d’un arrangement. En cette période rentrée scolaire, l’actualité rattrape même les fins stratèges marketing de l’UDC. « Stop avant le choc » diraient certains.

Le conflit entre la Suisse et la France au sujet de l’aéroport de Bâle-Mulhouse pourrait servir de cas d’école à une discussion sur la pertinence du droit international. Loin de l’habituelle litanie sur les horribles juges de Strasbourg et l’emprise tentaculaire des perfides droits de l’homme, le traité international de 1949 relatif à l’aéroport binational traite de questions pratiques. De zones d’échanges, de système fiscal, de passages de marchandises. Un traité qui favorise le commerce et facilite la coopération entre deux pays.

Et voilà que l’une des parties décide de rompre ses engagements. Le traité n’est pour l’heure pas dénoncé en bonne et due forme, mais la France a déclaré ne plus vouloir s’y tenir. Elle impose le principe de territorialité et reprend le contrôle de ce qu’elle considère comme « son » aéroport. Le secteur suisse qui était pour l’heure soumis au régime fiscal suisse va tomber dans l’escarcelle de fonctionnaires parisiens heureux de récupérer quelques louis d’or. Quelques 6'000 personnes réparties dans 120 entreprises s’occupent de près de 6 millions de voyageurs par an. Le bruit des piécettes a sonné doux aux oreilles de Bercy.

L’incertitude n’étant pas l’amie des entrepreneurs, la compagnie Easyjet a immédiatement annoncé le gel des investissements prévus à Bâle. Elle se donne le temps d’observer l’avancée des négociations diplomatiques et de prendre sa décision en fonction du résultat. Le DFAE affiche sa confiance en espérant une solution négociée. Comme l'explique Antoine Schnegg de l'université de Zurich sur le blog du foraus – Forum de politique étrangère, le traité de 1949 prévoit le recours à la Cour internationale de justice de la Haye pour trancher un litige. Pendant ce temps, on imagine aisément que les entreprises de sous-traitants et leurs employés de la région bâloise passent des soirées moins sereines.

Sous nos yeux ébahis, nous voyons à l’œuvre les effets de la potentielle future initiative de l’UDC sur la primauté du droit national sur les engagements internationaux de la Suisse. Nous observons avec intérêt les conséquences néfastes en termes de confiance mutuelle que provoque une rupture unilatérale d’un traité international. Nous contemplons avec stupeur les conséquences économiques immédiates que trainent dans leur sillage l’incertitude et l’instabilité. Nous prenons acte que si la France peut se permettre de défier ouvertement un ami et voisin dans la proximité immédiate d’un centre économique comme Bâle, la Suisse n’a d’autre choix que de chercher à renforcer le droit international.

Berne, Paris et Bâle finiront par trouver une solution. D’ici là, gardons cet épisode bien à l’esprit. Il nous rappelle avec un timing presque parfait la tentation funeste de préférer le règne de l’incertitude à celui du droit. La vraie Suisse souveraine n’a d’autre choix que de renforcer ses engagements internationaux.

 

 

 

Un noeud et ses fils, le droit international et l’UDC

Voilà une année que l’UDC avait promis une initiative sur le rapport entre droit international et droit suisse. Silence radio pendant de long mois. Mi-juillet 2014, Stefan Schlegel parlait d’un « avis de disparition » dans l’hebdomadaire Die Zeit. Le temps nécessaire à la formulation du texte d’initiative en dit d’ores et déjà long sur les difficultés inhérentes à ce projet. Au cours de séances interminables, il faut s’imaginer les stratèges de l’UDC cherchant à démêler pour mieux embrouiller les fils des traités internationaux par lesquels la Suisse s’engage. Au final, le nœud s’est compliqué et le texte met véritablement en danger la capacité d’action internationale de la Suisse.

Il faut revenir à l’objectif initial poursuivi par l’UDC: dénoncer un droit international pensé comme un carcan qui empêche le peuple suisse de décider librement de son destin. A cette fin, le parti entretient une opposition artificielle entre le droit international et le droit suisse. Le droit suisse serait le fait de citoyens éclairés tandis que le droit international serait imposé à la faible Suisse. Cette opposition manque toutefois de souligner que le droit international relève de l’engagement de la Suisse. Lorsqu’elle signe un accord de libre-échange avec la Chine, lorsqu’elle négocie un accord sur l’électricité avec l’UE, lorsqu’elle ratifie la Convention européenne des droits de l’homme, la Suisse s’engage et fait valoir ses intérêts.

Ces engagements internationaux et les projets législatifs puisent leur légitimité à la même source (les choix des citoyens). Ils peuvent bien entendu être en tensions. La situation n’est pas celle d’une personne qui se verrait imposer des obligations de l’extérieur, mais celle d’une personne ayant promis de faire plusieurs choses incompatibles. Propriétaire d’un terrain, j’ai choisi de le vendre et en même temps j’ai mandaté une entreprise pour y construire une maison. Les deux projets sont incompatibles et il faut choisir lequel poursuivre. L’architecte et le constructeur de piscine ne seront certainement pas heureux, à moi de trouver une solution avec mes partenaires. Dans notre vie quotidienne comme dans les relations internationales, les promesses et les engagements ne sont pas de vains mots: ils sont l’expression de la liberté d’agir. Sans eux, aucune société organisée ne peut exister et l’anarchie règne.

Le texte de l’UDC veut une Suisse qui ne s’engage pas et qui ne peut pas tenir ses promesses. Comment vont réagir nos partenaires si au cours d’une négociation, ils remarquent que la Suisse promet quelque chose mais qu’une décision ultérieure pourra systématiquement rendre cet engagement inopérant? Comme quand nous jouions dans la cour d'école, nous promettons tout en croisant les doigts dans le dos. Si elle veut rester crédible, la Suisse doit accepter que le droit international soit prioritaire. L’UDC le reconnaît elle-même à travers sa proposition d’article 56a de la Constitution: La Confédération et les cantons ne prennent pas d'engagement en droit international qui contreviennent à la Constitution fédérale. En cas de contradiction, ils veillent à l'adaptation des engagements de droit international aux exigences de la Constitution, si nécessaire en résiliant les traités de droit international concernés. Mais pourquoi prendre cette précaution, vu que le «droit suisse» prime de toute façon? Pourquoi est-il nécessaire de dénoncer des traités que la Suisse ne serait, soi-disant, pas tenue d’observer? Parce que le droit international, par son existence même, doit avoir priorité et que l’UDC ne parvient pas à changer cette réalité. L’initiative est prise au piège de la question qu’elle pose. Le droit international reste prioritaire, car sinon il disparaît.

Il serait faux de conclure que la Suisse est prise au piège de ses engagements. Dans certains cas exceptionnels, elle peut choisir de résilier les engagements qu’elle a pris, le tout dans le respect de ses partenaires et en acceptant de prendre ses responsabilités. Une initiative intéressante aurait pu porter sur cette question: comment permettre aux citoyens d’avoir leur mot à dire dans la dénonciation de certains traités? Le choix du 9 février a montré que cette question était cruciale. En rétablissant les contingents, la majorité a-t-elle dit clairement qu’elle souhaitait dénoncer l’accord de libre-circulation avec l’UE? La question n’était pas posée assez clairement pour permettre une réponse limpide. L’insécurité du droit et une position de négociations exécrable découlent directement de cette situation brumeuse.