1-12: la passion de l’égalité

Les opposants à l’initiative « 1-12 » se battent à coups de chiffres. A première vue porteuse, la stratégie s’expose néanmoins à deux difficultés. Elle repose premièrement sur une projection empirique contestable : les fameuses batailles de chiffres où tout et son contraire semblent possibles. Deuxièmement, si les initiants parviennent à rendre crédibles qu' « 1-12 » ne nuit pas aux assurances sociales et à l'économie, les opposants se retrouveraient alors comme le roi : nus. Il faut donc relever le défi lancé par les initiants et s’attaquer aux intuitions morales qu’ils cherchent à actionner. De manière schématique, deux intuitions principales sont à l’œuvre : celle touchant au « 1 » et celle touchant au « 12 ».

Deux intuitions morales

L’intuition touchant au « 1 » a trait au niveau de subsistance absolue que chacun devrait pouvoir atteindre, par ses propres moyens ou grâce à l’aide de la communauté, afin de lui garantir une existence digne. Ses ennemis sont la pauvreté, l’exclusion sociale, les working poors. Cette intuition est très puissante car elle touche directement à la conviction qu’une société aussi avancée que la nôtre – sur le plan matériel comme sur le plan des principes – ne devrait pas permettre à quelqu’un de tomber sous un certain seuil de dignité.

L’intuition touchant au « 12 » est moins claire. C’est celle qui nous fait dire, sur la base d’un sentiment d’injustice ou d’une pointe de jalousie, que certains gagnent simplement « trop », qu’il y a de l’ « abus » et qu’il faut « en finir » au plus vite. Ici, il n’est pas question de niveau absolu de richesse ou de pauvreté, mais bien d’une comparaison entre ce que gagne un employé et un patron.

Comment tester nos réactions face à deux intuitions ? Imaginons que grâce à la baguette magique que tous les chroniqueurs possèdent, chacun soit assuré de gagner 4500.- par mois et d’ainsi pouvoir vivre dignement. Le salaire d’un Vasella nous paraitrait-il toujours aussi choquant ? Serait-il plus choquant dans une Suisse où la moitié de la population gagnait moins de 2500.- par mois ?  

Réagissant à cet exemple, j’ai l’impression que bon nombre de concitoyens sont enclins à voter « oui » à l’initiative « 1-12 » car ils sont à juste titre choqués que tout le monde ne puisse pas vivre dignement de son travail (le « 1 »). A ce titre, il importerait donc de se battre pour que l’exercice d’un travail permette de vivre dignement et que le filet social reste une véritable protection contre la pauvreté. Mais si tel est l’objectif – crucial ! – alors l’initiative « 1-12 » manque sa cible, ne permettant pas ou à trop de frais de faire avancer la cause du « 1 ».

Mais d’autres concitoyens souhaitent peut-être tout simplement limiter les hauts salaires (le « 12 »), indépendamment de savoir si la partie la plus faible de la population pourrait en profiter. Les opposants à l’initiative répondent systématiquement à cette question en évoquant deux arguments. Premièrement, ils avancent qu’en cas de limitation, les entreprises et leurs managers fuiraient à l’étranger. L’argument m’apparaît peu solide sur le plan intellectuel et incertain sur le plan empirique. Deuxièmement, certains tentent de montrer que les dirigeants « méritent » ces rémunérations. En toute honnêteté, l’argument du « mérite » paraît pour le moins discutable.

Au cœur de l’argument : la liberté individuelle

Le cœur de l’argument contre une limitation des hauts salaires se trouve dans la valeur de liberté individuelle et dans la distinction entre critique justifiée et contraintes légales. Sur le premier point, derrière le choix de payer x milliers/millions de francs une personne se cache la volonté d’un individu agissant en tant que propriétaire (une personne seule dans une PME, un groupe d’associés ou une assemblée générale d’actionnaires). Il en va de la liberté d’un propriétaire de réaliser des choix stratégiques pour son entreprise.  Cette liberté « économique » n’est pas une liberté d’un type étrange et mystérieux : c’est une partie essentielle de ma liberté individuelle, celle qui me permet de choisir librement mes opinions, de faire le métier que j’ai choisi et de boire plus volontiers un vin valaisan qu’un vaudois.

Imaginons que je touche un héritage de 10 millions de ma vieille tante américaine et que je décide de monter une entreprise avec deux employés. J’engage une cheffe et un secrétaire pour une durée totale d’une année. Je décide de payer le secrétaire 10'000.- par mois et de verser les quelques 9 millions et des poussières à la cheffe. Ce choix est certainement stupide et complètement irrationnel. Mais c’est mon choix, l’expression de ma liberté de propriétaire.

Cet élément fait écho au deuxième point évoqué plus haut: la distinction entre critique justifiée et contraintes légales. Le fait que mon choix soit stupide et critiquable fournit-il une raison suffisante pour m’interdire de choisir comment employer mes 10 millions ? Transposé à la réalité: on peut et on doit certainement critiquer le choix des propriétaires de Novartis de payer Vasella dans de telles proportions. Il est souhaitable que sa rémunération soit l’objet de nos critiques et de notre courroux de consommateurs. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour l’interdire légalement. Dans ce cas, il n’y a pas d’inconsistance à refuser d’interdire tout en critiquant vertement.

Mais un propriétaire pourrait-il alors simplement décider de payer ses employés 5.-/heure, arguant qu'il s'agit de sa liberté? Par contraste avec le cas de la limite supérieure, la valeur de liberté entre directement en conflit avec la valeur de dignité exposée plus haut. Le point essentiel semble être que le « 1 » (le secrétaire dans mon exemple) gagne suffisamment pour vivre dignement et que la nécessité d’assurer cette dignité justifie des interventions plus musclées que dans le cas des hauts salaires. L’une de ces interventions consiste dans la progressivité de l’impôt. Le revenu de Vasella doit être taxé de manière progressive, permettant d’assurer une redistribution juste et équitable des ressources et le maintien d’un solide filet de protection sociale (le « 1 »).

Bis repetita : une limite aux différences de salaires ?

Notre analyse a établi que la valeur de liberté devrait plus facilement céder sa place dans le cas des très bas salaires (le « 1 »), alors qu’elle devait être considérée prioritaire vis-à-vis du « 12 ». Reste tout de même une difficulté. Même dans l'exemple hypothétique d'une Suisse où tous peuvent vivre dignement, il semble exister une limite à la différence relative entre les salaires. Passé cette limite qu’on exprime souvent en termes de « cohérence de société », le vivre-ensemble s’effondrerait. Admettons qu’il soit plausible que cette limite existe quelque part, à un point qu’il est (extrêmement) difficile de définir. Toutefois, reconnaître que cette limite existe ne résout pas notre difficulté.  

Premièrement, le fait que cette limite existe ne fait pas disparaître la pertinence de la valeur de liberté. On se trouve dans un conflit de valeurs où la liberté s’oppose à la valeur de cohérence d’une société. La solution ne passe pas par le sacrifice d’une des valeurs, mais par une solution ménageant les valeurs reconnues comme importantes. L’aspect mécanique de « 1-12 » manque ici totalement la cible. A l'image de l'idée avancée par le philosophe John Rawls (1921-2002) dans sa Théorie de la justice (1971), il serait intéressant de chercher à lier la légitimité des inégalités économiques (les "12") à la défense des intérêts des plus faibles (les "1").

Deuxièmement, et c’est le plus central, le combat pour la cohérence et le vivre-ensemble ne se gagne pas avec une limitation des hauts salaires. Il se gagne bien plus dans le combat pour une véritable égalité citoyenne. Chacun doit être reconnu et défendu comme personne et comme citoyen. Le plus petit des « 1 » doit pouvoir regarder dans les yeux les autres membres de la société et les considérer comme des égaux, même les plus grands « 12 ».

Cette égalité citoyenne peut être défendue de multiples façons. Elle devrait d’une part être garantie par le maintien d’un Etat social fort basé sur un mécanisme de taxation et de redistribution. D’autre part, elle devrait être sauvegardée en régulant l’influence de l’argent sur les mécanismes de décisions politiques. A titre d’exemple, de trop hauts salaires deviennent un danger s’ils permettent d’acquérir un pouvoir qui ronge les fondements de notre démocratie. Plutôt que de chercher à plafonner arbitrairement les salaires, cherchons à assurer la transparence du financement des partis et la lutte contre la corruption.

Au final, l’initiative « 1-12 » peut être interprétée comme se concentrant sur le « 1 » : un objectif louable, mais une réponse inadaptée. Préférons-lui un Etat social fort et un système de taxation-redistribution équitable. L’initiative peut aussi être lue en se concentrant sur le « 12 » : la défense de la valeur « liberté », essentielle pour chacun d’entre nous, devrait alors toutefois l’emporter et d’autres manières de garantir l’égalité citoyenne devraient être favorisées.

 

Le nouveau Didier Burkhalter en trois images

Hier soir dans la prestigieuse Aula de l’université de Zurich – où Winston Churchill appela en 1946 à fonder les Etats-Unis d'Europe – Didier Burkhalter n’a pas déçu un public venu l’écouter parler d’Europe. Engagé et précis, divertissant et accessible, le ministre des affaires étrangères s’est présenté sous un jour conquérant. Il paraît loin le temps où le successeur de la pétulante Calmy-Rey semblait acculé, tant par ses partenaires européens que par les partis nationaux.

Didier Burkhalter est venu plaider sa cause, sa solution aux fameuses questions institutionnelles. Mais au-delà du fond, dévoilé depuis cet été, c’est la forme qui a connu un bouleversement d’importance. L’argumentaire du Conseiller fédéral était tout entier construit à l’aune des générations futures. A plusieurs reprises, il plaça ainsi son action dans une perspective temporelle longue, arguant que les choix devaient être faits aujourd’hui pour assurer la prospérité des Suisses de demain. Un choix stratégique pour s’élever au-dessus de la mêlée politique quotidienne et mettre ses objectifs dans une juste temporalité.

Dans le même temps, Didier Burkhalter a soigné l’accessibilité de son propos en argumentant par le biais d’images simples et parlantes. Trois images phares ont marqué son discours. Premièrement, l’UE est comparable à un train en marche. Les relations entre la Suisse et ce train en marche ressemblent donc au choix d’un voyageur sur le quai de gare. La Suisse veut-elle tenter d'accompagner ce train, à défaut d'y monter, ou laissera-t-elle l’Union aller son chemin sans chercher à entretenir des relations solides avec elle ? L’image du train est forte car elle permet de rendre compte que le statu quo n’existe pas dans nos relations avec l’UE. L’Union avance et si la Suisse ne réagit pas, sa situation se détériore petit à petit.

Deuxièmement, Didier Bukhalter a rappelé en français dans le texte que les vendanges venaient de commencer à Neuchâtel. Et que, selon la sagesse populaire, il fallait savoir cueillir le raison quand il est mûr. Comprenez : nos relations avec l’UE laissent ouverte une fenêtre d’opportunités peut-être unique pour un règlement des questions institutionnelles. De plus, le changement d’équipe à la Commission pourrait remettre en cause le goodwill existant. Ceci explique pourquoi la pression est à la hausse sur ce dossier, Didier Burkhalter évoquant une conférence politique d’importance mi 2014. Le message est clair à l'encontre de tous ceux qui veulent jouer la montre: si nous n’y allons pas, nous n’aurons au mieux que quelques bouteilles de surmaturé et pas mal de raisons gaspillés.

Troisièmement, afin d’expliquer la nécessité d’un renouveau institutionnel, le Conseiller fédéral a comparé nos accords européens avec un vieil ordinateur dont les softwares ne seraient plus à jour. Le matériel évolue et il faut adapter nos programmes afin de continuer à réaliser des performances similaires et surtout, faisant le lien avec l’image du train, afin de poursuivre une coopération efficace avec notre partenaire. Les commodores n'ont qu'à bien se tenir.

Le public de l’Aula de l'université de Zurich l’a immanquablement senti : Didier Burkhalter et son équipe sont entrés en campagne. A l’horizon, il y a bien sûr les votations sur la libre circulation, mais également un referendum sur les questions institutionnelles. Loin d’être un ennemi, l’UE est un partenaire de choix avec lequel il faut trouver un moyen d'assurer notre "indépendance" et notre "prospérité". Il est déjà bien tard pour tenter d’inverser des logiques que certaines franges politiques – dont celle du Conseiller fédérale Burkhalter – acceptent depuis trop longtemps. Mais il se dit que quand l’orage gronde à l’horizon, les vignerons neuchâtelois peuvent travailler vite et bien.

Obligation de servir: les chiffres à ne pas manquer

Le débat sur l’armée s’est embourbé et tous semblent heureux d’en finir au plus vite. Tout porte à croire que le GSsA va perdre ce dimanche sur un score qui ne reflètera malheureusement pas les défis auxquels l’armée suisse est confrontée. Certains n’hésitent pas à parler d’une campagne ratée.

Mais l’échec programmé de ce dimanche ne signifie pas la fin du débat nécessaire sur la justification et le type d’obligation de servir que souhaitent les citoyens. Les partisans de l’obligation de servir devraient même remercier le GSsA de les rappeler à la nécessité de repenser le système actuel. Les fissures deviennent chaque jour plus importantes, comme le rappelait un communiqué de la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesse au début du mois. Autant dire que le réveil pourrait être cruel pour ceux qui croient que la question de l’obligation de servir est définitivement rangée au placard des vielles utopies soixante-huitardes.

Ce dimanche et dans les analyses qui suivront, il sera intéressant de bien observer les résultats de l’initiative chez les citoyens de moins de trente ans. Premièrement, ce sont qui sont au premier chef concernés par l’obligation de servir. Rappelons qu’en théorie, chaque jeune homme de ce pays est appelé à donner une année de sa vie à la patrie pour le bien de la communauté. Vu d’un autre angle, il s’agit bel et bien d’une majorité de la population qui force une minorité à se mettre à son service. Cette minorité a droit à une réponse claire à la question essentielle que posait l’initiative du GSsA : quelle est la justification de cette année de sacrifice à la patrie? Question d’autant plus douloureuse lorsque près de 50% des concernés échappent d’une façon ou d’une autre à cette obligation et que la moitié de la population, à savoir les jeunes femmes, n’est pas du tout touchée par cette obligation.

Deuxièmement, ces résultats seront particulièrement intéressants car ils reflètent l’avis de la génération qui sera au pouvoir dans quelques décennies. Quelle sera leur position sur l’obligation de servir et le maintien d’un système de milice ? Comment réagira une génération qui a un tout autre rapport à l’armée, aux cours de répétition et aux séances de tirs obligatoires ? Sur la question de l’évolution de l’armée, les dés sont certainement jetés pour de nombreuses années encore. Les réformateurs des différents partis du centre et de droite sont trop peu écoutés et la tradition impose sa chape de plomb. Je me réjouis de découvrir de quelle obligation et de quel service à la communauté la nouvelle génération rêve.

Partenariats migratoires: et si le piège se refermait sur la Suisse?

Je fais le pari que certains parlementaires fédéraux rêvent de partenariats migratoires. Ces derniers sont censés permettre à la Suisse de renvoyer les immigrants indésirables, d’encourager le développement économique et social des pays partenaires et de surmonter de graves problèmes de coordination. Le tout pour un prix raisonnable, à savoir quelques offres de formation et places de travail. Dans le langage des spécialistes, ce Graal s’appelle une situation « win-win-win ».

Le dernier papier de discussion du foraus – Forum de politique étrangère remet profondément en question cette lecture positive. On connaissait déjà les tensions importantes que comporte la coopération avec certains Etats peu « regardants ». En effet, comment justifier que la Suisse conseille les forces de police chargées de surveiller les frontières dans des Etats ne respectant pas certains droits fondamentaux ? Le partenariat migratoire peut rapidement se transformer en pacte avec des forces obscures.

La dernière analyse du foraus met en lumière un aspect peu discuté des partenariats migratoires : l’engrenage négatif qu’ils pourraient représenter pour la Suisse. Du point de vue de la dynamique de négociation, la Suisse part en effet avec une position pour le moins inconfortable. En politique intérieure, la pression grandit chaque jour sur deux fronts : renvoyer le plus rapidement possible les requérants d’asile déboutés et limiter au minimum l’immigration économique hors-UE. Avec ces deux contraintes, la Suisse perd toute chance de négocier un partenariat intéressant. En effet, elle ne peut offrir à son partenaire aucune contrepartie intéressante (c’est-à-dire des opportunités d’immigration légale à des fins professionnelles). Par contre, le partenaire peut exploiter la faiblesse suisse en faisant monter les enchères pour reprendre ses ressortissants. En théorie de négociation, on appelle cela une position perdante. En politique migratoire, un échec programmé.   

Il serait toutefois faux de nier le potentiel des partenariats migratoires, à condition toutefois qu’ils deviennent de véritables partenariats et non des accords de réadmission à peine emballés. Afin que ces partenariats n’aient pas pour effet d’institutionnaliser la dépendance suisse vis-à-vis des Etats d’origine,  la Suisse doit accepter d’entrer en matière sur la question de l’immigration légale. De plus, en politique interne, il faut parvenir à orienter le débat sur des dimensions autrement plus fondamentales que le renvoi. Les dimensions démographiques – la Suisse manquera bientôt de bras ! – et de développement – comment organiser les flux migratoires afin de favoriser un développement harmonieux ? – devraient ici être au cœur de nos réflexions.

L’instrument des partenariats migratoires dans la politique migratoire : un changement de paradigme dans le traitement des questions migratoires ? – Gabriela Medici, Stefan Schlegel, Anna Stünzi – foraus Forum de politique étrangère.

Nouvelle initiative: un service pour les aînés!

Au vue de la tournure du débat sur la votation sur l’obligation de servir, j’ai décidé de lancer une nouvelle initiative populaire. Ce billet fait office d’appel à tous les intéressés pour former et rejoindre un comité d’initiative. En un mot, il s’agit de créer un nouveau service obligatoire pour les ainés. Les hommes de plus de 65 ans seraient ainsi intégrés dans différentes missions pour le bien commun. Ces missions seraient autant d’occasions de profiter de l’expérience, des connaissances et des réseaux des jeunes retraités pour poursuivre de nobles causes. Une partie des ainés serait ainsi déléguée à des missions de surveillance des villes et des quartiers, une autre à l’entretien des jardins publics et des sentiers de forêts, tandis qu’une troisième s’occuperait des ainés du 4ème âge. Ce service des ainés serait obligatoire pour tous les hommes de plus de 65 ans et durerait six mois. En guise d’équipement, les ainés seraient armés de l’essentiel : un uniforme seyant et un couteau suisse.

Ce projet d’initiative est promis à un bel avenir. Pour l’argumentaire, il suffira de copier celui employé pour l’armée et de changer l’âge des recrues et la durée du service. Le principe de base reste le même. Pour la poursuite du bien commun, la majorité des citoyens va forcer une minorité à se mettre à son service. Pour l’armée, les jeunes dans la vingtaine ; pour le service des ainés, les jeunes retraités. La justification reste également la même : il est indéniable que les ainés seraient très utiles aux différents objectifs de première importance évoqués plus haut. A leur manière, ils feront avancer la sécurité, la propreté et la cohésion sociale. Peut-on imaginer valeurs plus importantes ? De plus, ce service des ainés permettra de renforcer l’unité nationale en faisant coopérer des Romands, des Suisses alémaniques et des Tessinois. Effet secondaire positif et non-négligeable : ce service sera l’occasion de recadrer certains ex-soixante-huitards un peu délurés. Il n’est jamais trop tard pour une bonne école de vie. A ce titre, le service des ainés ne connaitra que deux grades : l’ainé-soldat et l’ainé sergent-major. Un gage de discipline dans les abris PC et de qualité dans l’accomplissement des missions.

Comme pour l’armée, les femmes retraitées seront exclues de l’obligation de servir. Je discuterai avec mon futur comité de l’argumentaire précis, mais deux pistes s’ouvrent à nous. Nous pourrions laisser entendre qu’elles ne sont pas capables de faire ce service. Mais cette option est risquée et elle sera certainement critiquée. Nous y aurons recours de manière détournée, en montrant qu’au fond les femmes sont appelées à remplir d’ « autres » tâches. Ainsi, notre argument principal sera de rappeler le fait – indéniable – que les femmes travaillent bien plus que les hommes pour la collectivité. Les enfants, qu’elles élèvent seules à la lueur de l’amour, ne sont-ils pas le plus beau cadeau qu’elles peuvent faire à notre Suisse ?

J’espère que ce blog marquera le début d’une belle aventure démocratique. La Suisse n’a que de bonnes raisons de forcer ses ainés à se mettre à son service. Après tout, que sont six mois d’engagement pour le bien commun en comparaison de la qualité de vie que nous garantit ce beau pays ?

L’UDC et le droit international : coup tactique dans une partie au long cours

L’UDC a présenté à la presse ses réflexions sur les défis que le droit international et les fameux « juges étrangers » posent à la Suisse. Dans ce qu’elle appelle un « document de fond », l’UDC esquisse les manières pour la Suisse de « reprendre le contrôle » de son droit "national".

Des commentateurs avertis ont dénoncé la faiblesse des analyses proposées, le manque d’intérêt des « solutions » avancées et l’impression de fatras qui se dégage du document. Ces réactions essentielles dénoncent à raison un papier de position dont la qualité laisse à désirer – alors que les questions intéressantes et difficiles sont légion. L’UDC aurait-elle tiré un coup dans l’eau ? A l’aune d’une pointe de cynisme et de stratégie politique, le papier de position présenté par l’UDC se lit pourtant comme un coup tactique dans une partie qui s’annonce très longue, dépassant largement l’échéance des élections de 2015.

J’interprète la stratégie de l’UDC de la manière suivante. Reprenant à son compte les aventures de Don Quichotte, le parti agrarien s’invente en constructeur de moulin. Il y met pêle-mêle le droit international général, les droits de l’homme, les « juges étrangers » et l’interdiction de la torture. Le moulin tient à peine debout tant ses fondations sont tremblantes. Qu’importe : il s’agit d’un moulin de paille ! Il ne reste plus qu’à se jeter dessus de toutes ses forces, clamant que l’avenir du pays est en jeu.

Le coup tactique consiste donc à créer un objet de discussion qui, en tant qu’unité, n’existe pas. Le papier présenté par l’UDC ne vaut pas pour les analyses qu’il propose, mais pour l’ennemi qu’il construit et désigne. Avec ce papier, la distinction entre droit national et droit international se retrouve à l’avant-plan. Elle s’impose sur le débat, rendant extrêmement périlleuse la situation de ceux qui doivent expliquer que le droit international est du droit suisse, qu’il reflète les engagements pris par la Suisse et que les deux ne sont pas clairement séparables. Avec ce papier, les juges internationaux deviennent des « juges étrangers », convoquant des images de baillis régnant sur une pauvre petite Suisse esseulée. Avec ce papier, les droits de l’homme sont imposés de l’extérieur à la Suisse, perçue comme étant incapable d’assurer elle-même la défense de ses citoyens.

Le papier de l’UDC crée le moulin – il serait faux de seulement critiquer les pâles, le rendement en blé ou la couleur des murs. Il faut remettre radicalement en question le moulin lui-même et expliquer pourquoi il n’existe pas en tant que moulin. En d’autres mots, il faut re-séparer ce que l’UDC tente de traiter d’un bloc. Ce travail – de toutes les interviews, de toutes les discussions – passe par une intraitable exigence sur la langue. Chaque détail doit être combattu, afin de ne pas laisser s’installer dans le débat de fausses dichotomies, de faux concepts, de fausses idées. A titre d’exemple, les commentateurs du papier de l’UDC se servaient à pleines mains du concept de « juge étranger » en parlant de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Les commentaires apportés ont beau être correctes, l'essentiel se joue dans un concept qui s’impose peu à peu dans le débat. Il faut à tout prix contester ce concept, en expliquant pourquoi il s’agit de juges internationaux et quel rôle joue le(s) juge(s) suisse(s) à Strasbourg. Le défi est de taille, car parler du problème, c’est déjà le nommer et lui donner vie. Ce modeste blog l’apprend à ses frais.

S’agit-il de détails académiques réservés à quelques élus ? Loin s’en faut ! A sous-estimer la bataille des concepts et de la langue, on s’étonnera un jour de ne même pas être convoqué à la guerre pour laquelle on se prépare tant. Car la guerre du droit international n’aura peut-être pas lieu : les forces progressistes de ce pays l’auront déjà perdue.

« Regarde, ami Sancho ; voilà devant nous au moins trente démesurés géants, auxquels je pense livrer bataille et ôter la vie à tous tant qu'ils sont. Avec leurs dépouilles nous commencerons à nous enrichir ; car c'est prise de bonne guerre, et c'est grandement servir Dieu que de faire disparaître si mauvaise engeance de la face de la terre. »

Asile en 2013: la bataille de Bremgarten

Qui aurait pensé qu’une bataille symbolique se jouerait dans la petite commune de Bremgarten ? Le 6 août passé, la commune de 6500 habitants du canton d’Argovie a vu s’ouvrir sur ses terres un centre de requérants d’asile conduit par la Confédération. Selon les informations parues dans la presse, l’Office fédéral des migrations (ODM) aurait accepté certaines « conditions » posées par la commune et ses autorités, les plus sensibles concernant l’interdiction d’accès à la piscine, aux terrains de sports ou à d’autres places publiques.  

Bon gré mal gré, le climat délétère autour de l’asile transforme notre façon de percevoir la réalité et je serais prêt à parier que la plupart des lecteurs ont parcouru la phrase précédente sans sourciller. Exiger d’interdire la piscine ou le stade de foot aux demandeurs d’asile est devenu politiquement acceptable, même auprès d’un office fédéral. C’est dire si l’affaire de Bremgarten, qui pourrait être vue comme une aventure estivale, est en fait une bataille de la plus haute importance. Excusez la formule grandiloquente, mais il n’en va ni plus ni moins que de la défense de certains principes absolument fondamentaux de notre pays.

Le premier de ces principes, c’est bien sûr la non-discrimination. Et pour débusquer une discrimination et montrer son absurdité, l’arme absolue reste l’analogie. Imaginons donc que la commune de Bremgarten souhaite interdire l’entrée de sa piscine à tous les amateurs de musique pop. C’est choquant, car c’est discriminant. Pourquoi moi, qui aime la musique pop, n’aurais-je pas le droit d’aller à la piscine ? L’absurdité apparaît particulièrement flagrante car la pop et la piscine n’ont rien à voir ensemble. En d’autres mots, ’interdiction n’a aucun lien avec le critère discriminant. Le même constat s’applique pour les demandeurs d’asile.

Les seules interdictions acceptables sont celles qui reposent sur des critères objectifs et vérifiables. Imaginons ainsi la piscine de Nyon durant la période du Paléo. Une interdiction d’entrer pour les personnes à l’hygiène trop douteuse (venant directement du camping) serait acceptable, car en lien direct avec la piscine et ses activités. Imaginons la même piscine refusant l’accès aux personnes alcoolisées ou cherchant visiblement à semer le troube. Acceptable, car en lien direct avec l’utilisation pacifique de la piscine. Imaginons finalement une obligation de s’inscrire ou de fractionner le groupe si l’on vient avec beaucoup de monde. Acceptable, sinon la piscine ne fonctionne plus.

Mais à Bremgarten, ce n’est ni l’hygiène, ni le comportement alcoolique ou violent qui donnent lieu à une interdiction, mais seulement le fait d’être Autre, d’avoir un titre de séjour spécifique. A ce titre, il n’est pas surprenant que les esprits s’échauffent autour de la « piscine », lieu hautement symbolique. C’est en effet dans la piscine que les corps se touchent et, par l’intermédiaire de l’eau partagée, se mélangent. C’est là que l’Autre se fait le plus clairement voir et sentir comme Autre. Mais c’est également là que les plus sombres histoires de ségrégation remontent à la surface.

Le deuxième principe, c’est l’exigence d’efficacité des lois en vigueur. En plus d’être discriminants,  les règlements de la commune de Bremgarten sont profondément contreproductifs et même dangereux. D’une part, il suffit d’avoir passé quelques jours dans un tel centre pour voir que l’ennemi de tous, c’est l’inaction. Ne rien faire de ses journées fait le nid des angoisses, des tentations et des passages à l’acte peu recommandables. Les activités sportives apparaissent comme une activité facile et à la portée de tous pour contrer cet immobilisme. Attention ! Il ne s’agit même pas de chercher à intégrer les demandeurs d'asile (horrible pensée), mais de mettre en place des simples mesures pour prévenir les débordements.

En plus d’être contreproductives dans la pratique, ce genre d’interdictions contribue à renforcer le climat détestable qui règne sur l’asile. En prétextant prévenir un incendie, on légitime le travail des pyromanes en tout genre et rend plus difficile celui des pompiers. Si la piscine et le terrain de foot sont interdits, pourquoi ne pas pousser le raisonnement et forcer les demandeurs d’asile à rester dans les abris PC toute la journée, moyennant une heure de promenade ? Au final, tous les acteurs du système d’asile, y compris les habitants des communes concernées, ne peuvent que perdre dans le jeu qu’ils engagent parfois eux-mêmes.  

J’ai eu la chance de faire du service civil dans un centre de demandeurs d’asile de la région biennoise. J’ai emmené des groupes faire du parcours vita, organisé des matchs de foot sur le terrain communal, mis sur pied des visites au bord du lac. A raison, personne n’aurait compris pourquoi ces activités auraient pu être interdites aux demandeurs d’asile. Alors pourquoi la piscine de Bremgarten ? En cet été 2013, il faut mener et gagner la bataille de Bremgarten.

Le petit pays, le vésuve et le président

C’est l’histoire du président d’un petit pays. Par une belle journée d’été où le pays est à la fête, le président s’en va parcourir ses terres cherchant le contact avec ses concitoyens. Le président embrasse les enfants, serre des mains, trinque avec des inconnus qui lui sourient. Les habitants ont préparé un podium sur la place du village. De là, le président s’adresse à la foule.

Il explique que le petit pays subit les foudres des grands pays et que son indépendance est menacée. L’air sérieux, il appelle ses concitoyens à resserrer les rangs et à se battre pour la liberté et la prospérité du petit pays. Dans un coin, quelques enfants lancent des pétards sous le regard amusé du maire du village, délégué pour la journée aux grillades. Dans le petit pays, tout semble aller pour le mieux.

Mais le président poursuit. Il s’étonne que chaque pays bande ses muscles pour faire valoir ses intérêts. Le petit pays a perdu son âme de combattant, habitué à profiter de la marche du monde. Le président semble surpris que, pour une fois, les autres pays lui demandent des comptes. Pourquoi ne se contentent-ils plus d’une semaine de ski, de banquiers discrets ou d’une belle montre ?

Tout au long de sa carrière, le président n’a guère aimé les autres pays. Il a toujours rêvé d’un petit pays qu’on laisserait tranquille, le laissant vaquer à ses affaires. Le président n’a jamais aimé que le petit pays s’engage avec d’autres Etats et qu’il promette de respecter ceci ou cela. Ces accords empêchent le petit pays d’agir à sa guise, il ne peut plus bouger, il étouffe. Alors qu'un pétard chinois explose au loin, le président regarde ses concitoyens droit dans les yeux et leur dit que bientôt, ils ne pourront plus rien choisir et que leur destin se décidera dans un autre pays.

Un petit vésuve s’allume près du podium, le président paraît troublé. Il remarque qu’il a oublié d’expliquer que ce sont les petits pays comme le sien qui profitent le plus de ces accords internationaux. Il avait promis à son ministre des affaires étrangères de dire que le petit pays ne pourra se protéger que si les règles internationales sont respectées et que les droits de tous sont garantis. Tant pis, il le dira pour l’allocution de Noël.

Le président réajuste sa cravate. Le président a également oublié de dire que ces règles qui pourraient protéger le petit pays sont décidées dans le petit pays lui-même. Incroyable se dit le président : la solution serait là, dans la ville du bout du lac, avec ses organisations internationales et ses rencontres de haut niveau. Mais le président ne connaît pas bien cette ville, qui lui a toujours paru très éloignée. Tant pis, son successeur pourra l’évoquer l’année prochaine, il parlera du jet d’eau.

Le président voit la dame au bouquet se préparer. Son discours touche à sa fin. Il  reprendra bientôt sa place en bas de l’estrade, avec un verre de vin de la région. Il embrassera les enfants, serra des mains, trinquera avec des inconnus qui lui souriront. Avant de descendre du podium, le président remarque que quelques concitoyens quittent la place en secouant la tête. Le son n’était certainement pas de bonne qualité, ils sont déçus, pense le président. Il replie ses feuilles et sourit à la foule.

Comment sauver l’obligation de servir?

Il est des souvenirs dont on ne peut facilement se défaire. Ainsi des jours de grosse chaleur passés sous les drapeaux durant l’école de recrue de l’été 2003. A chaque retour de la canicule, je repense à cette petite troupe s’affairant à tirer des lignes de communication à travers les champs des environs de Romont. Il ne serait pas exagéré de parler d’école de vie.

Dans la torpeur des belles journées helvétiques, mes souvenirs de l'été 2003 s’apprêtent à revenir sur le devant de la scène politique. Le 22 septembre prochain, le peuple est en effet appelé à se prononcer sur l’obligation de servir. De manière intelligente, l'initiative lancée par le Groupement pour une Suisse sans armée (GSSA) n’exige pas la suppression de l’armée elle-même, mais l’abrogation du système de milice. Les partisans d’une armée proche des citoyens ont pris la mesure du sérieux du défi qui leur est lancé. Alors que la réputation de l'armée est régulièrement mise à mal, l'abrogation du service de milice doit être considérée comme une menace sérieuse.

A ce titre, l’initiative pose une question absolument légitime : comment peut-on justifier que tous les citoyens de ce pays soient forcés d’offrir une année de leur vie à l’Etat? La formulation peut sembler directe, mais c’est bien de cela qu’il retourne. Au total, chaque recrue est amenée à passer près d’une année sous les drapeaux, mettant de côté sa vie « normale » durant de longues semaines. La question de cette justification se pose avec d’autant plus d’acuité que l’obligation de servir s’apparente bien souvent à une vaste farce hypocrite. Les jeunes citoyens de ce pays semblent souffrir d’un nombre alarmant de  problèmes de santé à l’approche du recrutement. L’armée accueille ces estropiés d’un œil bienveillant (l'autre étant fermé), elle qui est forcée de diminuer drastiquement son personnel. Cerise sur le gâteau : l’obligation de servir dans l’armée est toujours la chasse gardée des mâles. Mais comment peut-on, dans cette Suisse du 21è siècle, justifier que l’obligation de servir ne s’applique pas au sexe dit faible ?

Dans ce contexte qui suinte l’injustice et la discrimination, le GSSA met le doigt sur le point névralgique. Sans toutefois poser la bonne question ! En effet, le GSSA traite d’un même coup deux questions clefs : l’obligation de servir et le service militaire. En l'état, l'initiative provoquerait un passage à un système basé sur le volontariat. Personne ne pourra être astreint au service militaire et l’armée sera composée de volontaires. Mais le texte du GSSA ne concerne pas seulement l’armée. Il entraine avec lui la fin de l’idée d’obligation de servir tout court. Si elle devait être acceptée, l’initiative supprimerait la possibilité d’un service obligatoire pour la communauté.

La question est donc mal posée car elle impose aux citoyens une fausse alternative : le statut quo ou l’abrogation de toutes formes d’obligation. Une troisième voie existe pourtant. Elle passe par la refonte en profondeur de l’idée de service à la communauté. Cette refonte permettrait de poser les bases d’une obligation de servir plus juste. Elle reposerait premièrement sur la notion étendue de service à la communauté. Ce service comprendrait la sécurité mais ne saurait en aucun cas s’y limiter. Le succès du service civil démontre l’intérêt des jeunes citoyens pour des engagements recouvrant une multitude de tâches dont le dénominateur commun est l'utilité générale. Deuxièmement, cette obligation s’appliquerait à l’ensemble des citoyennes et citoyens. Si on veut conserver une obligation de servir, il n’est pas justifiable  qu’elle n’englobe que la moitié de la population. Ici comme ailleurs, l’idéal d’égalité doit guider nos décisions.

Ces deux conditions clefs permettraient d’esquisser une obligation de servir adaptée à la Suisse de l’après-Guerre froide. Il est important de souligner que cette obligation « améliorée » n’échapperait pas à la question de sa justification. A la différence d’une obligation de servir strictement limitée à l’armée, on ne pourrait plus justifier le temps passé au service de la communauté par la nécessité d’assurer la sécurité. Le défi principal serait donc de donner un contenu satisfaisant et acceptable pour l’ensemble des citoyens à l’idée de service à la communauté. Ceux qui croient au sens d'une obligation de servir la communauté devraient donc voter « non » le 22 septembre. Mais pour être cohérent, ce « non » devrait s’accompagner d’actions concrètes pour réformer l’inacceptable statut quo. Et ce dès le 23 septembre, rompez.

Johan Rochel

Petits souliers et grandes valeurs

J’imagine que ceux qui ont défendu le referendum contre les modifications urgentes du droit d’asile ont connu une semaine difficile. Combien de pauses café, repas et coups de téléphone pour se demander comment et pourquoi ? Presque 80% des votants contre sa position, on a connu plus facile niveau digestion politique.

Les traditionnels interviews d'après-campagne étaient particulièrement douloureux pour les parlementaires fédéraux et cantonaux engagés pour le referendum. Sur le fond, un même reproche se déclinait en plusieurs variantes : comment était-ce possible de s’engager pour ce referendum, alors qu’il était prévisible qu'une vaste majorité des votants serait contre ? Pouvait-on manquer à ce point-là de vista politique ? Ou plus grave encore, comment pouvait-on si mal sentir l’opinion du peuple ?

Les perdants ont répondu à ce reproche dans leurs petits souliers démocratiques. A écouter attentivement leurs réponses, on distingue deux familles de parlementaires. La première répond sur le mode du « nous prenons acte », donnant quittance à l’écrasante majorité des votants. De retour à Berne, ils prendront leur disposition et agiront dans le sens du message – supposé clair – de la votation. La deuxième famille de parlementaires répond sur le mode des « valeurs », expliquant qu’ils continueront à défendre leurs convictions profondes. Qu’importe ce que la majorité décide, ils resteront fidèles à leurs valeurs.

Derrière ces deux réactions se cachent deux visions du rôle de parlementaire – et deux façons pour les citoyens de choisir qui envoyer à Berne. Voulons-nous choisir des porte-paroles, c’est-à-dire des messagers capables d’entendre nos questions et problèmes et de leur donner voix à Berne ? C’est le parlementaire « caisse de résonance ». Ou souhaitons-nous choisir des personnalités porteuses de valeurs, qui vont à Berne en leur nom propre et non comme messager pour autrui ? C’est le parlementaire « AOC authenticité ».

Dans la plupart des dossiers, la réalité est certainement à mi-chemin de ces deux conceptions. Mais lorsque, comme dans la votation sur l’asile, les convictions personnelles sont appelées à jouer un rôle important, ces différences ressortent de manière marquée. J’ai plus de sympathie pour les parlementaires qu’on choisit pour les idées et les valeurs qu’ils défendent. Même si les votants choisissaient à 99%, cela ne signifierait en rien que la décision soit juste ou légitime. Face à ces scores soviétiques, il est même salutaire d’écouter l’interview d’un perdant magnifique, fier de ses convictions. S’il estime son parlementaire « AOC authenticité » dépassé, le peuple pourra toujours le renvoyer à la maison lors des prochaines élections.