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Certificat COVID – les questions ouvertes

Alain Berset, keystone/Le Temps

Le Conseiller fédéral a donc présenté ce jour – mercredi 19 mai – les grandes lignes du projet de certificat COVID. Un système en trois couleurs: domaine “vert” (interdiction d’exiger le certificat covid par exemples école, travail et transport), domaine “orange” (parfois possible de l’exiger, voir la discussion plus bas) et domaine “rouge” (obligation de l’exiger, par exemple pour les festivals).

On peut déplorer un manque de précision dans la communication sur certains points critiques. Il faut rappeler que ce certificat représente un dispositif qui doit être utilisé avec la plus grande prudence vu la discrimination qu’il met en oeuvre. Pour une mise en perspective, vous trouverez ici un texte plus long sur le principe même de ce certificat. Il faut souligner qu’aujourd’hui, Alain Berset a clarifié que le certificat porterait bien sur les 3 conditions possibles: vaccination, test négatif et preuve de guérison. Si cela ne résout pas tout, cela enlève néanmoins beaucoup de pression sur la vaccination comme geste volontaire.

En l’état (19 mai 2021, sur la base principalement du communiqué de presse de l’OFSP), je vois les points suivants qui doivent être précisés et débattus. Alain Berset a peut-être d’ailleurs “volontairement” laissé une certaine marge de manoeuvre pour entendre le retour des acteurs concernés et du grand public.

1. La définition et l’usage du domaine “orange”

Deux éléments posent question dans le domaine orange: sa définition et son mode d’application.

Sa définition – à savoir quelles activités devraient être intégrées dans le domaine orange – repose sur un critère un peu étrange: faisant ou non partie du “quotidien”. L’OSFP écrit ainsi: “Le domaine orange concerne les lieux qui ne font pas forcément partie du quotidien, mais qui sont fortement fréquentés.” Puis sont listés les bars, les restaurants, les manifestations, notamment celles des associations sportives et culturelles, les lieux de loisirs et de divertissement, les hôpitaux et les EMS (pour les visites de proches). Je m’étonne que ces éléments ne fassent pas partie du “quotidien”. Pour beaucoup d’entre nous, ce sont les éléments au coeur du quotidien.

Comme proposé dans un autre billet, je pense que le Conseil fédéral doit travailler avec un critère plus serré et chercher à mieux définir les domaines qu’on peut considérer comme répondant à ce critère. Il n’existe pas de critère magique qui mettra tout le monde d’accord, mais le critère du quotidien ne permet pas de capter le sentiment d’importance et de nécessité lié à certains éléments. Une vie sportive ou culturelle, ou plus encore les visites d’un proche à l’EMS, sont vues par beaucoup comme des éléments cruciaux. Le Conseil fédéral devrait partir de sa catégorie rouge – dont les éléments ne font clairement pas partie du quotidien – pour l’ouvrir un peu sous forme de domaine orange.

Le mode d’application du domaine orange pose de nombreuses questions et le texte de l’OFSP peut être interprété d’au moins 2 manières – avec des différences pratiques massives pour les acteurs concernés. Il faut à tout prix clarifier quelle est l’interprétation que veut favoriser le Conseil fédéral.

Interprétation a): Les acteurs du domaine orange n’ont pas le droit de demander le certificat tant que le Conseil fédéral n’a pas donné le signal que la situation sanitaire se dégradait. Les deux phrases clef du communiqué de l’OFSP sont les suivantes: “Ici, il n’est pas prévu de recourir au certificat COVID. Cela étant, si la situation épidémiologique devait de nouveau se dégrader et exposer le système de santé à un risque de surcharge, on pourrait limiter l’accès à ces lieux aux personnes munies d’un certificat, au lieu de les fermer complètement.“=> l’avantage de cette lecture – ma favorite – est d’apporter une réponse très claire et très restrictive à l’utilisation du certificat. Les activités “oranges” sont en fait des activités du domaine vert (interdiction d’exiger le certificat) tant que le Conseil fédéral ne l’autorise pas. Problème: le rôle du dernier paragraphe de la communication de l’OFSP n’est pas claire dans cette interprétation:

“Par ailleurs, comme ce domaine concerne des rapports de droit privé, l’utilisation du certificat doit être facultative jusqu’à ce que les plans de protection puissent être supprimés, c’est-à-dire qu’il appartiendra à chaque restaurant, cinéma ou centre de fitness, par exemple, de décider de limiter l’accès de ses clients à ceux munis d’un certificat COVID, et de renoncer ainsi à son plan de protection, au port du masque ou à d’autres restrictions quantitatives.”

Ce paragraphe vient-il rappeler que les acteurs du domaine orange ne seront jamais forcés d’exiger le certificat ? Ils pourront toujours choisir, a minima, soit de fermer, soit d’exiger le certificat. Je pense que la branche de la gastronomie favoriserait cette interprétation (à la suite des propos de son président). Ou, au contraire de cette interprétation, ce paragraphe donne-t-il toute latitude aux acteurs du domaine orange d’exiger immédiatement le certificat ? C’est la deuxième interprétation possible.

Interprétation b): Les acteurs du domaine orange peuvent dès à présent choisir d’exiger ou non le certificat covid, ou alors de garder les mesures sanitaires en place. Le signal du Conseil fédéral (sur la détérioration de la situation sanitaire) aurait pour seul effet de forcer les acteurs à soit exiger le certificat, soit fermer. L’option des mesures sanitaires actuellement en place disparaitrait. Dans cette interprétation, chaque acteurs du domaine orange (chaque restaurant, théâtre, club de sport, EMS) peut immédiatement décider ou non d’exiger le certificat. Problème de cette interprétation: pourquoi écrire qu'”ici, il n’est pas prévu de recourir au certificat COVID” pour ensuite donner le droit à tous les acteurs du domaine d’utiliser ce certificat?

A mon sens, le résultat de cette interprétation serait véritablement problématique car elle nous obligerait, en tant que citoyen-ne, à montrer à chaque occasion un éventuel certificat covid (avec une pression majeure sur la vaccination, car un test PCR à 150.-/pièce n’est pas envisageable chaque jour). Deuxièmement, elle mettrait une pression sur chaque acteur du domaine orange de se transformer en contrôleur de l’état de santé de ses client-es. Il ne faut pas sous-estimer le potentiel de conflits sociaux et de dommages à la réputation des uns et des autres avec ce système (“un tel restaurant demandait le certificat, un tel non” ; “nous sommes un groupe de 4, mais une personne n’a pas de certificat, où allons-nous manger?”).

Un espoir tout de même. L’OFSP écrit sur le domaine orange: “Mais tout laisse aujourd’hui à penser, et notamment les avancées en matière de vaccination, qu’il ne sera pas nécessaire de recourir à cette éventualité.Cette façon de penser, certes optimiste, devrait être appliquée à l’entier du dispositif. En automne 2021, nous remarquerons peut-être que nous pouvons remettre au placard ce certificat.

2. La fin du dispositif

La fin de ce dispositif doit être communiquée de manière beaucoup plus claire. Il faut à tout prix éviter que ce certificat ne devienne une partie de notre vie quotidienne. J’ai décrit dans un autre texte le renversement total de paradigme que représente cette idée: il faudra désormais démontrer que nous ne sommes pas dangereux les uns pour les autres. La date de fin doit être clairement liée aux conditions sanitaires avec un mécanisme garantissant l’abolition complète du certificat.

3. L’exigence d’une communication claire

Ces points soulignent que le Conseil fédéral doit sensiblement améliorer la clarté de sa communication. Le certificat covid est un dispositif qui n’est pas comparable aux autres exigences sanitaires en vigueur pour l’instant. Il pose des questions de la plus haute importante et son utilisation exige des autorités une ligne très claire.

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