Une Suisse en mouvement

Le certificat COVID comme test de société

La semaine dernière, j’ai accompagné mon fils chez le pédiatre pour le contrôle des 4 ans. J’ai regardé la petite feuille pliée dans son carnet de santé : la liste de ses vaccins. Une liste avec des noms de vaccin, des tampons de cabinet médical et des signatures indéchiffrables. Et j’ai imaginé l’importance nouvelle qu’allait prendre ce genre de document. Avec un petit sentiment de vertige.

Je l’avoue volontiers : le « certificat COVID » prévu par la Confédération me met mal à l’aise. Commençons par la définition proposée par la Confédération : « Conformément au mandat légal (art. 6a de la loi COVID-19), toutes les personnes vaccinées, guéries et celles ayant reçu récemment un résultat de test négatif devraient pouvoir obtenir un certificat COVID ». Au sens strict, le certificat contient plus qu’une information sur la simple vaccination. Et nous verrons que c’est un point central: la vaccination est l’une des “voies” vers le certificat, le test négatif en est une autre. Il faudra donc considérer ces deux options de manière différenciée.

Afin de clarifier les positions de départ: je partage l’ambition de revenir rapidement à des contacts sociaux qui vont permettre le fonctionnement de la société. Je vois les vaccins comme une avancée majeure de la science et une contribution solidaire à la résolution de la crise sanitaire. Je pense ainsi que tout le monde devrait se vacciner dès qu’il en a l’opportunité. Je comprends également l’argument général avancé par les promoteurs de ce certificat: un retour plus rapide vers la “normalité” suffit à le justifier.

Ceci étant dit, je reste circonspect sur l’opportunité d’introduire ce certificat COVID. Dans le but de faire avancer le débat de société sur cette question, j’ai tenté de mettre de l’ordre dans ce sentiment de malaise. Les défis listés ci-dessous sont surtout valables pour un scénario de mauvais temps (par ex. 40-50% de la population vaccinée, durant les 5 prochaines années). Si fin octobre, 80% de la population est vaccinée, ces défis disparaitront d’eux-mêmes.

Les défis techniques

La création, la mise à jour et l’usage d’un certificat COVID qui ne ressemble pas (seulement) au carnet de vaccination de mon fils posent des problèmes techniques majeurs. Ces défis techniques vont mettre en jeu des arbitrages entre différentes exigences de sécurité, de confidentialité et d’accessibilité. Dans ce billet, je laisse de côté ces défis techniques, tout en soulignant qu’ils posent des questions de société et qu’il serait fatal de penser à eux comme à des questions de simple ingénierie.

Les défis éthiques

Le débat sur le certificat COVID repose sur une condition. Tant qu’elle n’est pas vérifiée, le certificat ne devrait pas être utilisé. Tout le monde doit avoir accès au vaccin avant de mettre en place un éventuel certificat COVID. Il doit donc être disponible en quantité suffisante, ouverte à toutes les personnes souhaitant l’utiliser. Bien sûr, un certificat portant uniquement sur des tests négatifs serait possible, mais il n’est alors pas certain qu’il vaille la peine de mettre en place toute l’infrastructure nécessaire.

De plus, une deuxième condition importante impacte certains des points évoqués plus bas: l’efficacité du vaccin contre la transmission à d’autres personnes doit être démontrée. Toutefois, certaines utilisations envisagées sont possibles sans cette condition remplie.

En admettant que ces deux conditions soient remplies, il existe deux défis fondamentaux. Le premier est un défi de cohérence. Si la vaccination doit être un geste volontaire, alors il faut que cette dimension volontaire soit réelle. Il serait incohérent de dire que la vaccination est volontaire, alors que son utilisation conditionne l’accès à des ressources nécessaires à l’existence. Cette discussion est similaire à la discussion du printemps 2020 sur la dimension volontaire de l’utilisation de l’application de traçage des contacts SwissCovid. A l’inverse, si la vaccination n’est plus volontaire, alors les arguments présentés ci-dessous se modifient en profondeur. Mais la question numéro 1 porte alors sur la justification d’une vaccination obligatoire.

Pour tester cette dimension volontaire, il faut donc aller dans les détails : à quels types de ressources le certificat COVID devrait-elle donner accès ? En d’autres mots, quelle est l’étendue des droits qui pourraient dépendre de ce certificat? Il faudra ici distinguer entre les deux alternatives du certificat: le “vaccin” et le “test négatif”.

Un droit semble non problématique : les personnes vaccinées devraient être dispensées de quarantaine. Ce point nécessite qu’il soit démontré que le vaccin stoppe la transmission. Si c’est le cas, le vaccin rend simplement caduque l’exigence de quarantaine. Il ne donne pas de droit additionnel. C’est même un droit qui devrait être garanti dès maintenant (même lorsque la condition d’accès pour tous n’est pas encore remplie). Ce droit ne découle que de la vaccination (et pas d’un test négatif).

Distinguons cinq catégories principales de droits supplémentaires. Ces droits sont tous des droits d’accès. De manière schématique, montrer son certificat COVID permettrait d’avoir accès à une ressource particulière. Comme annoncé plus haut, je discute parfois des scénarios qui ne sont pas envisagés et qui représenteraient une vraie dystopie, mais cela permet de clarifier les arguments.

  1. Domaine public

Le service public au sens large est nécessaire à l’existence et ne devrait pas être soumis à une condition. Cela concerne l’accès à l’administration (accès à un bâtiment public), mais également les services de mobilité. L’utilisation des CFF ne devrait pas être conditionnée à un certificat COVID (vaccin ou test négatif).

  1. Domaine professionnel

Le certificat COVID pourrait être le sésame qui permet de retourner au travail. Sur ce point, il faut distinguer entre vaccination et test négatif. Il semble illégitime de lier un élément aussi nécessaire que le travail à une vaccination censée être volontaire. En allant plus loin, serait-il légitime de lier les modalités de travail (présentiel vs. en ligne) à la vaccination ? Les personnes vaccinées seraient ainsi en droit de revenir au bureau, tandis que les autres devraient rester à la maison. Par contre, ces mêmes éléments pourraient plus facilement être liés à l’exigence d’un test négatif.

  1. Domaine culturel

Le certificat COVID pourrait devenir nécessaire pour accéder à certains événements culturels (définis au sens large) : concerts, festivals, zones de loisirs, événement sportifs. Là encore, la discussion porte sur le caractère nécessaire de ces événements. Pris individuellement, aucun n’est nécessaire. Mais si la vaccination conditionne l’accès à tous les événements culturels, est-ce encore défendable ? La question qui se pose à nous: l’accès à la culture est-elle une partie nécessaire à l’existence ? Comme pour le travail, l’exigence d’un test négatif serait beaucoup moins problématique. A titre d’exemple, le sondage proposé par la Foire du Valais met exactement le doigt sur cette alternative.

La foire du Valais a lancé un sondage pour savoir comment serait reçu le certificat COVID.
  1. Domaine mobilité 

La mobilité internationale est le domaine où le certificat de vaccination est déjà une réalité (pour certains pays, avec une liste de vaccins recommandés/obligatoires). On peut facilement admettre que la mobilité de tourisme (ex. vacances) ne soit pas nécessaire. C’est plus compliqué pour la mobilité « familiale », une réalité vécue par des millions de personnes en Suisse et en Europe. La question qui se pose à nous: quelle mobilité est une partie nécessaire à l’existence ? Cette question ne se pose pas à la Suisse seule, mais fait l’objet de négociations internationales. Là encore – comme c’est le cas aujourd’hui – l’exigence d’un test négatif serait moins problématique.

  1. Domaine familial

Le certificat COVID pourrait étendre les droits de rencontre dans la sphère familiale. A titre d’exemple, les droits de visite et de sortie des résident-es en EMS pourraient ainsi être renforcés. Tant pour les résident-es que pour les familles, il ne fait guère de doute que ces droits sont nécessaires. Là encore, il faut distinguer entre vaccination et test négatif.

 

En analysant brièvement ces cinq domaines, il me semble qu’on peut déduire quelques conclusions générales :

Le deuxième problème fondamental porte sur le changement de paradigme que porte le certificat COVID. Comme souligné par de nombreuses voix, le certificat pose un problème de confidentialité. Démontrer qu’une personne est vaccinée, c’est lui demander de mettre à nu une donnée extrêmement sensible, portant directement sur sa santé et ses convictions. Ce problème est en lui-même majeur, mais il est surtout le symptôme d’un changement plus profond : la nécessité de faire la preuve que je ne suis pas dangereux pour autrui. Aujourd’hui, la société est organisée sur une présupposition de non-dangerosité. Nous nous rencontrons et nous faisons société en partant de l’idée que nous ne représentons pas un danger potentiel les uns pour les autres. Avec un certificat COVID, c’est l’inverse : chaque personne doit amener la preuve qu’elle n’est pas dangereuse pour autrui. Le basculement est majeur et il ouvre des perspectives dystopiques. Qu’il suffise de penser à l’application de cette même logique à l’ensemble des maladies infectieuses. Nous serions en permanence en situation de prouver à notre voisinage que nous ne sommes pas dangereux.

En guise de conclusion, les prochaines étapes pourraient ressembler à celles-ci:

 

 

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