Une Suisse en mouvement

Innovation en marche: vers les élections du futur ?

Cette semaine, la Constituante valaisanne pourrait proposer une innovation sans précédent dans la manière dont nous abordons les élections, par exemple au Grand-conseil. En proposant un Pacte de représentation, une minorité de la Commission chargée d’esquisser le mode d’élection du législatif cantonal veut créer un nouvel outil de participation démocratique. Les citoyen-nes auraient la possibilité de choisir les critères de représentation que le Grand-conseil devrait remplir. 

Mais commençons par le problème: au lendemain des élections, le bilan est souvent contrasté. On déplore que tel groupe ou telle catégorie de la population est trop peu représenté parmi les élu·e·s. Trop d’hommes, pas assez de jeunes, trop de représentants de milieux « aisés ». En bref, une représentation jugée peu satisfaisante. Un parlement ne doit certainement pas être la copie conforme de la population qui le choisit, mais une certaine dose de représentation fait du bien à la démocratie et à la confiance dans les institutions. Les citoyen-nes doivent pouvoir regarder le parlement et se retrouver dans certaines caractéristiques des élu-es.

Pour promouvoir cette représentation, différentes mesures sont possibles: plus de diversité sur les listes de candidat-es des partis, prise de conscience de la part des citoyen-nes de leur responsabilité quand ils votent mais également des règles contraignantes. La plupart des élections cantonales se déroulent sur la base des districts, un mécanisme contraignant pour s’assurer que toutes les régions du canton sont représentées. 

La Constituante valaisanne a l’occasion d’aller plus loin: elle peut donner la compétence de choisir les critères à la population. Celle-ci pourrait alors faire évoluer ses exigences de représentation: la parité hommes-femmes doit-elle être garantie au Grand-conseil ? Les différentes générations devraient-elles être mieux protégées ? Certains types de métiers devraient-ils être mieux représentés ? Ces questions sont légitimes. C’est aux citoyen-nes de les poser, d’y répondre et de mettre en œuvre leurs engagements.

Concrètement, comment cela pourrait marcher ? La proposition soumise à la Constituante valaisanne est la suivante: 

Par pétition, une fraction du corps électoral peut proposer un critère de représentation pour la prochaine élection du Grand Conseil. Au moins 6 mois avant l’élection, ce critère est soumis au vote du peuple qui décide de son application ou non par scrutin majoritaire. La loi règle le mode d’application.

En détails, voici l’explication de cette innovation majeure:

  1. Par pétition, une fraction du corps électoral peut proposer un critère de représentation pour la prochaine élection du Grand Conseil. => un certain nombre de citoyen-nes peut, à la manière d’une initiative populaire, demander qu’un critère de représentation soit débattu et voté pour les prochaines élections du Grand-conseil. Ainsi, un groupe de citoyen-nes ayant réuni un certain nombre de signatures demande à ce que le critère d’âge soit soumis au vote. Leur proposition prévoit que le Grand-conseil aura au moins 20% de jeunes de moins de 30 ans, 40% de 30 à 65 ans et 20% de plus de 65 ans. 
  2. Au moins 6 mois avant l’élection, ce critère est soumis au vote du peuple qui décide de son application ou non par scrutin majoritaire. => La proposition est soumise au vote majoritaire. Les citoyen-nes peuvent dire sous forme de oui-non s’ils acceptent ce critère de représentation. Si leur proposition est acceptée, cette règle devra être respectée pour l’élection du Grand-conseil. En 2019, le canton de Neuchâtel a presque ouvert la voie à une expérimentation de ce genre. Son parlement cantonal a failli accepter une représentation paritaire (50% de femmes et 50% d’hommes choisi-es comme député-es) pour 3 législatures (12 ans). Si l’idée avait trouvé une majorité au parlement cantonal, les citoyen·ne·s neuchâtelois·e·s auraient dû se prononcer sur une formule ressemblant au Pacte de représentation: un premier vote sur les critères (critère de parité homme-femme, appliqué durant 3 législatures, pour les élections au parlement cantonal) et un deuxième vote sur l’élection concrète. Une fois devenu “inutile” puisque sa mission de correction d’une inégalité des chances structurelle serait accomplie, le critère de parité homme-femme aurait été désactivé.  
  3. Une fois accepté, le critère s’impose à l’élection du Grand-conseil. => Le critère n’est pas seulement un objectif, c’est un véritable engagement. Au moment de l’élection, les citoyen-nes ont pleine liberté de choisir leurs candidat-es. Néanmoins, vu qu’ils ont accepté le critère, celui-ci s’applique aux résultats bruts (le nombre de voix reçues par chacun·e des candidat·e·s individuellement). Il s’agit maintenant d’assurer que les critères de représentativité choisis lors du premier vote s’appliquent. L’opération combine le choix des critères (vote 1) et de l’élection (vote 2). La combinaison de ces deux éléments va permettre de faire émerger la liste gagnante, c’est-à-dire la liste qui respectera les engagements pris sous forme de critères ​et le choix électoral des votant·e·s. Concrètement, la liste gagnante sera celle qui, parmi toutes les combinaisons possibles de candidat·e·s qui respectent les critères (vote 1, dans notre exemple le critère d’âge), totalise le plus de voix (vote 2). La Figure ci-dessous représente le fonctionnement du Pacte. 
  4. La loi règle le mode d’application. => La loi peut déterminer par exemple un nombre maximum de critères, ou une typologie de critères admissibles. De plus, la loi détermine comment se fait le dépouillement.

Cette approche ouvre des perspectives profondément nouvelles pour le processus d’élection. Le cadre général de l’élection, càd la vision qui accompagne la représentation d’un organe comme le Grand-conseil, n’est plus fixé une fois pour toutes. Il peut évoluer au gré des demandes des citoyen-nes. Ce nouvel instrument ouvre une voie vers des organes législatifs pluralistes et inclusifs, capables de prendre en compte une multitude de perspectives. Grâce à cette approche, le législatif représente un peu mieux un miroir de la société. Ce miroir ne doit pas être parfait, mais il permettra à un plus grand nombre de s’y regarder et de s’y retrouver, avec un léger flou, mais avec un fort sentiment de légitimité.

 

Johan Rochel et Florian Evéquoz

 

Pour en savoir plus, Johan Rochel et Florian Evéquoz, De l’innovation en politique: critères de représentativité et démocratie, Staatslabor. 

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