L’anniversaire du 14 juin comme un mini-bilan

Alors que nous fêtons le premier anniversaire de la Grève du 14 juin, j’ai profité d’une visite aux grand-parents pour passer en revue le confinement que nous avons vécu en famille. C’est peu dire que cette période a été riche en leçons intéressantes pour l’égalité au sein des couples et dans les familles. Voici le condensé de ces leçons personnelles et donc nécessairement incomplètes : 

1. Les enfants… tout se joue avec les enfants.

Le confinement a rappelé que les inégalités entre hommes et femmes apparaissent vraiment clairement avec l’arrivée des enfants. Je compare ma situation (2 enfants, 5 et 3 ans, 50-50 avec ma partenaire durant le confinement) avec celle de collègues/amis sans enfants et la réalité saute aux yeux. Les couples sans enfant sont beaucoup plus égalitaires ou, à tout le moins, peuvent plus facilement l’être. Le confinement n’a fait que souligner cette réalité.

2. Les enfants…tout se joue avec les enfants (2). 

Les enfants c’est merveilleux… surtout quand ils partent à l’école. Le confinement a montré à tous les incrédules, majoritairement des hommes, à quoi ressemblait une journée avec des enfants en bas âge. Et l’expérience vous change un homme. Je pense que plus personne ne dira “quelle chance tu as d’avoir passé toute la journée avec les enfants” sur un ton qui voulait dire “une journée de congé pendant que moi je me tuais au travail au bureau”. Niet, une journée avec des enfants en bas âge, c’est bien pire qu’une journée au boulot en terme d’énergie dépensée. Que tous ceux qui n’ont jamais pensé avec un sourire malicieux qu’ils allaient se reposer au travail après une journée familiale me lance la première pierre. Le confinement a libéré la parole des parents: les enfants, c’est merveilleux, mais ça crève. En confinement, ça crève-crève.

3. Le travail domestique, c’est pénible, assez peu intéressant, et ça vaut beaucoup d’argent. 

Devoir assurer l’école à la maison c’est merveilleux… surtout quand ça s’arrête. Les parents ont pris conscience de la difficulté du travail d’enseignant (les “vrais” enseignant-es sont tranquilles pour un moment). Mais par ricochet, ils ont aussi pris conscience de la quantité et de la valeur de leurs travaux domestiques. Une grosse masse de travail invisible, plus ou moins sujette à disputes dans le couple, des standards de qualité forcément différents (“comment ça pas bien rangé le linge ?”) et, d’un seul coup, l’ajout d’une tâche aussi énorme que l’éducation de la future génération. Je résume de manière non-exhaustive: courses, linge, ménage, paperasse, lecture, calcul, gestion du temps de l’iPad, bricolage, dessin, diplomatie intrafamiliale, résolution des conflits. Le confinement a souligné deux choses merveilleuses. Premièrement, qu’il était difficile d’imaginer une palette de compétences plus complète. Que personne n’hésite jamais à mettre dans son CV qu’il/elle a survécu au confinement avec enfants. Deuxièmement, le temps investi en tâches domestiques, c’est du temps en moins pour des opportunités professionnelles, des occasions de vivre ses passions, ou pour du temps familial choisi, et non imposé. Laisser l’un des conjoints faire plus de travail domestique, c’est simplement lui prendre un peu, beaucoup, de son temps de vie.  

4. Les hommes sont un peu plus là, mais on ne les entend jamais.

Les hommes ont pris une part des responsabilités domestiques lors du confinement. J’imagine que certains couples où madame devait travailler ont même dû inverser complètement leur modèle. J’imagine que certains ont fait face à 8 heures non-interrompues avec enfants pour la première fois. J’imagine que certains ont porté une large part de la charge mentale dans l’organisation du foyer. Mais tout ceci, je l’imagine seulement, car les témoignages d’hommes sont très rares dans l’espace public. Alors que la crise actuelle serait l’occasion d’écrire et de lire de belles histoires. Et nous pourrions même en profiter pour abolir l’expression du “jour avec papa”, le “Papi-Tag” des germanophones. L’expression était peut-être utile une fois, mais elle est dangereuse et contreproductive à terme, car elle rappelle que papa n’est que l’assistant de maman. 1 jour sur 5, il fait son job. Mais les pères ne devraient pas être des assistants maternels ou, s’ils le sont, c’est le résultat d’un choix délibéré du couple, décision mûrement réfléchie et où le partenaire qui fait le job domestique reçoit une compensation. Car le confinement a rappelé que le temps de vie se négocie chèrement et qu’il n’y a pas de raison que l’un des partenaires fasse tout le job. 

5. Nous, les hommes, devons faire bouger les structures. 

Toutes ces leçons reflètent que ma famille a vécu ce confinement dans une situation privilégiée. Pas de décès à déplorer, pas de peur existentielle pour l’argent, un appartement suffisamment grand pour respirer. Et donc le “luxe” de se demander comment améliorer l’égalité au sein de la famille. Beaucoup n’ont pas ce luxe, la réalité s’impose à eux et la marge de manoeuvre vers plus d’égalité est réduite au minimum. A ce titre, le confinement a montré une nouvelle fois que le domestique était politique. Nous ne sommes pas égaux face au confinement. 

Je suis convaincu que chacun de ceux qui ont une marge de manoeuvre devrait s’engager pour plus d’égalité, dans leur couple, mais également pour tous les autres. Nous, les hommes, avons ici une responsabilité particulière vu que nous sommes encore largement en situation de pouvoir à travers l’ensemble de la société. Les chantiers sont nombreux, mais j’ai un espoir particulier pour deux points principaux. 

D’une part, l’incroyable nécessité de renforcer les structures d’accueil pour les enfants. Pour une majorité de familles, la garde des enfants repose largement sur les mamans et sur les grand-parents. Rien à redire si ce choix est souhaité par les couples et que tout le monde y trouve son compte. Mais il faut impérativement des solutions pour tous les couples où les mamans ont d’autres plans de vie, pas de grand-parents à disposition ou qui souhaitent d’autres formes de garde. 

D’autre part, le nécessaire engagement des hommes pour des habitudes de travail différentes. Il faut plus de temps partiel et plus de télétravail pour les hommes, et c’est à nous de le demander à nos employeurs. Les lignes de négociation ont bien évolué, bon nombre d’entreprises ne peuvent plus prétendre que c’est impossible. Mais plus fondamentalement, nous devons arrêter de penser que la société repose sur notre travail. Alors que les petits font de la balançoire au parc, j’ai aussi l’impression qu’il faut répondre à ce mail. Urgemment, sans autre option. Notre rapport au travail est marqué par une surestimation de son importance et un sentiment permanent d’urgence. Cette impression est cultivée par une ambiance de travail, et elle impacte directement la vie des femmes et des familles. Le job de Monsieur est toujours vu comme prioritaire et plus important. 

 

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)

Une réponse à “L’anniversaire du 14 juin comme un mini-bilan

  1. Johan Rochel m’ôte les mots de la bouche!
    Renforcer les structures d’accueil est en une nécessité absolue. La crise du corona a bien montré que ces structures sont primordiales à la reprise de l’économie. Au-delà de la crise, ces institutions sont essentielles à la participation des femmes sur le marché de l’emploi. Mais encore un accueil extrafamilial de qualité a des implications extrêmement positives sur le développement de l’enfant, en termes de compétences sociales et de préparation à sa formation scolaire. D’un point de vue holistique, il s’agit de développer une politique de la petite enfance en lien avec une politique de la famille. De quoi attendre avec impatience certains débats en Conseil National cette semaine.

    Si un développement sociétal passe nécessairement par une réflexion des hommes quant à leurs habitudes de travail, il faut que les femmes s’affirment davantage à la maison comme dans le monde du travail. Finalement une société fonctionne bien quand elle favorise l’égalité des chances et minimise les iniquités. Un travail d’équilibre à chercher ensemble. Un débat sociétal doit-il être lancé?

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