Déçu de moi

Déçu. Je suis déçu de moi-même. Déçu d’avoir pu lire sans sourciller une nouvelle venue de Genève. A peine ai-je haussé les épaules, profondément soupiré et refermé mon journal d’un geste qui exprimait théâtralement mon refus et mon aversion. Un parti politique d’importance cantonale et disposant d’un élu au Parlement fédéral proposait de lancer une vaste campagne sur le thème « zéro frontalier ». Un nouveau label garantissant l’absence de frontaliers : « Onex, ville de progrès, commune zéro frontalier ». Sûr de son idée, le président Eric Stauffer a affirmé proposer son affichette aux commerces genevois qui pourront ainsi informer leur clientèle sur l’absence de frontaliers dans leur équipe. En effet, tous les frontaliers ne sont pas noirs et les clients pourraient les prendre pour des Genevois de souche. La journée commençait mal et j’étais déçu de moi-même.

J’ai été encore plus déçu de lire dans Le Temps du 11 mars qu’un libraire carougeois s’indignait du manque de réactions à cette campagne honteuse. Quelqu’un dont j’ignorais l’existence au moment de lire son interview m’avait rattrapé et avait mis le doigt sur mon laisser-aller. Frederik Sjollema, patron de la librairie « Les recyclables », avait diablement raison : comment était-ce possible de découvrir cette affichette sans réagir ? Comment ne pas se mettre à écrire un blog de réaction dès le journal refermé ?

Loin d’être seulement banale et personnelle, l’anecdote traduit avec quelle vitesse nous avons lâché du terrain à ceux qui font métier de la haine de l’Autre. Nous ? Tous ceux qui se soucient d’un débat public de qualité et d’une discussion politique visant des solutions, pas la dénonciation aussi facile que fallacieuse de ceux qui font partie intégrante de notre projet de société. Le discours sur la présence de l’Autre s’est durci. Il ne fait aucun doute qu’il dépasse souvent les bornes. Il n'est plus seulement l'apanage des MCG et autres Lega, l'idée de Stauffer est inspirée de la pratique de la commune de Claro (Tessin) présidée par un PLR. Encore le refrain du politiquement correct, du vivre-ensemble, du respect ? Bien sûr, revendiqué ! Ce politiquement correct qui pose les conditions-cadres qu’un débat public respectueux de ses membres devrait prendre comme base. Je remercie le libraire pour sa réaction forte. Il m’a réveillé et m’a permis d’écrire cette chronique. Je reste déçu, mais un peu moins.

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)