La discussion autour de la mise en œuvre de l’initiative du 9 février prend des tournures apocalyptiques au lendemain de la publication des nouveaux chiffres de la population suisse par l’OFS. La Suisse arrive à 8,1 millions d’habitants et le solde migratoire 2013 totalise 89'500 personnes. A la lecture de ces chiffres, les cris d’orfraie de toutes les forces politiques semblent se lier pour appeler l’économie à prendre ses responsabilités et à stopper d’engager des ressortissants étrangers. Parmi tant d’autres, Robert Cramer (Verts/GE) et Isabelle Moret (PLR/VD), interrogés dans le Temps du mardi 30 septembre, parlent de « solutions de facilité » et de « responsabilité morale ». Le ton se veut outré, la posture affligée.
Essayons de revenir à l’automne 2013 et de nous imaginer ce que la plupart des politiciens auraient alors dit. Premièrement, l’immigration vers la Suisse est avant tout économique. L’économie recrute des gens car elle tourne à plein régime. A moins que ce pays n’ait définitivement sombré dans une grave schizophrénie, c’est a priori une excellente nouvelle. Deuxièmement, que signifie appeler l’économie à « prendre ses responsabilités » ? Veut-on sous-entendre que l’économie suisse aurait un autre choix que d’engager ces ressortissants étrangers ? Avec un taux de chômage autour de 3%, nous sommes proches du plein-emploi et nous n’avons tout simplement pas les réserves nécessaires de personnel adéquat. On a beau crier de manière presque insultante qu’il faut ressortir les femmes des cuisines et des pampers et raccourcir les retraites anticipées, cela ne suffira pas à combler les besoins d’une économie prospère et florissante. Et le retour de ces personnes sur le marché du travail créera de nouveaux postes de travail. Maudit cercle vertueux de création d’emplois. Troisièmement, ceux qui à l’époque se battaient contre l’initiative de l’UDC auraient rappelé que l’économie planifiée n’avait jamais produit de résultats exceptionnels. En effet, une fois abandonné le contrôle de l’immigration par le système de libre circulation économique, l’alternative consiste à donner à l’Etat mission de déterminer qui peut engager un étranger pour accomplir quelles missions. Voilà ce qu’appellent de leurs vœux nombre de parlementaires autrefois libéraux : une bonne vieille planification pour forcer l’économie à prendre ses responsabilités. Forçons les entreprises à engager des résidents qui ne sont tout simplement pas là, pas assez qualifiés ou qui ne veulent plus travailler. Aux champs !
Mais voilà, tout cela aurait été dit en automne 2013. Depuis le 9 février, nous sommes entrés dans une Suisse de la fermeture et du repli. Ceux qui autrefois montraient les dents se dépêchent aujourd’hui de jouer le jeu des gagnants du 9 février. En chœur, ils répètent le nouveau mantra officiel : oui, l’immigration est un problème, oui le peuple suisse veut moins d’étrangers, oui la Suisse doit redevenir un pays à 4 millions d’habitants.
Mais la décision populaire du 9 février ne change rien sur le fond. L’immigration n’est toujours pas un problème. Bon an mal an, c’est un phénomène qui continuera à nous occuper et qu’il nous faut apprendre à transformer en opportunités. Tenter de « régler le problème » par recours à la planification économique est une illusion aussi forte que dangereuse. Devoir maintenant la mettre en œuvre au titre de décision populaire ne nous dédouane pas de continuer à affirmer haut et fort que le système de libre circulation est un système de contrôle de l’immigration autrement plus efficace. L’équation « un travail=un permis » permet de respecter la liberté des migrants et des entrepreneurs de ce pays.
Populisme pur que d’affirmer que les entreprises suisses auraient la possibilité de faire autrement tout en maintenant leur croissance. De plus, faut-il rappeler que la Suisse crée massivement des emplois ? Selon les chiffres du SECO, le nombre total (moyennes annuelles) de personnes actives occupées a passé de 4,705 à 4,837 millions de personnes entre 2011 et 2013. Les Suisses ont une attitude d’enfants gâtés irresponsables lorsqu’ils se plaignent que leur économie produit trop d’emplois et de richesses.
Quant à la vision que nous développons du pays pour les trente prochaines années, vivement une Suisse qui se pense comme une métropole nationale : 10 millions d’habitants, des zones urbaines très densifiées, des zones à haute valeur ajoutée où vie économique et sauvegarde du paysage sont réconciliés et des infrastructures de mobilité de haute facture pour les relier. Voici un pays prospère et sûr de lui dans lequel il fera bon vivre.