Un noeud et ses fils, le droit international et l’UDC

Voilà une année que l’UDC avait promis une initiative sur le rapport entre droit international et droit suisse. Silence radio pendant de long mois. Mi-juillet 2014, Stefan Schlegel parlait d’un « avis de disparition » dans l’hebdomadaire Die Zeit. Le temps nécessaire à la formulation du texte d’initiative en dit d’ores et déjà long sur les difficultés inhérentes à ce projet. Au cours de séances interminables, il faut s’imaginer les stratèges de l’UDC cherchant à démêler pour mieux embrouiller les fils des traités internationaux par lesquels la Suisse s’engage. Au final, le nœud s’est compliqué et le texte met véritablement en danger la capacité d’action internationale de la Suisse.

Il faut revenir à l’objectif initial poursuivi par l’UDC: dénoncer un droit international pensé comme un carcan qui empêche le peuple suisse de décider librement de son destin. A cette fin, le parti entretient une opposition artificielle entre le droit international et le droit suisse. Le droit suisse serait le fait de citoyens éclairés tandis que le droit international serait imposé à la faible Suisse. Cette opposition manque toutefois de souligner que le droit international relève de l’engagement de la Suisse. Lorsqu’elle signe un accord de libre-échange avec la Chine, lorsqu’elle négocie un accord sur l’électricité avec l’UE, lorsqu’elle ratifie la Convention européenne des droits de l’homme, la Suisse s’engage et fait valoir ses intérêts.

Ces engagements internationaux et les projets législatifs puisent leur légitimité à la même source (les choix des citoyens). Ils peuvent bien entendu être en tensions. La situation n’est pas celle d’une personne qui se verrait imposer des obligations de l’extérieur, mais celle d’une personne ayant promis de faire plusieurs choses incompatibles. Propriétaire d’un terrain, j’ai choisi de le vendre et en même temps j’ai mandaté une entreprise pour y construire une maison. Les deux projets sont incompatibles et il faut choisir lequel poursuivre. L’architecte et le constructeur de piscine ne seront certainement pas heureux, à moi de trouver une solution avec mes partenaires. Dans notre vie quotidienne comme dans les relations internationales, les promesses et les engagements ne sont pas de vains mots: ils sont l’expression de la liberté d’agir. Sans eux, aucune société organisée ne peut exister et l’anarchie règne.

Le texte de l’UDC veut une Suisse qui ne s’engage pas et qui ne peut pas tenir ses promesses. Comment vont réagir nos partenaires si au cours d’une négociation, ils remarquent que la Suisse promet quelque chose mais qu’une décision ultérieure pourra systématiquement rendre cet engagement inopérant? Comme quand nous jouions dans la cour d'école, nous promettons tout en croisant les doigts dans le dos. Si elle veut rester crédible, la Suisse doit accepter que le droit international soit prioritaire. L’UDC le reconnaît elle-même à travers sa proposition d’article 56a de la Constitution: La Confédération et les cantons ne prennent pas d'engagement en droit international qui contreviennent à la Constitution fédérale. En cas de contradiction, ils veillent à l'adaptation des engagements de droit international aux exigences de la Constitution, si nécessaire en résiliant les traités de droit international concernés. Mais pourquoi prendre cette précaution, vu que le «droit suisse» prime de toute façon? Pourquoi est-il nécessaire de dénoncer des traités que la Suisse ne serait, soi-disant, pas tenue d’observer? Parce que le droit international, par son existence même, doit avoir priorité et que l’UDC ne parvient pas à changer cette réalité. L’initiative est prise au piège de la question qu’elle pose. Le droit international reste prioritaire, car sinon il disparaît.

Il serait faux de conclure que la Suisse est prise au piège de ses engagements. Dans certains cas exceptionnels, elle peut choisir de résilier les engagements qu’elle a pris, le tout dans le respect de ses partenaires et en acceptant de prendre ses responsabilités. Une initiative intéressante aurait pu porter sur cette question: comment permettre aux citoyens d’avoir leur mot à dire dans la dénonciation de certains traités? Le choix du 9 février a montré que cette question était cruciale. En rétablissant les contingents, la majorité a-t-elle dit clairement qu’elle souhaitait dénoncer l’accord de libre-circulation avec l’UE? La question n’était pas posée assez clairement pour permettre une réponse limpide. L’insécurité du droit et une position de négociations exécrable découlent directement de cette situation brumeuse.

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)