Droit international: l’heure de parler fort

Dans une tribune publiée la semaine passée dans L’Hebdo, le Sieur Charles Poncet s’en est pris vertement à l’étude du Prof. Walter Kälin sur les relations entre droit suisse et droit international sur la question de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). L’esprit taquin et la plume habile, Charles Poncet dénonçait une erreur de timing politique, enjoignant l’académicien à faire preuve de sensibilité. Comment peut-on ainsi agiter un «chiffon rouge» devant un «taureau qui ne demandait qu’à charger»?

A l’inverse du Sieur Poncet, j’aurais souhaité que le Prof. Kälin tonne de la voix et que son étude soit relayée dans tous les médias du pays. Sur la forme tout d’abord, le polémiste genevois semble confondre étude scientifique et opinion politique. Lorsqu’une association lui demande un avis de droit, le Prof. Kälin ne livre pas une note politique, mais une analyse juridique à travers laquelle il engage sa réputation de chercheur. Charles Poncet relaie avec légèreté les propos de l’UDC et de son communiqué de presse où l’étude est présentée comme étant «de gauche». Par ce biais, il laisse entendre que la position défendue par Walter Kälin est une position politique et tendancieuse. L’analyse du professeur bernois rappelle en substance une banalité: les engagements pris par un Etat doivent être tenus. Pacta sunt servenda pour le dire dans une langue qu’affectionne le Sieur Poncet dans ses chroniques.

Nonobstant la dimension scientifique et la recherche de vérité objective, faut-il être de gauche pour défendre les libertés et les droits individuels? Loin s’en faut, et on rêverait d’entendre la droite modérée monter au créneau pour défendre les libertés individuelles. Car derrière la controverse autour de cet avis de droit se cache la question de la pérennité du Centre suisse de compétences pour les droits humains, pour l’heure limité à un projet pilote d’une durée de 5 ans (2011-2016). Tous les citoyens sortent gagnants de l’existence de ce centre de compétences. Les questions liées à nos droits y sont traitées de manière scientifique et critique. Les partis politiques modérés arriveront-ils à transformer l’essai et à créer une véritable institution pour les droits de l’homme, dotée de moyens pour mener à bien sa mission et conserver son indépendance?

Sur le fond du propos, la chronique de Charles Poncet laisse un goût amer sur la vieille rengaine du «bon moment». Pour la défense des engagements internationaux de la Suisse, pour la protection des droits de l’homme ou pour le rappel de quelques fondamentaux, ce n’est jamais le bon moment. L’UDC a le vent en poupe, mieux vaut laisser la situation se calmer un peu. Mais cette illusion du « bon moment » ne traduit-elle pas qu’il est déjà trop tard ?

Nous avons besoin de voix fortes et décidées pour porter la pertinence des libertés individuelles. Clamons haut et fort que les juges de Strasbourg ne sont pas des juges «étrangers», mais qu’ils sont des juges «internationaux» que tous les Etats partagent. La juge suisse Helen Keller est toujours présente lorsque notre pays est mis sur le banc des accusés. Affirmons haut et fort qu’au-delà des polémiques gratuites, la Suisse n’a été condamnée qu’à 9 reprises en 2013, témoignant de l’excellent système de protection des libertés. Rappelons haut et fort que le respect de la Convention par la Suisse relève d’un engagement honnête et crédible. Au terme d’un débat approfondi et difficile, la Suisse s’est engagée en 1974 à respecter la Convention européenne des droits de l’homme. Si je signe un contrat pour acheter une maison, puis-je me rétracter une fois les ouvriers au travail? Si chaque pays applique ses engagements à la carte, le système international s’effondre. Respecter cet engagement met donc directement en jeu la souveraineté et la crédibilité de la Suisse.

La Suisse conserve bien sûr une marge de manœuvre politique. Comme l’UDC l’appelle de ses vœux dans son programme de législature, la Suisse peut dénoncer la Convention. Chaque citoyen suisse perdrait une garantie de protection de ses droits fondamentaux et de ses libertés. Mais sur le plan international, ce retrait donnerait un terrible signal politique à l’encontre des Etats peu respectueux que sont par exemple la Turquie ou la Russie. La Suisse rejoindrait la Biélorussie en tant que seul Etat européen non signataire de la Convention. Avec des amis comme la dernière dictature d’Europe, plus besoin d’ennemis.

 

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)