L’étrange rendez-vous de 2016

Ils se succèdent à la tribune des soupirants. Tous veulent nous convier au rituel helvétique d’un dimanche de votation où le peuple décide de son avenir. Le président Didier Burkhalter a ouvert les feux en proposant une votation en 2016 sur l’avenir de nos relations avec l’Europe. Christoph Blocher l’a suivi vendredi 9 mai en annonçant les préparatifs pour un grand combat européen. Au terme des « Etats généraux européens » du samedi 10 mai, le Nouveau Mouvement Européen Suisse (NOMES) boucle la liste des rendez-vous avec l’appel à un nouveau vote populaire.

Le peuple suisse a donc reçu un triple rendez-vous européen. La phase dans laquelle nous entrons est essentielle car elle vise à définir les alternatives qui seront proposées lors de ces différents rendez-vous. Dans toute négociation, une bonne partie du résultat se joue dans cet effort de définition. Voterons-nous sur l’alternative entre A et B, ou entre A ou C ?

Le NOMES et Christoph Blocher poursuivent la stratégie de la montée aux extrêmes. Dans sa résolution, le NOMES appelle les citoyens à se préparer à une votation sur l’ « isolement ou l’adhésion ». Christoph Blocher oppose le « rapprochement institutionnel » et l’« adhésion à l’Union européenne » à la défense de « l’indépendance, la neutralité et les droits populaires ». Le ton se veut combatif, le vocabulaire guerrier. Nous avançons vers un combat où les prisonniers et les dégats collatéraux semblent secondaires. Il reste à prouver que  Christoph Blocher pourra rallier l’entier de son parti à cette cause extrême. Dans l’interview diffusée sur «Teleblocher», il mentionne explicitement la mise en commun des forces de l’UDC, de l’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre) et du nouveau « Comité UE non ». Si elle existe encore, l’aile pragmatique de l’UDC doit se préparer à un rude combat interne – surtout si le Zurichois engage sa fortune personnelle.

Ces deux stratégies ont d’intéressants points communs. Premièrement, ils laissent entendre que la question est une décision helvético-suisse. L’UE n’est pas considérée comme un partenaire au sens fort, mais comme une sorte d’objet extérieur que la Suisse peut  choisir d’ignorer ou qu’elle doit absolument rejoindre. Sur la vision qu’entretient la population suisse de l’UE, la victoire de l’UDC est presque totale. Depuis 20 ans, elle a réussi à imposer l’idée que l’UE n’est pas un partenaire avec qui nous devons négocier et trouver des arrangements. L’UE est un monstre mécanique qui veut nous imposer ses décisions et que nous devons repousser sans autre forme de considération.

Deuxièmement, aucune des propositions n’intègre vraiment le vote sur la libre circulation. Le 9 février a joué le rôle d’étincelle, mais son résultat est intégré dans un nouveau rendez-vous sur l'avenir de nos relations bilatérales. A ce titre, le jeu du tribun UDC fait clairement apparaître que son objectif numéro un consiste à torpiller les relations bilatérales. L’immigration ne joue qu’un rôle très secondaire et Christoph Blocher laissera tomber cet épouvantail dès qu’il aura joué son rôle. Du côté du NOMES, on poursuit clairement l'objectif de continuer à légitimer le questionnement sur l'adhésion. L'effort de "benchmarking" dans le débat européen bat son plein.

A l’inverse de ces stratégies extrêmes, le président Burkhalter propose un choix alternatif entre le renouvellement de notre rapport bilatéral avec l’Union et la poursuite d’un statu quo jugé désavantageux pour le pays. Dans l’interview qu’il a accordée à la « NZZ am Sonntag », le président rappelle lapidairement qu’il « vise la meilleure solution pour la Suisse, ni plus, ni moins ». Cette approche est la seule qui permette de mettre au cœur de la discussion les intérêts du pays dans le contexte d’une véritable négociation avec l’UE. La question qui doit nous guider est la suivante : comment la Suisse peut-elle coopérer avec l’Union de manière à ce que notre pays puisse défendre au mieux ses objectifs ?

Le président Burkhalter a raison de poursuivre son approche pragmatique, laissant aux autres acteurs le soin de placer leurs différents « benchmarks ». Néanmoins, cette stratégie reste une coquille vide si le Conseil fédéral ne s’empresse pas de l’intégrer dans un discours fort basé sur des valeurs. Il reste deux ans et un renouvellement complet du Parlement fédéral pour mettre sur la table et expliquer pourquoi une Suisse libre, intelligente et confiante est une Suisse qui négocie à tous les échelons de l’UE et qui cherche un contact privilégié avec tous les partenaires capables d’assurer une prospérité commune.

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)