« En tous cas, je ne connais personne qui serait plus féministe que moi. Aujourd’hui, ce n’est pas très à la mode, bien au contraire. Chez les jeunes filles, il est plutôt de bon ton d’en rigoler. Je trouve que c’est réfléchir à court terme. »
La phrase pourrait être tirée d'une conversation que vous auriez eue la semaine passée avec une amie, une sœur, une fille. Elle provient pourtant d'une lettre datée du 1er novembre 1943, sous la plume d'Iris Meyer, devenue après son mariage Iris von Roten (1917-1990). 71 ans plus tard, en ce 8 mars 2014, le féminisme n'a (toujours) pas bonne presse. Tout du moins dans nos contrées, alors qu'il semble « in » de se dire féministe aux Etats-Unis comme le rapporte Nic Ulmi dans les colonnes du Temps.
Profitez de ce week-end pour faire un sondage dans votre entourage : qui parmi vos proches se dit féministe ? Puis demander : qui accepterait d'être moins payée que son collègue de bureau mâle ? Pour le « label » féministe, la clef du problème se trouve dans les réponses différentes apportées à ces deux questions.
Comme l'écrivait Iris von Roten dans la correspondance qu'elle entretenait avec Peter von Roten : « Quand je cherche une explication au fait que le féminisme est vu comme une honte et que les jeunes filles, précisément ma génération, l’évitent à dessein, je dois alors simplement me demander : qu’est-ce qui m’a empêché de rejoindre les membres des organisations féminines, pourquoi ces femmes m’apparaissent comme des habitantes d’un autre monde ? Je sais très exactement pourquoi. D’une certaine manière, on y associe l’idée d’un être sans plaisir, un être sans passion et sans beauté. Je trouve également que l’expression « féministe » est dépassée – mais seulement parce qu’à mon avis, elle est trop peu complète. En effet, il en va sur cette question aussi des droits politiques des femmes, mais avant tout de toute la vie qui leur est due, l’épanouissement de leur être. »
Le vote suisse sur le remboursement de l'interruption de grossesse en février dernier a montré que certains acquis du féminisme de nos mères et grand-mères avaient maintenant force d'évidence. De toute évidence, il reste des questions où il est urgent d'agir, notamment l'égalité de salaire et de conditions de travail. Parmi ces batailles, certains objets gagneraient à être compris comme des combats pour l'égalité : le libre choix réel de son mode de vie et d'organisation au sein du couple (à quand un congé parental crédible?), l'âge de la retraite (les justifications d’antan sont-elles encore valables ?), l'obligation de servir (les femmes dans l’armée ?), la flexibilisation des structures d'entreprises (à quand le temps partiel pour les hommes?). Ces questions nous touchent tous et les hommes sont appelés à se dire féministes et combatants de l'égalité.
Puisse un chroniqueur écrire dans quelques années que ces questions ont été réglées. Il pourra alors utiliser la formule d’Iris von Roten : « même si parmi elles se trouvent de nombreuses femmes dont je ne partage pas la vision de la vie et auxquelles mon être s'oppose profondément, je me dis la chose suivante : sans elles, je ne pourrais pas vivre comme je le fais aujourd’hui, et ce sur le plan matériel, intellectuel et spirituel ».