Une Suisse entreprenante à Bruxelles: vers un «Swissnex» politique?

La Suisse s’en va-t-elle à l’assaut de l’Union européenne ? A Bruxelles, au cœur du pouvoir politique de l’UE, la Suisse lancera fin janvier un cycle de conférences intitulé «Une Suisse entreprenante pour l’Europe du futur». En collaboration avec l’Université libre de Bruxelles (ULB) et la mission suisse auprès de l’Union, cette série de conférences vise à «mieux appréhender et comprendre» la relation entre la Suisse et l’UE. La première conférence, donnée par Peter Maurer, aura trait à la naissance du CICR.

Qu’on se représente bien la chose: voici donc une «Suisse entreprenante» qui organise une série de conférences directement sous le nez de ses partenaires européens et qui convie à débattre de «l’Europe du futur». S’agit-il bien de la Suisse que nous connaissons, ce symbole de neutralité, de retenue et de prudence? Comme pour compenser cet accès de témérité, la communication lapidaire sur ce projet semble traduire une certaine prudence du côté du DFAE.

Et pourtant, la manœuvre mérite d’être complimentée. La Suisse est un modèle de réussite économique, sociale et politique. Si elle ne confond pas fierté et vantardise, compétences et prétentions, la Suisse a raison de faire la promotion de ses succès. D’une façon exagérée et un peu naïve, France 2 avait déjà en décembre dernier fait l’apologie de certains aspects du système helvétique dans une émission intitulée «Y’a-t-il un miracle suisse ?» (16 décembre 2013). Une émission qui n’était pas sans rappeler la scène mémorable du talk-show «On n’est pas couché» en mars dernier où François Bayrou avait sorti le code de droit du travail suisse en direct: un modèle d’efficacité!

Aller plus loin que la promotion

Le cycle de conférences vise toutefois à aller plus loin que la simple promotion du modèle suisse sur un mode publicitaire. La série de rencontres «Partners in dialogue», lancée en 2010, remplit déjà ce rôle en offrant une plateforme à la Suisse au cœur de Bruxelles. Le nouveau projet franchit un cap en cherchant à mettre en place une véritable stratégie de diplomatie «second track». En deçà et en parallèle des acteurs officiels, la Suisse profite de ces relais qui sont à même de faire valoir les intérêts et les compétences suisses auprès de l’Union.

A ce titre, le choix de s’allier avec un acteur académique de premier plan comme l’ULB relève d’une bonne réflexion stratégique. L’académie peut jouer pleinement son rôle de transmetteur de savoir et faciliter, politiquement, la «reprise» de ce savoir auprès des différents partenaires. On peut regretter que le format retenu – conférence ex cathedra et série de questions – ne brille pas par une originalité débordante. Espérons que l’ «accueil et l’apéritif suisse» promis par l’invitation compensent ce format trop sec.

Cette diplomatie «second track» basée sur les contributions du modèle suisse à l’Europe de demain aurait les moyens de rendre tous les acteurs heureux. La Suisse passe du rôle de «profiteur» à celui de partenaire mettant ses compétences et succès au service de l’UE. Par le biais d’apports scientifiques, l’UE s’inspire des expériences politiques suisses et enrichit sa propre réflexion. Les universités et centres de recherche jouent pleinement leur rôle de courroie de transmission du savoir.

Vers un Swissnex politique?

Si la direction choisie est la bonne, elle mériterait d’être poussée plus avant. Les «Swissnex» ont permis à la Suisse scientifique de se faire connaître aux points névralgiques de la production du savoir. Pourquoi ne pas chercher à faire de même avec le «modèle suisse», à savoir les recettes qui font le succès économique, social et politique de notre pays? Comme le propose Nicola Forster, pour la Suisse, le but serait de chercher à pacifier des discussions politiques par le biais d’une approche scientifique, permettant d’un même coup de mettre en avant ses compétences propres et l’excellence de sa recherche. A terme, ces nouveaux contacts auprès des décideurs, dans le monde académique et dans la société civile seraient d’excellents relais pour la Suisse. La réflexion fait figure de programme: à quand un «Swissnex» des compétences économiques et politiques, installé à Bruxelles, et réunissant centres de recherches et think-tanks de Suisse et d’Europe? 

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)