Les chiffres de la libre circulation sont disséqués, les effets soupesés, les avis disputés. Dans ce débat, on tendrait presque à oublier que nous ne voterons pas sur une critique de la libre circulation, mais sur la réintroduction de contingents. L’idée fondamentale est claire: l’Etat fixe au début de chaque année un certain nombre de permis qui seront ensuite attribués aux différents «immigrants».
Passons ici rapidement sur une difficulté centrale du texte de l’UDC: des questions aussi différentes que l’asile, le regroupement familial et l’immigration économique sont toutes jetées dans un même panier. C’est ce panier commun qui sera soumis au système des contingents, passant outre les logiques très différentes de ces différentes questions. En effet, l’asile et la protection des personnes ne répondent pas d’un même objectif que l’immigration économique.
Le problème fondamental des contingents
Outre ce grave problème de l’initiative, un régime de contingents souffre d’un problème fondamental bien connu: l’Etat n’est pas en mesure de savoir d’avance combien et de quelle sorte de main-d’œuvre les entreprises auront besoin. Les fonctionnaires fédéraux avancent donc à l’aveugle. Soit ils placent les contingents si hauts qu’ils ne seront jamais atteints et ne servent donc à rien, comme ce fut le cas avant l’introduction de la libre circulation avec l’UE. Soit les contingents sont trop faibles et l’Etat est forcé d’en accorder plus dès que l’économie crie assez fort, comme le montre l’actuelle situation avec les permis pour les ressortissants des pays hors de l’UE.
Face à cette critique, l’ultime joker semble s’appeler système à points. Arguant à l’exemple du Canada ou de l’Australie, les promoteurs de l’initiative promettent un nouveau système de contingents, loin des absurdités bureaucratiques et des errements planificateurs. L’idée parait claire : seuls ceux qui accumuleront suffisamment de points (en fonction des compétences professionnelles, du niveau de formation, des connaissances linguistiques…) pourront entrer en Helvétie.
Le système à points : une possibilité mais pas une réponse
Le système à points est compatible avec un régime de libre circulation comme avec un régime de contingents. Les points ne sont pas là pour déterminer le nombre de permis disponibles, mais pour distribuer les permis disponibles. En d’autres mots, le système à points n’est pas une alternative à la libre circulation. Il en représente une variante.
Ainsi, on peut s’imaginer un régime de libre circulation (pas de limite fixée d’avance) avec un système à points. Hypothétiquement, les Suisses et les Européens atteignant un certain nombre de points se verraient alors attribués un permis de séjour. Dans ce cas, le système à points remplacerait l’obligation d’avoir un contrat de travail dans le régime actuel. Dans le même ordre d’idées, on peut s’imaginer un régime de contingents avec ou sans système à points. Les points permettraient alors de distribuer les permis disponibles selon certains critères.
Schématiquement, voici de quoi il retourne :
Principe fondamental: libre circulation ou contingents
Principe de distribution des permis: existence d'un permis de travail ou système à points
Le système à points ne résout donc pas le problème fondamental du régime de contingents : l’inadéquation entre les demandes de l’économie et le nombre et genre de main-d’œuvre disponible. Le système à points ne détermine pas le nombre de permis disponibles ; il offre une clef de distribution.
De plus, le système à points souffre d’une difficulté propre. En effet, le système à points tend à favoriser les personnes hautement qualifiées. C’est le syndrome du « chauffeur de taxi avec deux doctorats ». Imaginons : les immigrants sont sélectionnés en fonction de leurs compétences. Plus ils sont formés, plus ils reçoivent de points (les deux doctorats). Mais comme le montrent les chiffres du travail au gris et au noir, l’économie a également besoin de main-d’œuvre moins qualifiée (un chauffeur de taxi). L’inadéquation est programmée ! Faites l’expérience lors d’un prochain passage au Canada en demandant à votre chauffeur quel était le titre de son doctorat…
Au final, l’argument du système à points ne permet pas de résoudre les difficultés inhérentes au régime de contingents. Les points offrent uniquement un moyen de distribuer des permis disponibles, indépendamment de savoir si ces permis sont en nombre limités (contingents) ou non (libre circulation). De plus, le système du contrat de travail actuellement en vigueur entre l’UE et la Suisse (une place de travail=un permis) permet de répondre plus efficacement aux besoins de l’économie. Effet collatéral, les conversations avec le chauffeur de taxi seront peut-être plus terre-à-terre.