Hier soir dans la prestigieuse Aula de l’université de Zurich – où Winston Churchill appela en 1946 à fonder les Etats-Unis d'Europe – Didier Burkhalter n’a pas déçu un public venu l’écouter parler d’Europe. Engagé et précis, divertissant et accessible, le ministre des affaires étrangères s’est présenté sous un jour conquérant. Il paraît loin le temps où le successeur de la pétulante Calmy-Rey semblait acculé, tant par ses partenaires européens que par les partis nationaux.
Didier Burkhalter est venu plaider sa cause, sa solution aux fameuses questions institutionnelles. Mais au-delà du fond, dévoilé depuis cet été, c’est la forme qui a connu un bouleversement d’importance. L’argumentaire du Conseiller fédéral était tout entier construit à l’aune des générations futures. A plusieurs reprises, il plaça ainsi son action dans une perspective temporelle longue, arguant que les choix devaient être faits aujourd’hui pour assurer la prospérité des Suisses de demain. Un choix stratégique pour s’élever au-dessus de la mêlée politique quotidienne et mettre ses objectifs dans une juste temporalité.
Dans le même temps, Didier Burkhalter a soigné l’accessibilité de son propos en argumentant par le biais d’images simples et parlantes. Trois images phares ont marqué son discours. Premièrement, l’UE est comparable à un train en marche. Les relations entre la Suisse et ce train en marche ressemblent donc au choix d’un voyageur sur le quai de gare. La Suisse veut-elle tenter d'accompagner ce train, à défaut d'y monter, ou laissera-t-elle l’Union aller son chemin sans chercher à entretenir des relations solides avec elle ? L’image du train est forte car elle permet de rendre compte que le statu quo n’existe pas dans nos relations avec l’UE. L’Union avance et si la Suisse ne réagit pas, sa situation se détériore petit à petit.
Deuxièmement, Didier Bukhalter a rappelé en français dans le texte que les vendanges venaient de commencer à Neuchâtel. Et que, selon la sagesse populaire, il fallait savoir cueillir le raison quand il est mûr. Comprenez : nos relations avec l’UE laissent ouverte une fenêtre d’opportunités peut-être unique pour un règlement des questions institutionnelles. De plus, le changement d’équipe à la Commission pourrait remettre en cause le goodwill existant. Ceci explique pourquoi la pression est à la hausse sur ce dossier, Didier Burkhalter évoquant une conférence politique d’importance mi 2014. Le message est clair à l'encontre de tous ceux qui veulent jouer la montre: si nous n’y allons pas, nous n’aurons au mieux que quelques bouteilles de surmaturé et pas mal de raisons gaspillés.
Troisièmement, afin d’expliquer la nécessité d’un renouveau institutionnel, le Conseiller fédéral a comparé nos accords européens avec un vieil ordinateur dont les softwares ne seraient plus à jour. Le matériel évolue et il faut adapter nos programmes afin de continuer à réaliser des performances similaires et surtout, faisant le lien avec l’image du train, afin de poursuivre une coopération efficace avec notre partenaire. Les commodores n'ont qu'à bien se tenir.
Le public de l’Aula de l'université de Zurich l’a immanquablement senti : Didier Burkhalter et son équipe sont entrés en campagne. A l’horizon, il y a bien sûr les votations sur la libre circulation, mais également un referendum sur les questions institutionnelles. Loin d’être un ennemi, l’UE est un partenaire de choix avec lequel il faut trouver un moyen d'assurer notre "indépendance" et notre "prospérité". Il est déjà bien tard pour tenter d’inverser des logiques que certaines franges politiques – dont celle du Conseiller fédérale Burkhalter – acceptent depuis trop longtemps. Mais il se dit que quand l’orage gronde à l’horizon, les vignerons neuchâtelois peuvent travailler vite et bien.