Le petit pays, le vésuve et le président

C’est l’histoire du président d’un petit pays. Par une belle journée d’été où le pays est à la fête, le président s’en va parcourir ses terres cherchant le contact avec ses concitoyens. Le président embrasse les enfants, serre des mains, trinque avec des inconnus qui lui sourient. Les habitants ont préparé un podium sur la place du village. De là, le président s’adresse à la foule.

Il explique que le petit pays subit les foudres des grands pays et que son indépendance est menacée. L’air sérieux, il appelle ses concitoyens à resserrer les rangs et à se battre pour la liberté et la prospérité du petit pays. Dans un coin, quelques enfants lancent des pétards sous le regard amusé du maire du village, délégué pour la journée aux grillades. Dans le petit pays, tout semble aller pour le mieux.

Mais le président poursuit. Il s’étonne que chaque pays bande ses muscles pour faire valoir ses intérêts. Le petit pays a perdu son âme de combattant, habitué à profiter de la marche du monde. Le président semble surpris que, pour une fois, les autres pays lui demandent des comptes. Pourquoi ne se contentent-ils plus d’une semaine de ski, de banquiers discrets ou d’une belle montre ?

Tout au long de sa carrière, le président n’a guère aimé les autres pays. Il a toujours rêvé d’un petit pays qu’on laisserait tranquille, le laissant vaquer à ses affaires. Le président n’a jamais aimé que le petit pays s’engage avec d’autres Etats et qu’il promette de respecter ceci ou cela. Ces accords empêchent le petit pays d’agir à sa guise, il ne peut plus bouger, il étouffe. Alors qu'un pétard chinois explose au loin, le président regarde ses concitoyens droit dans les yeux et leur dit que bientôt, ils ne pourront plus rien choisir et que leur destin se décidera dans un autre pays.

Un petit vésuve s’allume près du podium, le président paraît troublé. Il remarque qu’il a oublié d’expliquer que ce sont les petits pays comme le sien qui profitent le plus de ces accords internationaux. Il avait promis à son ministre des affaires étrangères de dire que le petit pays ne pourra se protéger que si les règles internationales sont respectées et que les droits de tous sont garantis. Tant pis, il le dira pour l’allocution de Noël.

Le président réajuste sa cravate. Le président a également oublié de dire que ces règles qui pourraient protéger le petit pays sont décidées dans le petit pays lui-même. Incroyable se dit le président : la solution serait là, dans la ville du bout du lac, avec ses organisations internationales et ses rencontres de haut niveau. Mais le président ne connaît pas bien cette ville, qui lui a toujours paru très éloignée. Tant pis, son successeur pourra l’évoquer l’année prochaine, il parlera du jet d’eau.

Le président voit la dame au bouquet se préparer. Son discours touche à sa fin. Il  reprendra bientôt sa place en bas de l’estrade, avec un verre de vin de la région. Il embrassera les enfants, serra des mains, trinquera avec des inconnus qui lui souriront. Avant de descendre du podium, le président remarque que quelques concitoyens quittent la place en secouant la tête. Le son n’était certainement pas de bonne qualité, ils sont déçus, pense le président. Il replie ses feuilles et sourit à la foule.

Johan Rochel

Dr. en droit et philosophe, Johan Rochel est chercheur en droit et éthique de l'innovation. Collaborateur auprès du Collège des Humanités de l'EPFL et membre associé du centre d'éthique de l’université de Zürich, il travaille sur l'éthique de l'innovation, la politique migratoire et les questions de justice dans le droit international. Le Valaisan d'origine vit avec sa compagne et ses deux enfants entre Monthey et Zürich. Il a co-fondé "ethix: Laboratoire d'éthique de l'innovation" (www.ethix.ch)