Les révélations du Tages Anzeiger et de la NZZ ont relancé les discussions sur les fameuses « questions institutionnelles » dans les relations Suisse-UE. Les deux journaux ont eu accès au document de travail préparé par la délégation suisse – emmenée par le Secrétaire d’Etat Yves Rossier – et la délégation européenne de David O’Sullivan. Le document esquisse trois variantes d’accord-cadre qui permettraient de régler les questions liées à l’application, l’interprétation et la surveillance des accords bilatéraux.
Selon les informations des quotidiens, seule la troisième variante semble avoir les faveurs politiques des deux délégations. Elle devrait ainsi fournir la base des discussions politiques plus larges qui vont s’ouvrir auprès des deux partenaires. Dans cette variante, le Tribunal fédéral conserve la compétence d’interpréter les accords et les obligations qui en résultent pour la Suisse. Le droit européen n’est pas repris de manière automatique, mais de manière dynamique sous contrôle du TF. Néanmoins, dans ce processus, le TF serait forcé de prendre en compte l’avis de son partenaire principal, la Cour européenne de justice (Luxembourg). Sur les questions mettant directement en jeu le droit européen et son interprétation, le TF devrait ainsi aller chercher l’avis de Luxembourg et le suivre. S’il ne le fait pas, l’UE pourrait être en droit de suspendre l’accord.
Au-delà des hauts cris des responsables politiques – la bashing systématique de l’UE continue de faire vendre – cette variante pourrait être en fait une excellente base de discussion. Elle permet en tous les cas aux deux partenaires de faire valoir leurs intérêts. Disons-le d’entrée : cette variante est incompatible avec une lecture absolutiste et erronée de la souveraineté. Si la Suisse ne veut rien donner, il ne sert de d’asseoir à une table de négociations. Didier Burkhalter l’avait rappelé clairement lors de son discours de Lucerne : le règlement de la question institutionnelle a un « prix ». Comme toutes négociations nota bene!
La variante retenue est intéressante pour la Suisse car elle consacre le rôle central du TF. Les juges de Lausanne conservent le contrôle sur l’interprétation et la surveillance des accords. Il est compréhensible que dans certains cas, les juges fédéraux soient forcés de prendre en considération l’interprétation de leur vis-à-vis européen, la Cour de Luxembourg. Cela permet de rendre justice à l’une des demandes phares de l’Union : l’interprétation uniforme du droit européen et de ses concepts clefs. Le fait que cette prise en considération soit obligatoire est logique. En effet, elle se transformerait en coquille vide si le TF était simplement « appelé » à consulter les juges de Luxembourg. Il est finalement tout aussi logique que le TF puisse décider de ne pas tenir compte de l’avis de Luxembourg, au prix toutefois de conséquences juridiques, politiques et économiques. Une telle décision équivaudrait à une rupture de contact.
Et la souveraineté suisse dans tout cela ? Il vaut la peine de placer la discussion dans le contexte élargi de l’UE et d’essayer d’expliquer pourquoi la situation suisse, sur cette question, est loin d’être exceptionnelle. La Cour de Luxembourg a acquis une expérience considérable dans la gestion pragmatique des relations avec les différentes cours nationales. Qui s’imagine que les Allemands, les Français ou les Italiens ont lâché facilement le contrôle sur le droit qui s’applique chez eux ? Qu’ils ont abandonné leur souveraineté le sourire aux lèvres? Ces discussions sont toujours douloureuses, ici comme ailleurs. A ce titre, poser la question du « qui a le dernier mot ? » est terriblement tentant, mais n’apporte au final pas grand-chose. Prendre toutes les mesures possibles pour favoriser une gestion pragmatique des divergences d’interprétation et d’application est autrement plus important. En d’autres mots : le but primaire est d’éviter d’arriver à la situation du « dernier mot ». A ce titre, on peut être confiant que Lausanne et Luxembourg coopèrent en bonne entente. Le TF a pour l’heure démontré qu’il était prêt à tendre une oreille attentive à l’UE, tandis que l’histoire de la Cour de Luxembourg se construit sur le délicat équilibre et le respect qu’elle a toujours cherché à donner à ses Etats Membres.