Le temps des réfugiés

Comment s’occuper des mineurs non accompagnés à Genève?

Certains mois, les migrants mineurs non accompagnés (MNA) sont plus nombreux que d’autres. Ils sont venus de France ou directement d’Espagne. Quelques fois on ne sait pas. Ils font partie des personnes les plus vulnérables d’Europe et de Suisse. Il y en a qui ont “quitté le bled” depuis des années. Aujourd’hui à Genève la grande majorité d’entre eux sont originaires d’Algérie, de Tunisie ou du Maroc.

Genève doit trouver des solutions d’assistance adaptées à ce groupe constitué d’une multitude de profils différents. Ils n’ont jamais déposé de demande d’asile. Certains arrivent, puis s’en vont vers d’autres villes ou d’autres pays européens, d’autres décident de rester dans notre canton pour se poser et se reconstruire. Ils craignent leur 18 ans parce qu’ils ont peur d’être encouragés ou forcés de quitter le territoire suisse et de devoir poursuivre en mode “errance clandestine et dangereuse” ailleurs en Europe.

Les cantons suisses et la confédération se trouveront peut-être bientôt devant des demandes de régularisation et craignent qu’une politique trop accueillante provoque un effet d’attraction. C’est possible mais cette crainte fondée ne justifie pas de laisser des enfants et des jeunes adultes à la rue, sans repas, à la merci de réseaux criminels.

A titre individuel, tous les interlocuteurs avec lesquels j’ai pu m’entretenir, que ce soit du côté des associations, du Service de protection des mineurs (SPMi) ou du DIP estiment que les MNA méritent une assistance plus adéquate leur permettant de vivre dans la dignité et la sécurité.

L’occupation du Grütli

Il fallait rendre les MNA visibles. Il fallait raconter leurs difficultés. Il fallait en loger certains qui étaient à la rue. Lundi 13 janvier le Collectif Lutte des MNA décidait de poser les matelas au Grütli et d’y faire chauffer la marmite pour appeler les autorités cantonales à agir. Le collectif revendiquait une série de mesures concrètes dont l’accès à un logement digne accompagné d’un suivi socio-éducatif pour les MNA mais aussi pour les jeunes majeurs (18-25 ans). Il demandait aussi la scolarisation pour tous les jeunes jusqu’à 18 ans et un accès à des formations professionnelles. Ils sont maintenant près de 30 MNA et jeunes adultes à dormir au Grütli selon la porte-parole du collectif.

 

Normalement les MNA qui se trouvent à Genève sont dirigés vers le Service de protection des mineurs (SPMi) par des associations, par la police ou par l’Unité mobile d’urgence sociale (UMUS). Dans les faits tous les jeunes ne sont pas enregistrés. Avant-hier trois MNA, arrivés à Genève il y a peu, ont souhaité s’enregistrer auprès du SPMi sans succès. Au sous-sol du Grütli, un collectif d’avocats organise régulièrement des consultations et constitue des dossiers afin qu’ils soient pris en charge par ce service.

Dans son point de presse lundi 22 janvier, le Conseil d’Etat soulignait sa volonté de “répondre aux besoins d’hébergement et de suivi des MNA, allant de la mise à l’abri humanitaire à la prise en charge en foyer éducatif” tout en rappelant la fluctuation du nombre de MNA ces derniers mois. Jusqu’en août, le SPMi suivait environ quarante jeunes par mois, puis 84 en septembre, 107 en octobre, 116 en novembre et 70 en décembre.

 

Le Conseil d’Etat, ses actions et ses intentions

Il expliquait aussi les mesures déjà prises en 2018 et 2019, soit la mise en place de l’accueil de jour des MNA au sein du programme CAP (15 places) de l’Association Païdos, la mise en place d’un suivi socio-éducatif de rue des MNA par l’Association RESET, l’ouverture de 10 places au sein des structures de l’Hospice général et finalement l’ouverture du nouveau Foyer de la Seymnaz en novembre dernier.

Concernant les actions mises en route en janvier, le Conseil d’Etat déclarait lancer un projet pilote d’accueil des MNA (12 places) au sein du programme Inserres à la Ferme de la Croix-Rouge genevoise, la mise en place d’un dispositif au sein de l’Accueil du secondaire II, le développement d’un “dispositif de premier accueil” en collaboration avec l’Armée du Salut et la collaboration avec des propriétaires immobiliers comme l’Hospice général pour élargir les possibilités d’hébergement des MNA identifiés comme vulnérables.

Projet pilote: le Foyer de la Seymnaz à Thonex

Ce foyer a ouvert en novembre dernier. C’est une villa dans un immense jardin qui peut héberger 20 jeunes garçons mineurs. Il est presque plein. Géré par la Fondation officielle pour la jeunesse (FOJ), le foyer serait unique en Suisse. J’y ai rencontré Cédric  (éducateur au centre) et heureux que les MNA trouvent un lieu de vie en sécurité où ils se sentent protégés.

Le foyer est une mise à l’abri. Ces jeunes ont eu des parcours migratoires incroyables, certains sont en Europe depuis des années. Il y en a qui ont quitté leur pays à 10, 11 ans. Certains montrent des signes de toxicodépendance. Ils sont passés par énormément de choses. Le foyer leur permet de se stabiliser. Ce qui reste compliqué pour eux c’est d’obtenir des soins médicaux car leur prise en charge médicale n’est pas assurée. Ils peuvent néanmoins demander des soins auprès de la Consultation ambulatoire mobile de soins communautaires CAMSCO mais ce n’est pas idéal.”

Libres de rentrer et sortir du foyer durant la journée entre les repas, les cours de français et les matchs de foot organisés plusieurs fois par semaine, les jeunes ont l’obligation de rentrer à 22 heures.

Carte de résident, scolarisation, formation

Interrogée sur la question de l’opportunité d’une carte de résident pour les MNA à Genève, Madame Cindy Parizot-Ponard, Cheffe de Service du SPMi, aussi présente au moment de la visite du foyer, bottait en touche en précisant ceci:

Actuellement, si par exemple, ils sont arrêtés par la police ou sujets à un contrôle, ils donnent le nom du curateur ou de la curatrice responsable (…) Pour les activités sportives, le SPMi peut inscrire un jeune dans un centre sur demande.”

Interrogée sur la question de l’accès des MNA à l’école ou à la formation, Madame Prunella Carrard, Secrétaire-générale adjointe du Département de l’instruction publique (DIP), également présente au foyer m’expliquait ceci:

Ce qui importe pour le DIP c’est de connaître l’identité des MNA qui souhaitent s’inscrire à l’école. Nous ne demandons pas de niveau particulier. Pour certains jeunes le cadre scolaire ne convient pas et nous essayons de trouver des alternatives comme celui du programme Inserres à la Ferme de la Croix-Rouge genevoise.”

La question de l’inscription à l’école est importante. Pour sa part, la porte-parole du Collectif Lutte des MNA déplore le fait que le Conseil d’Etat conditionne leur scolarisation à leur “motivation et stabilité”:

C’est à l’école que les enseignants peuvent se rendre compte de la motivation et de la stabilité d’un élève. Il faut d’abord procéder à la scolarisation des MNA. Ensuite les enseignants évalue si le cadre scolaire est adapté à chacun. Pourquoi renversé les choses lorsqu’il s’agit d’un migrant mineur non-accompagné. La Convention internationale des droits de l’enfant s’applique à tous les enfants de moins de 18 ans indépendamment de leur statut légal et la Suisse a ratifié ce texte.

Que sait-on d’eux?

Les requérants d’asile mineurs non-accompagnés (RMNA) passent deux auditions en présence d’une personne de confiance (représentant légal). Durant ces auditions, ils et elles doivent donner des informations très détaillées sur leurs parcours, leurs motifs de fuite, les raisons qui les ont poussés à fuir leur pays d’origine. Ce n’est pas le cas des migrants mineurs non accompagnés qui choisissent de ne pas déposer de demande d’asile. Néanmoins pour être enregistrés au SPMi ils doivent passer un entretien, expliquer leur parcours migratoire, les raisons de leur venue à Genève. Un entretien qui reste “light” par rapport aux auditions d’asile selon Cindy Parizot-Ponard.

Cet entretien n’a rien à voir avec les auditions d’asile mais nous leur demandons bien sûr de prouver leur identité. Ils fournissent en général des copies de leurs actes de naissance mais rarement d’autres pièces. On a vu un passeport en deux ans. Les MNA vont ensuite passer un entretien  auprès de la Cellule requérants d’asile de la police où ils donnent leurs empreintes digitales. C’est une pratique mise en place en août 2018. Etonnamment, les jeunes ne refusent jamais d’y aller et cela se passe bien.”

Quel avenir en Suisse?

Le nombre d’associations engagées dans l’assistance aux MNA est le reflet de l’indisposition initiale du canton à l’égard de ce groupe vulnérable. Le rôle de chaque association et des différents services intervenants dans l’assistance aux MNA devrait être mieux expliqué. Difficile de comprendre vraiment qui fait quoi avec quels fonds à disposition et selon quelles règles. A cet égard, le point de presse du Conseil d’Etat du 22 janvier donne le tournis.

Le Conseil d’Etat devrait dans quelques années recevoir des demandes fondées de régularisation à soumettre au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) qui lui-même sera sollicité par d’autres cantons. Il a tout intérêt à organiser l’aide de manière optimale et à consulter les autres cantons confrontés à la présence importante de MNA afin de mettre en place une politique d’assistance commune basée sur le respect des droits fondamentaux des mineurs non accompagnés.

Précision pour les MNA

L’Algérie, la Tunisie et le Maroc ne figurent pas sur la  sur la liste des Etats d’origine ou de provenance exempts de persécutions et le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) entre en matière lorsque les demandes d’asile proviennent de ressortissants de ces pays. Une procédure spéciale est enclenchée lorsqu’un ou une mineure dépose une demande d’asile en Suisse. Cependant les renvois vers ces pays ont été nombreux en 2018 et 2019 selon le SEM (1). 

Lire aussi:

Enfants et jeunes migrant.e.s non accompagné.e.s à Genève, Actes des Assises, mai 2019

A Genève le ras-le-bol des mineurs non accompagnés

Villes refuges: Exclusion d’Etats versus inclusion des villes

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(1) 2019 (1.1. – 30.11.19): Maroc : 23 (asile) + 9 (Loi fédérale sur les étrangers et l’intégration LEI), Tunisie : 27 (asile) + 19 (LEI), Algérie : 32 (asile) + 11 (LEI) 2018 (1.1. – 31.12.18): Maroc : 63, Tunisie : 58, Algérie : 66. Les chiffres des années avant 2019 contiennent des cas asile et LEI. Cependant, en 2018 et 2019, il n’y a pas eu de renvoi MNA vers les pays indiqués (Algérie, Maroc et Tunisie).

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