Une chronique politique sans parti pris

Un aveu de faiblesse

Il y aurait deux espèces de murs. Le plus célèbre, le Rideau de Fer, avait pour fonction d’empêcher les citoyens des prétendus paradis soviétiques de s’enfuir. C’était l’aveu de l’échec d’une économie planifiée. C’était l’attrait économique de vivre et de travailler dans une économie libérale. L’effondrement du Mur de Berlin a entrainé celui du système communiste. Ce mur fut un aveu de faiblesse.

Or, sous nos yeux se multiplient de nouveaux murs, apparemment d’une autre espèce, construits maintenant par les pays riches pour éviter d’être envahis par les migrants des pays pauvres. Le plus récent entre la Finlande et la Russie, précédé par celui de la Pologne et des pays baltes. Plus au Sud celui de la Slovénie et de la Hongrie face à la Croatie, de la Bulgarie et de la Grèce face à la Turquie, de Ceuta et Melilla face au Maroc. La Méditerranée joue pour sa part un rôle analogue, celui de fossé anti-immigration.

Cette seconde espèce de murs semble l’opposé de la première alors qu’elle a la même fonction, empêcher la migration économique. Elle n’en diffère que par le pouvoir organisateur. Elle signifie dans les deux cas une tension économique insupportable entre deux mondes. Elle admet l’incapacité de construire une économie mondiale harmonieuse. Elle nourrit le soupçon d’une inégalité dans les termes de l’échange.

L’extension de ces barbelés est à la fois la seule solution immédiate et l’aveu d’un échec dans la durée. Mais c’est un remède boiteux. Il n’empêche pas les passages clandestins, car aucune barrière ne peut être vraiment étanche, face à des migrants désespérés, prêts à risquer leurs vies, voire celles de leurs familles. Tout comme l’effondrement du Mur de Berlin sous l’assaut d’une foule résolue, ces murs ont vocation à s’écrouler sous la vindicte des peuples affamés.

La véritable solution serait-elle l’aide au développement pour fixer les candidats migrants sur place grâce à un sort plus acceptable ? On le répète sur tous les tons, mais avec la secrète appréhension qu’elle ne serve pas à grand-chose, qu’elle se dilue dans la corruption et la violence des pays concernés, que le bien-être ne s’exporte pas, car en fin de compte une civilisation particulière ne s’enseigne pas à ceux qui n’en veulent pas. Ce fut le projet avorté de la colonisation, qui constitua un affront insupportable à la dignité des colonisés, une contradiction dans les termes, un déni aux droits de l’homme sous le prétexte de les propager.

La coopération au développement relève de la même idée : il y aurait des peuples spontanément développés et d’autres qu’il faudrait aider à la devenir. La colonisation reposait sur la contrainte, la coopération sur la persuasion. Force est de constater qu’elle n’est pas plus efficace et qu’elle l’est même peut-être moins. Nous avons épuisé les deux procédés, la force et la douceur. Il ne reste que les murs, l’inscription visible dans le paysage de cette frontière entre deux moitiés incompatibles du monde.

C’est la manifestation d’une constante historique : la brutalité des relations entre civilisations différentes. L’Occident est recroquevillé sur l’obsession de la croissance et, pour s’en évader, pratique le tourisme dans le Tiers-Monde, une sorte de voyeurisme d’un paradis perdu, celui d’une autre forme de culture qui met en avant la convivialité, le loisir, le jeu, le plaisir plutôt que la consommation à outrance.

On ne peut conclure ce blog sans évoquer la sinistre efficacité du mur qui contraint les Africains à tenter des traversées aventureuses de la Méditerranée puisque la voie de terre est rendue artificiellement difficile. Chaque année des centaines de victimes se noient parce que les navires de sauvetage des ONG subissent maintes contraintes. Ces morts sont tués par suite de l’existence des murs. Jadis l’Allemagne communiste de l’Est abattait comme du gibier ses propres citoyens qui tentaient de lui échapper. Nous faisons de même par des voies détournées pour dissuader ceux qui veulent vivre avec nous, mais avec le même résultat et la même inspiration. On peut répéter sans cesse que l’on ne peut pas héberger toute la misère du monde, en citant Michel Rocard, un homme de gauche et en oubliant qu’il l’a complétée par ” mais il faut en prendre sa part.”. Cela ne touche pas le cœur du problème : pourquoi y-a-t-il tant de misère ? Ou encore : pourquoi y-a-t-il des pays riches ?

 

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