Une chronique politique sans parti pris

La double magie des OGM

 

Dans notre culture traditionnelle, on connaissait deux magies : la blanche, inspirée du divin, et la noire, possédée par le diable. La première apportait des miracles. Les adeptes supposés de la seconde étaient éliminés par le bûcher.

Une magie blanche subsiste dans un large segment de la population : croyance dans l’horoscope ou la voyance, fascination pour les apparitions, adhésion à des sectes, engouement pour les rebouteux, méfiance à l’égard de la science, remèdes miracles dans les petites annonces, partis populistes. A cette régression, se superpose l’attribution d’un pouvoir magique noir à la Technique. On la ressent comme une menace dans la mesure où on l’ignore.

La magie de la Nature est blanche pour les écologistes : l’évolution biologique déifiée est bonne. Pour une population incroyante la Nature remplace Dieu. Bien qu’elle se meuve au hasard, elle est infaillible, elle ne se trompe jamais. Sauf lorsqu’elle a créé l’homme, qui est adepte de la magie noire de la Technique. Exemple, les OGM : modifier le génome fabriqué par la Nature est un blasphème.  Les aliments produits de la sorte sont certainement toxiques, même si on ne connait pas de cas.

Au contraire pour les scientifiques, les OGM sont l’équivalent d’une magie blanche, la promesse de récoltes sans pesticides et d’une production suffisante de nourriture pour huit milliards d’humains. La source de la magie n’est donc pas la chose en elle-même, mais des esprits opiniâtres dans des visions opposées.

De toute façon, le débat est académique car l’utilisation d’organismes génétiquement modifiée(plantes et animaux) dans l’agriculture suisse, acceptée jadis au parlement en 2001,  est actuellement interdite par un moratoire voté par le peuple, renouvelé en 2021 pour cinq ans par un parlement timoré. Certains organismes génétiquement modifiés sont néanmoins autorisés à l’importation : une lignée de soja, trois lignées de maïs, deux vitamines, deux présures, deux types de sucres comme ingrédients et plusieurs enzymes alimentaires. Contradiction, puisque selon cette pratique les OGM seraient positifs ou négatifs selon leur lieu de production. Il ne faut pas que la glèbe sacrée helvétique soit souillée !

Les résultats du PNR59 (suisse), plaidant pour l’arrêt du moratoire, ont été balayés par ceux d’une seule étude provenant de l’Université de Caen (française). Le peuple ne veut ni des OGM, ni surtout des études scientifiques prouvant qu’il a tort, puisque ces études font elles-mêmes partie de la magie noire.  Si les OGM étaient autorisés moyennant leur déclaration lors de la vente, il y a maintenant peu de chance que les consommateurs les acquerraient après tout le tapage qui a été fait.  La croyance l’emporte sur la réalité au risque de prétériter l’économie agricole suisse.

Cette approche magique procède d’une vision animiste de l’univers. Dans cette représentation, les phénomènes positifs ou négatifs, qui affectent notre bien-être, voire notre survie, procèdent d’une intention occulte, attribuée à des esprits invisibles.

Selon Piaget, l’enfant considère longtemps les objets comme des êtres vivants, doués d’intention et de conscience[. Dans l’animisme archaïque des adultes, de multiples esprits furent longtemps attribués aux éléments de la nature. L’animisme originel fut suivi par  le monothéisme, c’est-à-dire le renoncement à une Nature magique animée par des esprits. Ainsi, la découverte des religions aurait procédé d’une clarification. Mais cette vision optimiste néglige les régressions et les dérives de la société au début de troisième millénaire.

On ne peut pas vivre dans un environnement scientifique et continuer à adhérer à des cultes du passé sans s’enfermer dans des contradictions et affaiblir le progrès de l’économie. La question est cependant simple : le recours aux OGM serait-il bénéfique pour l’économie agricole ? Certains pays, qui ont donné une réponse positive, en expérimentent les avantages.  Aucun cultivateur n’est du reste obligé de semer des OGM s’il n’y trouve pas son intérêt. « La surface mondiale cultivée d’OGM correspond en 2019 à 190 millions d’hectares soit environ 10% des surfaces totales cultivées. Les plus gros producteurs mondiaux sont les Etats-Unis, le Brésil, l’Argentine, le Canada et l’Inde. À eux cinq, ils totalisent 91% des surfaces d’OGM cultivées en 2019.Les quatre plantes OGM les plus cultivées sont le coton, le soja, le maïs et le colza. »

Il n’y a plus aucune raison pour que la Suisse s’obstine dans son culte de l’ignorance, sa régression dans l’animisme et ses moratoires à rallonge.

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