Une chronique politique sans parti pris

Pourquoi la Suisse échappe à la malédiction du Brexit

 

Il a suffi de 44 jours à Liz Truss pour parfaire le désastre du Brexit, que Boris Johnson avait mis trois ans à préparer. En abandonnant son poste de premier ministre au bout de six semaines, elle remporte le record du plus court mandat en Grande-Bretagne depuis 1945. Le pays n’est plus que le fantasme de ce qu’il fut jadis : le centre d’un empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais et la première place financière du globe. Mais le peuple y croit encore, conforté par les grands spectacles offerts par la monarchie. Le Roi ou la Reine ne sont-ils pas les chefs de l’Eglise anglicane, juste un cran en dessous de Dieu lui-même.

Cette illusion et cette croyance au miracle permirent à Boris Johnson de vendre le projet du Brexit à la population en lui attribuant les vertus souverainistes traditionnelles : du seul fait de son autonomie,  le pays retrouverait sa splendeur antérieure et, du coup, la richesse récupérée ruissèlerait par merveille sur tous les citoyens. Ils ne seraient plus confrontés à la concurrence sociale de travailleurs étrangers, qui déprimait le niveau des salaires. Comme, selon Johnson, l’appartenance à l’UE aurait ruiné à petit feu les Anglais de la classe moyenne, il pouvait lui imputer tout ce qui allait mal, c’est-à-dire ses propres gaffes.

Une fois le Brexit conclu, ses conséquences immédiates furent bien autres que ce qui avait été promis : de fait, les Britannique sont plus pauvres, les barrières douanières sont relevées, le pays est moins attirant pour les investisseurs, le chômage est en hausse,  il y a un manque à gagner fiscal, une fuite des talents, l’intégrité du Royaume-Uni est remise en question par la revendication d’indépendance écossaise. L’inflation y atteint 10% tout comme dans l’UE.

Face à ce désastre prévisible, Liz Truss proposa platement de réduire les impôts des plus riches afin de stimuler la croissance et d’en attendre des rentrées fiscales miraculeuses. Comme cette politique de St. Nicolas ne suscita l’adhésion de personne, le parti Conservateur y perdit sa réputation de gestionnaire avisé des finances publiques.

Quel leader charismatique aurait-il réussi à redresser cette situation qui témoigne de l’art de gouverner au plus mal ? Et qui réussira maintenant ? La faute en est-elle à Liz Truss, confrontée à une situation inextricable, au point de se raccrocher à la version la plus extrême de l’idéologie libérale dans l’espoir d’un miracle ? Ou bien faut-il remonter plus haut est incriminer le Brexit lui-même qui n’a pas tenu ses promesses, a enfoncé davantage le pays dans une impasse et aggravé les crises d’origine externe ?

Cela soulève la question de la viabilité d’un pays moyen, isolé de l’UE, par rapport à de vastes ensembles, les Etats-Unis et la Chine. Cela suggère la même question destinée à la Suisse : est-elle avantagée par sa rupture avec l’Europe ? Est-elle plus prospère parce que plus indépendante ? Est-ce du réalisme de se tenir éloignée de l’UE ou du romantisme patriotique ?

La réponse à ces questions tient du paradoxe : les destins du Royaume Unis et de la Confédération helvétique sont pour l’instant on ne peut plus contrastés. Aucun des maux qui frappent le premier ne concernent la seconde.  Où se situe la différence sinon dans les institutions ?

Les institutions suisses ne permettraient pas à un Conseiller fédéral en charge des finances de propose un mini-budget irréaliste, qui soulèverait un pessimisme général et une méfiance à l’égard de la monnaie nationale. La collégialité du Conseil fédéral prévient les décisions impulsives. Il n’y a pas d’homme fort mais sept faiblesses associées. De façon plus précise encore, la Suisse n’a pas de premier ministre en situation de la lancer dans des aventures comme le firent Boris Johnson et Liz Truss. La gouvernance y est à ce point émiettée que personne ne peut, à lui seul, mal l’utiliser.

C’est le génie de l’acratie que de se méfier du pouvoir au point de ne pas l’exercer et de s’en remettre à la lenteur, la prudence, la procrastination, voire l’inertie et l’impuissance. La seule façon de ne jamais commettre d’erreur consiste à toujours s’abstenir d’agir. La force de la Suisse est sa faiblesse organisée. Pour traverser un fleuve en furie, il vaut mieux se laisser porter par le courant que de le couper.

 

 

 

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