Une chronique politique sans parti pris

Un fugace désir d’Europe

 

 

La “Communauté politique européenne” est née : les 44 dirigeants du continent, dont le président de la Confédération Ignazio Cassis, se sont retrouvés jeudi passé à Prague. 27 membres de l’UE et 17 hors Union. Seuls absents, la Russie, Etat paria depuis l’invasion de l’Ukraine et la Biélorussie, son alliée.

Il n’y avait rien de concret à attendre de cette réunion informelle. Plutôt qu’une unité de vues, elle a révélé les divergences des problématiques nationales. Si le problème le plus urgent est celui de l’approvisionnement en énergie, il impacte de façon différente les 44 pays. De cette réunion n’est pas ressorti une solidarité en la matière. Elle manque toujours autant qu’auparavant et cette réunion n’eut pas été nécessaire si elle avait existé.

Car ce ne sont pas les organes paneuropéens qui font défaut. : OSCE, Conseil de l’Europe, Commission européenne pour la démocratie par le droit, Comité européen pour la prévention de la torture  etc… Face à cette pléthore, on a le sentiment que ce ne sont pas les rassemblements qui manquent mais la volonté d’aboutir.

Néanmoins le plus urgent était tout de même de se réunir au plus haut niveau, pour se sentir un tout petit peu plus unis face à la guerre ukrainienne. S’il est un sentiment qui assemble a minima tous ces Etats, c’est bien le désir de paix. A deux reprises, l’Europe a été ravagée par des conflits qui l’ont ruinée. L’inspirateur involontaire de cette réunion en était donc le grand absent, le président russe. Il a réussi à assembler les dirigeants d’Arménie et d’Azerbaïdjan, de Serbie et du Kosovo, engagés dans des conflits, qui paraissent dérisoires par rapport à un conflit potentiellement mondial.

Existerait-il une différence radicale entre la Russie et le reste de l’Europe ? Peut-on parler d’une culture européenne, déclinée sur de multiples plans, les arts, l’économie, les institutions politiques, le style de vie ? Shakespeare, Goethe, Hugo, Cervantès, Beethoven dépassent leurs frontières nationales et fondent une culture commune. L’Europe fut le berceau des sciences avec Galilée, Vésale, Newton, Dalton. La plupart des techniques modernes y trouvèrent leur origine : la charrue, le moulin hydraulique, l’horloge mécanique, le canal, le barrage, la machine à vapeur, le moteur à explosion. En 1900, l’Europe exerçait un dominion sur la plus grande surface du globe. Elle fut le flambeau du progrès pendant plusieurs siècles. Elle fut le centre de la planète, l’inspiration du genre humain. Par la violence de la colonisation ou par l’évidence de sa supériorité.

La réunion de Prague se devait d’enregistrer la perte de cet ascendant. La Chine se profile comme un concurrent redoutable, non seulement en économie, mais aussi en politique, par son troublant déni de démocratie en prouvant qu’une dictature peut se révéler efficace. A-t-on compris dans cette aimable réunion de famille à Prague qu’il est nécessaire que l’Europe devienne une seule puissance ? Avec en commun une formation, une recherche, une innovation, une diplomatie et, aussi, inévitablement une puissance militaire.

Car tel est maintenant le défi. Nous vivons dans un monde dangereux, même si le bien-être de la Suisse en occulte provisoirement  la menace. Les nations du passé et les Etats actuels ne se sont pas constitués par amour des lois, des gouvernements, des administrations mais parce qu’ils y ont été contraints par les menaces extérieures. Ce furent d’abord des fiefs locaux, cela devint des royaumes puis des républiques. La Suisse ne constitue pas une exception : ses frontières délimitées voici deux siècles ont correspondu aux nécessités de l’époque. Elles ont encore suffi de justesse lors de la seconde guerre mondiale, parce que le pays s’était donné les moyens de résister à une invasion nazie et aussi parce que l’Allemagne y avait plutôt intérêt.

Mais qu’en est-il dans la conjoncture actuelle ? Certes nous ne sommes en rien menacés par les quatre pays voisins, qui au contraire nous protègent de toute envahissement terrestre par une puissance hostile. Nous sommes ainsi bénéficiaires de l’Otan sans en faire partie. A titre de fabulation extrême, on pourrait néanmoins considérer une tentation de la Russie de nous agresser par voie de missile, éventuellement nucléaire, comme  démonstration spectaculaire. A strictement, parler l’Otan ne serait pas obligée de répondre. Ce n’est donc pas une saine posture de bénéficier pratiquement d’une alliance en s’imaginant qu’elle ne sert à rien.

Il en est de même de notre biscornue zizanie avec l’UE, qui nous fait surestimer notre indéfectible indépendance. Elle comporte plus d’inconvénients que d’avantages, elle procède d’une vision folklorique de la Suisse qui serait, compréhensible si nous nous situions au milieu de l’Océan Pacifique. Mais ce n’est pas du tout le cas. Nous sommes au cœur de l’Europe et nous en sommes peut-être le cœur. Notre destin est lié à celui du continent qui est aujourd’hui menacé par une véritable guerre sur son territoire. Que cela nous plaise ou non, notre intérêt et donc notre devoir nous commandent de rejoindre l’alliance des 27 pays, qui sont concrètement plus forts et plus puissants unis que divisés. S’ils ne l’étaient pas, s’il n’y avait ni UE, ni Otan, il y aurait longtemps que Poutine aurait récupéré les Etats baltes, comme il a grignoté la Moldavie et la Géorgie,  et que l’Europe serait à nouveau un continent à feu et à sang. Si cela advenait, si la minable armée russe arrivait à nos frontières, notre déclaration de neutralité ne servirait strictement à rien et Poutine se ferait un malin plaisir de nous envahir. Gouverner c’est prévoir car l’avenir advient toujours et dure longtemps. Avons-nous une gouvernance avec un Conseil fédéral sans chef, sans programme et sans majorité parlementaire ?

 

 

 

 

 

 

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