Une chronique politique sans parti pris

Le rationnement furtif

 

L’augmentation brutale des primes d’assurance maladie en 2023 a rouvert une plaie mal cicatrisée. Cette assurance croit tout à fait normalement au rythme du coût des soins, mais bien plus vite que le pouvoir d’achat ou le PIB. C’est dû au vieillissement de la population, qui, lui-même, mesure les progrès de la médecine. Or il serait politiquement impossible d’arrêter ouvertement la recherche médicale dans nos hôpitaux et Facultés. Le ferait-on en Suisse qu’elle se poursuivrait à l’étranger. Les citoyens aisés iraient s’y faire soigner et l’assurance maladie sombrerait dans une faillite morale, à la mesure de sa contradiction originelle : assurer un service public par l’initiative privée.

Dès lors, la stratégie de limitation des coûts se doit d’être opaque. Parmi les outils se situe la clause du besoin : « Lorsque dans un canton, les coûts annuels par assuré dans un domaine de spécialité augmentent davantage que les coûts annuels des autres domaines de spécialité dans ce canton ou que la moyenne suisse des coûts annuels dans le domaine de spécialité en question, le canton peut prévoir qu’aucune nouvelle admission à pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins n’est délivrée dans ce domaine de spécialité. » En un mot l’ouverture de nouveaux cabinets accédant au remboursement des soins dans cette spécialité est interdite. Parce qu’elle serait nocive !

« La mise en place de cette mesure à Genève est régie par un  Règlement d’application provisoire, qui contient le calcul de l’offre et donc les nombres maximaux par domaine de spécialisation (Annexe A). L’offre a été calculée en partenariat avec un institut de recherche externe entre avril et juin 2022. Les valeurs en ETP par domaine constituent les nombres maximaux dès le 1er octobre 2022 jusqu’à nouvel avis. Toute demande d’admission à facturer soumise par les médecins à partir du 1er octobre 2022 sera mise sur une liste d’attente par domaine de spécialisation. Dès 2023, l’offre sera recalculée et les nombres maximaux adaptés en conséquence lors de recensements effectués chaque printemps. »

Cette mesure repose sur une hypothèse jamais démontrée mais qui est communément admise dans le monde politique : en médecine, l’offre crée la demande. Ce ne sont pas les patients qui se dirigent spontanément vers les cabinets mais les médecins qui les y attirent. Comment ? Mystère car un praticien ne peut pas faire de publicité. Donc selon le préjugé helvétique, on suppose que des patients parfaitement sains, sans symptômes, s’inventent une maladie rigoureusement inexistante pour avoir le plaisir de se rendre chez un spécialiste et de subir certains examens pas toujours agréables.

Cette hypothèse est tellement absurde qu’elle n’est jamais remise cause et fait partie des postulats de base de la politique de la santé. Elle entre en contradiction avec l’expérience pratique. Il n’y a pas trop de spécialistes, au moins dans le canton de Vaud, car, de l’expérience personnelle de l’auteur, il ressort qu’il faut plusieurs semaines pour obtenir un rendez-vous dans plusieurs spécialités : cardiologie, pneumologie, dermatologie, ophtalmologie, etc..La densité de médecins par mille habitants est de 4,1 en moyenne dans nos quatre pays voisins et de 4 en Suisse. Il n’y a donc aucune raison d’agir sur ce facteur sinon pour se persuader que l’on a fait quelque chose.

Or, c’est la méthode préconisée en pratique pour réduire effectivement les coûts. Si certains patients n’ont pas un accès dans une délai raisonnable au spécialiste nécessaire, ils se décourageront et renonceront aux soins, tandis que les patients fortunés se rendront dans les cabinets accessibles sans remboursement des frais. Mieux encore certains patients démunis mourront et cesseront d’être à la charge de l’assurance. Car c’est bien le vieillissement de la population et non la densité des praticiens qui est le facteur décisif. La population âgée de plus de 81 ans, qui représente 4.4% de la démographie, absorbe 20,2% des coûts.

Ceci ne signifie pas qu’il n’y ait rien à revoir. Certains traitements coûtent beaucoup plus cher qu’à l’étranger. L’opération de la cataracte, rémunérée au minimum à 271,70 € en France, coûte jusqu’à 3000 CHF en Suisse au maximum, etc…. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas d’abus divers. Mais ils sont difficilement détectables car par définition une consultation est un dialogue singulier entre le médecin et le patient, couvert par le secret professionnel. Si cette consultation est « gratuite », il est évident que des bobos susciteront une visite inutile au cabinet et que c’est un des facteurs d’augmentation des coûts. Encore faut-il bien définir ce qui est un bobo et ce qui est le premier symptôme d’une affection grave. Ne vaut-il pas mieux des consultations inutiles que des retards de traitement ? La formation sanitaire dans nos écoles obligatoires est-elle suffisante pour permettre à chaque individu de décider en connaissance de cause s’il doit ou non consulter ?

 

 

 

 

 

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