Une chronique politique sans parti pris

Le déni de la réalité médicale

 

« Le vieillissement de la population est en soi réjouissant. Mais il entraîne aussi des actes médicaux qui ne sont pas toujours nécessaires, a rappelé le ministre de la santé Alain Berset devant les médias. Les éviter aurait un impact très favorable sur les coûts. »

Ce message est une tautologie : si on dépensait moins on ferait des économies. La question, insoluble actuellement, est de discerner les dépenses « qui ne seraient pas toujours nécessaires ». La médecine n’est pas une science exacte. Elle est à base de tâtonnements, de tentatives parfois couronnées de succès, sans que l’on puisse le prévoir. Et donc le Conseiller fédéral l’a reconnu dans un aveu significatif : le système est arrivé au bout. Les primes maladies risquent d’augmenter de 6 à 10%.

La santé coûte cher et elle coûtera plus cher encore à l’avenir, sauf si on décide d’en plafonner les moyens. On n’arrête pas de se perdre en conjectures sur la raison de cet accroissement en ne parlant jamais de la plus importante cause, les progrès de la médecine. Ils signifient que de nouveaux soins, plus coûteux, permettent de mieux traiter les maladies et prolongent la durée de l’existence. Et donc l’effet est redoublé : plus de médecine signifie plus de personnes âgées nécessitant plus de soin. L’explosion des coûts n’a pas d’origine plus fondamentale. Aurait-on un système parfait dans la dépense, celle-ci continuerait cependant à augmenter.

On oublie toujours de remercier les acteurs de ce progrès, résultant  d’un travail acharné, à cause du problème financier qui en résulte, comme s’il était possible de progresser sans que cela coûte ou comme si la santé devait bénéficier d’une organisation caritative. En revanche, notre facture de télécommunications a aussi explosé mais on trouve que c’est positif par la nouvelle activité que cela suscite. L’achat, l’entretien et l’usage d’une voiture pèsent lourd dans le budget d’une famille mais c’est considéré comme allant de soi.

La révolution industrielle en mouvement accéléré entraine une modification dans le budget des ménages. L’alimentation n’y représente plus que 10% alors que jadis c’était le poste le plus important. Plus le pouvoir d’achat a augmenté, plus le consommateur achète des services : distractions, voyages, restaurants, formation et santé. Il paie librement les trois premiers, mais les deux derniers par des prélèvements obligatoires. C’est là que se trouve le nœud du problème. Une fois que l’assurance des soins est garantie par une forme d’impôt, cela devient un droit : toutes les interventions médicales sont sollicitées dès qu’un besoin se fait ressentir ou dès que l’on en a envie. Puisque cela ne coûte rien ! C’est sans doute la seconde cause du renchérissement de la santé : elle est organisée de façon à paraître gratuite. Si l’on avait décidé jadis de rendre le pain gratuit, les poubelles en seraient pleines.

Nonobstant les gaspillages, le résultat est impressionnant : en tête du classement de l’espérance de vie, la Suisse est en deuxième position après le Japon,  L’effet est donc significatif. La santé est au bout de l’assurance. Le jeu vaut la chandelle.

Mais cet argent est-il utilisé correctement en Suisse ? Quelle est l’ampleur des gaspillages réels ou prétendus ? Ce n’est pas aussi dispendieux qu’on le dit. A titre de comparaison, les Américains possèdent le système le plus coûteux au monde. Leurs dépenses de santé représentent aujourd’hui 17,7 % de leur PIB, les classant dans ce domaine en tête des pays de l’OCDE. Mais les Etats-Unis viennent en 35e position pour l’espérance de vie (moins bien que Cuba ou Costa Rica !)  avec 78.1 années contre 83.4 en Suisse.

Première conclusion : le système de santé suisse est certes cher mais aussi efficace relativement aux autres A l’aune de son résultat – l’espérance de vie – il fait mieux que tous les pays voisins.

Santé suisse s’est néanmoins fendu d’un communiqué listant les quatre prétendus coupables du boom des primes : trop de médecins , des médicaments trop chers ; des prestations médicales trop chères ; des cantons passifs. Cette ritournelle est entonnée à chaque augmentation de l’assurance maladie.

La première cause invoquée est complètement fausse : il y a une pénurie de médecins généralistes et il faut une longue attente pour obtenir un rendez-vous d’un spécialiste. En Suisse, la densité médicale est de 4,5 médecins pour 1000 habitants. Elle est donc comparable à celle de ses pays voisins (Allemagne: 4,3; Autriche: 5,2; France: 3,2; Italie: 4,0).

Les Facultés de médecine suisses ont délivré 1089 diplômes en 2019, mais simultanément la Commission fédérale a  reconnu 2741 diplômes de médecin étranger. Les besoins des patients dépassent largement le nombre restreint d’étudiants formés en Suisse et sont comblés par une importation massive de praticiens étrangers. Ceux-ci représentent 37.4% des médecins en exercice en Suisse. Et donc nous ne formons pas trop de médecins mais trop peu. Nous profitons de la formation à l’étranger et nous détournons son financement.

Aussi longtemps que Berne ignorera ces données élémentaires, le discours sur la santé sera irréaliste. Il tombe dans la zone grise entre Confédération et Cantons. Personne n’est vraiment responsable et personne ne désire affronter honnêtement l’opinion publique. Nous avons un des meilleurs système de santé du monde parce qu’il coûte cher et qu’il continuera à manger une fraction croissante du PIB. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de gaspillages, mais quelle est l’activité économique qui en est exempte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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