Une chronique politique sans parti pris

Quel appauvrissement supportable?

 

L’inflation, depuis longtemps oubliée, refait son apparition. Le prix du panier de la ménagère augmente tandis que la fiche de paie stagne. L’opinion publique en impute la faute aux gouvernements, comme si ceux-ci avaient le pouvoir de contrôler des phénomènes quasi naturels comme les épidémies, les guerres, les sécheresses, les inondations. Les causes de ces fléaux sont tellement lointaines qu’il est difficile d’en établir le lien.

Pourtant voici un demi-siècle le « rapport du MIT » avait démontré qu’une croissance indéfinie dans un monde fini était impossible et que sa poursuite au-delà du raisonnable engendrerait des catastrophes. Elles adviennent maintenant et l’on ne peut pas prétendre que l’on n’a pas été prévenu. Dans sa version la plus actuelle, le réchauffement climatique, la catastrophe prédite se déclenche bien à l’avance. La décroissance contrainte est à nos portes.

L’idée que l’on ne puisse se chauffer cet hiver constitue un scandale, l’explosion du coût de l’électricité un autre, la pénurie de certains métaux un troisième. Que le Bangla Desh vive dans la pauvreté, cela fait partie des habitudes. On laisse entendre que c’est la faute de ses habitants, de leur gouvernement, de leur religion.

A l’intérieur des nations développées, le même stigmate s’applique aux premières victimes du renchérissement. L’appauvrissement devient une sorte de juste châtiment car les efforts pour le pallier sont vains. Si l’Etat français se met à subventionner la consommation d’essence pour que tout simplement les plus démunis puissent continuer à se rendre à leur travail, il ne devrait le faire qu’en taxant les autre,s ce qui précipiterait sa chute. Pour soutenir les plus pauvres, les Etats s’endettent donc, ils vivent à crédit, ils transmettent la charge aux générations suivantes.

On commence à prononcer le terme d’économie de guerre, c’est-à-dire la nécessité d’un rationnement. Peut-être de l’électricité en premier lieu, puis des combustibles et carburants. Si on en venait à limiter les déplacements en avion aux seuls hommes d’affaires, diplomates et militaires, on tuerait tout un secteur et l’on réduirait ses travailleurs au chômage. Quelque mesure rationnelle que l’on envisage, elle risque d’empirer une situation qui apparait hors de contrôle. Tous les empires depuis l’Antiquité sont entrés en décadence : Rome, l’empire de Chine, celui de Grande-Bretagne ou de France. Le trop réel imperium américain, sa société d’abondance, son gaspillage des ressources, sa fuite en avant, tout cela va-t-il s’arrêter ? Pour être remplacé par quoi ?

Nous n’en avons pas de modèle. Même les romans de science-fiction n’explorent pas ce thème. Même les gouvernements les plus intelligents n’ont pas de plan Car il ne suffit pas de cesser de gaspiller. Il n’y a pas que le superflu qu’il faut bannir. On va devoir toucher au nécessaire. Déjà on n’assure pas ce nécessaire aux peuples pauvres, à la classe sociale des pauvres. Comme si c’était dans la nature des choses et que les manques des uns magnifiaient le pouvoir d’achat des autres.

Si la classe moyenne est à son tour touchée, elle sera tentée par la dérive populiste : nier une réalité qu’il est impossible de changer ; prétendre qu’il n’y a pas de réchauffement climatique ; dénigrer les vaccins ; investiguer la vie privée des dirigeants ; désigner des coupables que ce soient les homosexuels, les juifs ou les musulmans ; interdire l’avortement ; refuser les réfugiés ; pactiser avec les dictateurs; renoncer à la démocratie. Comme la France pétainiste de 1940. Comme la Russie d’aujourd’hui.

Elaborer un nouveau système économique n’est pas seulement une tâche matérielle. Il y faut une révolution culturelle pour obtenir le consentement démocratique du peuple à des mesures impopulaires. Ce ne sont pas les séries télévisées, les mangeoires à hamburgers, les concerts de rocks et la consommation de haschisch qui vont y amener.

 

 

Quitter la version mobile