Une chronique politique sans parti pris

Un esclavage  en Suisse

 

 

La Suisse a tellement bonne réputation que le visiteur occasionnel découvre avec étonnement qu’elle n’est pas parfaite. Malgré le haut niveau civique de la population, il y a des graffitis sur les murs et les wagons, des déchets incongrus sur le sol et, plus étonnant que tout, une prostitution en plein jour. Dans des quartiers particuliers le racolage est autorisé, des maisons closes existent et font de la publicité, des journaux respectables comme 24 Heures publient de petites annonces tout à fait explicites.

Bien entendu les femmes suisses en sont guère concernées : on estime à 95 % le taux d’étrangères dans ce métier, surnommé travailleuse du sexe pour lui donner par un détournement de langage une sorte d’honorabilité : ne serait-ce pas un travail comme un autre avec ses cotisations sociales et sa caisse de pension ?. Pourquoi s’en étonner ? Malgré toutes ses qualités, le pays vit sur le mode patriarcal. Les prostituées proviennent de l’Est de l’UE, d’Amérique latine ou d’Afrique. Elles font souvent partie du prolétariat des sans-papiers, des clandestins, du sous-prolétariat.

En Suisse, la prostitution est légale depuis 1942. En 1992, la loi pénale sexuelle a été révisée, depuis lors, le proxénétisme et la sollicitation passive ne sont plus punissables . L’Onusida estime qu’il y a 20000 prostituées dans le pays. L’État reconnaît la prostitution comme étant une profession en tant que telle. De ce fait, comme tout autre salarié, les prostituées suisses doivent payer des impôts, étant donné qu’elles sont enregistrées en tant que travailleuses indépendantes.

Compte tenu de cet état de fait, qui semble hautement satisfaisant, il fallut une bonne dose de candeur à la conseillère nationale Marianne Streiff-Feller (PEV/BE) pour déposer une motion : « Les êtres humains ne sont pas des choses. Pour interdire l’achat de services sexuels en Suisse selon l’exemple nordique ». S’inspirant de législations adoptées par la Suède, la Norvège, l’Islande, le Canada, la France, l’Irlande du Nord ou encore Israël, l’élue voulait ainsi faire sortir les femmes contraintes de vendre leurs charmes du marché de la prostitution. Les clients de prostitué·e·s auraient du être amendés en Suisse. La motion ne réprimait pas la vente de services sexuels mais leur achat, visait les clients plutôt que les victimes.

Sa motion a été rejetée par 172 voix contre 11 devant la Chambre du peuple. Compte tenu des 84 élues, cela signifie que le rejet est aussi bien la réaction des femmes que des hommes. Par son ampleur, ce rejet est humiliant pour son autrice et révélateur de l’état d’esprit dominant. Les mauvaises langues en ont naturellement déduit que beaucoup de conseillers nationaux ont recours à la prostitution. Il est exact que les jours précédents une session, des propositions de Berne arrivent par Internet. Mais ce serait passer à côté du problème que de le réduire à une affaire d’individus.

Cela engage le Droit des Personnes. L’article 7 de la Constitution fédéral est simple et explicite : « La dignité humaine doit être respectée et protégée. ». Cela signifie a minima que toutes les personnes devraient bénéficier de leur intégrité corporelle, aucunes ne devraient être contraintes de vendre leur corps pour gagner leur vie. Cela signifie que celles-ci n’ont pas bénéficié d’une formation professionnelle, qui leur permettrait de vivre en échange de leurs compétences dans un véritable métier. Cela signifie qu’elles sont les proies toutes désignées de réseaux et de maffias qui empochent une rente. Cela signifie que cela arrange tout le monde pourvu que l’on regarde ailleurs.

Le Temps a publié un reportage sur les conditions réelles de l’exercice de cette activité à Zürich. La police ne sait même pas quelle est l’ampleur du phénomène parce « qu’il n’est pas possible de contrôler tout le monde ». Deux travailleurs sociaux, un prêtre et une religieuse, constituent le recours des femmes. Ils posent un diagnostic simple : « beaucoup ne font pas ce boulot par choix. C’est la pauvreté qui les y force ». La prostitution, même légalisée, est un exemple extrême de l’exploitation des plus faibles dans l’indifférence avouée du législateur. Le Conseil national fut-il dans ce vote l’expression fidèle du sentiment de la population ?

 

 

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