Une chronique politique sans parti pris

La guerre rampante

 

 

Pour notre société, la paix est le plus grand des biens, la guerre une abomination à laquelle on ne veut pas penser, dont on ne veut pas prononcer le nom. Les deux guerres mondiales ont ravagé le continent européen, qui en fut le responsable, et détruit son rôle de centre du monde. Les empires anglais, français, allemand et autrichien se sont écroulés. L’Europe n’est plus aujourd’hui qu’une péninsule de l’Asie dominée par la Chine, l’Inde et la Russie. Elle est maintenant désolée par les prémices d’une guerre qui pourrait achever sa dégradation. Le paradoxe veut qu’à force de ne pas en vouloir, elle la risque dans les pires conditions.

Cette déplaisante réalité explique les réticences initiales de l’Europe à soutenir l’Ukraine : des sanctions économiques mitigées d’abord, renforcées par après, toujours inefficaces, puis la fourniture d’armes uniquement défensives, qui montent en puissance petit à petit, comme à regret. Pendant ce temps les Etats-Unis déversent des milliards à foison qui servent à équiper l’armée ukrainienne. Ils se sont mis en tête de faire gagner la guerre par l’Ukraine pour affaiblir la Russie.

Au fil des semaines, on commence à comprendre que celle-ci ne défend pas seulement son pays, mais la conception même de la démocratie. Si d’aventure Poutine avait réussi son coup initial de modifier le pouvoir à Kiev, si les Ukrainiens n’avaient pas déployé un tel courage, c’est alors que l’ambition du tyran russe n’aurait plus connu de limites et que la conquête de la Moldavie, puis des pays baltes auraient constitué ses nouveaux exploits. C’est alors que la troisième guerre mondiale aurait inévitablement éclaté pour empêcher au dernier moment que les troupes russes, connues pour leur barbarie, atteignent Berlin, Vienne et Budapest.

Si l’Histoire ne se répète pas, il lui arrive de bégayer comme elle fait actuellement. La stratégie de Poutine reproduit fidèlement celle de Hitler : face à des puissances pacifistes, avancer à petit pas et poursuivre jusqu’à ce qu’elles réagissent. L’Allemagne  annexe l’Autriche le 11 mars 1938 puis les Sudètes pris à la Tchécoslovaquie le 21 octobre 1938 et où enfin, le 1er septembre 1939, elle envahit la Pologne. Ce dernier événement provoque dès le 3 septembre 1939, l’entrée en guerre du du Royaume-Unis et de la France. Le point de basculement s’est situé le 30 septembre 1938 à Munich lorsque l’Angleterre et la France ont abandonné la Tchécoslovaquie dans le vain espoir de sauver la paix, c’est-à-dire de persister dans leur refus d’entrer en guerre. Ils choisirent entre le déshonneur de préférence à la guerre et ils ont eux les deux.

Si un dictateur ne croit qu’en la violence, s’il se moque des « valeurs » affichées par les démocraties, si celles-ci les sacrifient subrepticement pour un avantage provisoire (du gaz et du pétrole !), si de fait celles-ci subsidient la guerre par leur commerce avec la Russie, si elles acceptent d’en être à ce point les complices, cette mascarade n’arrêtera pas l’avance de cette dictature.

Or, des voix bien pensantes n’arrêtent pas de promouvoir en Occident un effort diplomatique pour arrêter la guerre, comme si c’était possible. Cela ne le serait que si l’Europe civilisée concédait la totalité de l’Ukraine à la Russie, comme elle entend bien y arriver de toute façon. Cette capitulation n’arrêterait du reste pas de nouvelles revendications territoriales. Les efforts déployés par des entretiens de chefs d’Etat avec Poutine n’on rien donné. Il faut être deux pour négocier.

En réalité non seulement l’Ukraine a résisté mais la Russie s’est révélée sur le terrain bien plus faible qu’on ne l’imaginait. Loin de s’en réjouir, les mêmes voix bien pensantes s’en inquiètent et Poutine les bouscule dans cette voie par la menace de recourir à la guerre nucléaire s’il y est contraint par  une défaite. D’une certaine façon l’Occident s’est conformé à ce chantage : résister à Poutine oui, le battre vraiment non, car son caractère ombrageux ne le supportera pas et il perdra tout contrôle sur lui-même. Ne pas faire la guerre et s’efforcer de capituler dans de bonnes conditions.

Résumons : l’Otan ne veut pas faire la guerre mais prétend l’engager si un centimètre carré de son territoire est envahi ; Poutine n’en croit rien et il a probablement raison ; il ne s’arrêtera momentanément que si ses gains territoriaux actuels lui donnent le droit des les incorporer à la Russie en attendant de les étendre ; l’UE n’a ni la volonté, ni les moyens de faire la guerre car elle n’est même pas un Etat ; tout cela risque de très mal finir si l’on continue à tergiverser.

Heureusement la Suisse échappe à ce chantage infernal grâce à sa neutralité, pour laquelle Poutine éprouve un respect sans limite.

 

 

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