Une chronique politique sans parti pris

Le don d’organes contraire à l’éthique ?

 

« Lors de l’assemblée de l’UDC, les délégués ont donné leurs mots d’ordre pour les votations fédérales du 15 mai. Ils ont rejeté, par 248 voix contre 72 et 12 abstentions, la modification de la loi sur les transplantations d’organes. Ils ont suivi l’avis de la conseillère nationale thurgovienne Verena Herzog. Selon elle, des personnes mal informées qui ne souhaitent pas donner leurs organes après leur mort se les verront prélever, faute de s’y être opposées officiellement de leur vivant. »

Ce vote du plus grand parti de Suisse reflète l’opinion d’une large fraction de la population, de l’ordre du tiers. Même mort, le cadavre possède encore le souvenir de l’esprit qui l’a habité. Il mérite le respect, les rites du deuil, la sépulture, le souvenir perpétué en fleurissant la tombe. Son intégrité est donc inviolable. D’autant que le mort n’est pas vraiment mort : son âme survit et surveille la suite des opérations. Des personnes « après leur mort se verront prélever » (?) Même morte une personne existe donc encore et elle voit qu’on prélève un organe sur son corps. Telle est une certaine tradition de notre civilisation, qui plonge ses origines dans la mentalité animiste : tout y compris un rocher possède une âme qui gouverne son comportement.

Toute autre est la culture de l’efficacité qui devient de plus en plus dominante. Puisque le cadavre possède encore des organes en bon état de fonctionnement, pourquoi ne pas les prélever avant qu’ils soient dégradés ? Afin de les greffer sur un vivant qui va mourir faute d’un seul organe devenu déficient : rein, cœur, foie, poumon. Le corps est perçu comme un assemblage d’organes techniques,  utilisables comme des pièces de remplacement. Le corps est semblable à une voiture promise à la casse sur laquelle on prélève encore des pièces de rechange. Telle est la technoculture.

On ne réconciliera pas ces points de vue diamétralement opposés. Ils se sont confrontés au parlement fédéral, qui a pris à une large majorité une décision médiane : personne n’est obligé de consentir au prélèvement d’organe, chacun peut exprimer par écrit son refus, sinon le consentement est présumé ; en cas d’absence de déclaration les proches peuvent s’opposer au prélèvement ; s’il n’y a pas de proche connu on renonce au prélèvement. Admirable résultat du consensus helvétique. On ne renonce pas à l’efficacité, mais on l’environne de cautèles pour rassurer tout le monde.

Car le prélèvement d’organes sur des défunts n’est pas une lubie médicale. Il y a en Suisse trois fois plus de candidats à une transplantation que d’organes disponibles. En 2021, 1434 patients étaient en attente et, faute d’un greffon, 72 sont mortes. La Suisse est en retard sur de nombreux pays voisins qui fonctionnent selon le principe du consentement présumé : Espagne, Portugal, France, Belgique, Finlande, Italie, Royaume-Uni, Autriche, Allemagne, Norvège, Suède. Le résultat est probant : par million d’habitants en Espagne les dons d’organes s’élèvent à 49.6 tandis qu’en Suisse, ils ne sont que de 18,3.

Or ces pays n’ont pas une culture différente de la nôtre. Il faut donc que la différence tienne au fonctionnement des institutions qui sont plus lentes en Suisse. Le peuple se prononcera le 15 mai sur un referendum visant une loi qui elle-même est un contre-projet à une initiative visant à améliorer le don d’organes. Entretemps des patients meurent faute d’une greffe.

Le front du refus a donc des racines profondes puisqu’il soutient ces décès prématurés dont il est responsable. Le choix est pourtant simple : un organe fait soit l’objet d’un don, soit de sa destruction spontanée. Ce n’est comme si on était confronté à deux termes d’une alternative entre lesquelles on pourrait hésiter. C’est tout ou rien, la vie ou la mort. Mais les éthiciens font part de leurs scrupules. Ils sont certes pour le don d’organe pourvu qu’il soit explicite afin d’exister comme don. Leur éthique les fait tenir les morts évitables pour négligeables.

Comment le peuple peut-il être amené à décider d’une affaire qui aurait pu demeurer strictement dans le domaine médical ? Cela rappelle les débats des siècles lointains sur la dissection des cadavres effectués en fraude, car considérés à l’époque comme un délit. Cela concorde avec d’autres refus comme celui des OGM et des vaccins témoins d’une méfiance à l’égard de la science en général et de la biologie en particulier. Et très curieusement, ce sont les mêmes qui s’opposent au soutien de l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie. Il existe donc un parti de l’ignorance, du culte du passé, du refus des Lumières avec lequel il faut bien vivre à défaut de le convaincre.

 

 

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