Une chronique politique sans parti pris

La religion de Poutine

 

Le journal le Monde vient de publier une double page sur la religion ostentatoire de Vladimir Poutine. Distinguons bien sa religion de son éventuelle foi, un secret personnel, qui doit être respecté et dont ne pouvons rien savoir. En revanche il porte la religion orthodoxe en bandoulière et entretient une relation étroite avec le patriarche de Moscou, qui le soutient en toute occasion et qui a même approuvé la guerre avec l’Ukraine.  On inaugure en Russie trois églises par jour. C’est une réussite de la religion. Pas nécessairement de la foi.

Cette religion est un amalgame étonnant entre des rites, des déclarations, des réminiscences historiques, un panslavisme récurrent, un mépris de l’Occident qui aurait abandonné toute religion et toute morale. Il semblerait selon elle que la Russie soit devenue la troisième Rome depuis que Byzance est devenue musulmane. Plus précisément encore, Kiev fut longtemps la source de cette orthodoxie slave avant que cela devienne Moscou. La guerre d’Ukraine a donc des relents de croisade qui pourrait s’orienter vers le reste de l’Europe, considérée comme perdue pour la religion. Ce qui est vrai.

On rejoint la vieille alliance entre le sabre et le goupillon, la croix et la bannière, qui fut jadis la règle dans tous les pays dits chrétiens. On n’a pas le souvenir que quelque part le clergé local se soit jamais insurgé contre une guerre menée par la patrie. Les papes gémissaient mais s’abstenaient bien de condamner les belligérants. Les clergés allemands et italiens ne furent pas particulièrement résistants durant la seconde guerre mondiale. On ne se souvent pas d’un prélat américain qui aurait dit quoi que ce soit au sujet d’Hiroshima. Les Eglises deviennent des composantes de la culture nationale engagée dans un conflit qu’elles ne peuvent condamner sans s’égarer de leur fonction essentielle, sacraliser le pouvoir.

Il semble que Poutine s’adonne à la lecture de la Bible lors de ses voyages en avions qui lui laissent quelques répits. Il y trouvera malheureusement tout ce qu’il faut pour favoriser sa religion originale. Le Livre de Josué raconte la conquête de la Palestine par Israël avec l’impératif de purifier cette terre en y supprimant toute vie, humaine et animale, selon un commandement explicite du Dieu s’exprimant dans le Deutéronome. Bien entendu cette justification des massacres d’ennemis est incompatible avec le Nouveau Testament, qui prohibe la violence et qui fait une distinction radicale entre César et Dieu. Il faut croire que les esprits belliqueux opèrent une lecture sélective de la Bible en y cherchant ce qui justifie leurs penchants les plus violents. Il en est du reste de même du Coran et des islamistes.

Et donc un esprit religieux n’est pas nécessairement pacifique. Non seulement la religion et la violence ne sont pas forcément contradictoires, mais elles peuvent s’épauler et se justifier mutuellement. Il suffit qu’une confession se tourne vers ce qu’elle a de plus archaïque, de plus originel, apparemment de plus authentique pour justifier une régression dans la barbarie.

Bien évidemment la religion de Poutine ne serait pas cohérente si elle ne s’obnubilait pas sur la morale traditionnelle. En 2013 ont été votées des lois pour réprimer l’atteinte aux sentiments religieux, pour protéger les mineurs de la promotion des relations sexuelles non traditionnelles et pour lutter contre la propagande homosexuelle. La Constitution révisée en 2020 mentionne la croyance en Dieu comme héritage de la Russie et définit strictement le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme.

En somme la religion devient la justification du conservatisme qui est sacralisé. Il n’est pas tellement étonnant dès lors qu’en France Zemmour et Le Pen aient eu des attirances pour Poutine, que Orban en soit toujours affecté. Il n’est pas jusqu’à la Suisse où l’UDC se refuse à des sanctions contre la Russie, selon une logique imparable qui ne doit étonner personne. Plusieurs commentaires sur ce blog émanent de personnes qui éprouvent une complicité secrète pour le conservatisme de Poutine. Elles condamnent apparemment les atrocités mais elles s’efforcent de prouver qu’elles sont autant le fait de l’Ukraine que de la Russie. En somme, pour voiler la responsabilité de l’agresseur démontrer que l’agressé méritait bien de l’être.

La religion de Poutine fut celle de la plupart des dirigeants du passé et de beaucoup de contemporains. Elle n’a rien à voir avec la foi qui incite à se préoccuper des pauvres, des affligés, des malades, des réprouvés. Elle en est non seulement une caricature mais une subversion totale. Elle sacralise la violence, la xénophobie, l’intolérance. Elle fut celle des Croisés, des guerres de religion et des tortionnaires des camps de concentration, qui furent tous de prétendus chrétiens persuadés que le massacre des Juifs était une œuvre pie.

La religion de Poutine est majoritaire dans le monde. S’il avait un grain de sénevé de foi, agirait-il comme il le fait ? N’est-elle pas celle de tous les gouvernants qui cherchent à se donner bonne conscience par une prétendue mission divine ? Et l’on s’étonne que les manifestations publiques de la foi régressent ! N’est-ce pas une saine réaction ?

 

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