Une chronique politique sans parti pris

Qui désinforme qui ?

 

 

 

Le blog précédent a donné lieu à de très nombreux commentaires mettant en cause l’impartialité des médias suisses, qui se livreraient, selon les commentateurs, à une désinformation, aussi grave que celle pratiquée en Russie. Certains esprits sont persuadés que la majorité des médias suisses diffusent de fausses informations et s’abstiennent d’en diffuser d’autres authentiques. Bref que la presse est aux ordres, voire contrôlée, par la Confédération ou par des lobbies jamais identifiés.

Pour juger sur pièces, considérons deux extraits du site TSR Info :

«  “Poutine l’incompris”, titrait la Weltwoche à quelques heures de l’attaque russe contre l’Ukraine. L’hebdomadaire proche de l’UDC reflète les vues d’une partie des élus du parti envers Vladimir Poutine. Aujourd’hui, la direction de l’UDC suisse s’oppose aux sanctions économiques contre la Russie au nom de la neutralité, une position qui divise la base du parti. »

« Magdalena Martullo-Blocher, patronne d’EMS Chemie et fille de l’ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, invite les collaborateurs d’Ems-Chemie à se passer de l’expression “guerre en Ukraine” à l’interne et à parler de “conflit ukrainien”. L’entreprise suisse de la conseillère nationale … entend ainsi protéger ses employés en Russie….Selon les deux courriels d’Ems-Chemie, les employés doivent utiliser l’expression “conflit ukrainien”, car l’utilisation du mot “guerre” en rapport avec l’Ukraine est passible de prison en Russie. Cette mesure doit donc permettre de protéger les employés de l’entreprise suisse, notamment en Russie, ainsi que les affaires du groupe, écrit la direction. Les chefs des différentes divisions sont appelés à veiller au respect de cette règle.»

Que penser de ces deux dépêches ? C’est vrai ou c’est faux ? Si c’est faux, cela signifierait que la direction de l’UDC serait en réalité d’accord d’appliquer les sanctions et que la direction d’EMS-Chemie n’imposerait pas à ses employés d’éviter de prononcer le mot guerre. La TSR aurait inventé de toute pièce ces deux fausses informations pour déconsidérer l’UDC.

Mais celles-ci n’ont pas du tout été démenties et donc elles sont vraies. La TSR ne se livre pas à la désinformation. Elle publie deux informations véridiques qui nuisent à l’image de l’UDC et de de la famille Blocher dans l’opinion publique suisse. Si elle ne les avait pas publiées, c’est alors qu’elle aurait pratiqué la désinformation par abstention. Elle remplit donc son rôle de service public, mieux que des journaux qui ont esquivé ces publications. Cette diffusion n’est du reste pas sans danger : la TSR est menacée par une proposition de l’UDC de réduire drastiquement sa subvention. Un service public se met en opposition avec le premier parti suisse dont dépend son budget.

Les commentaires qui critiquent l’impartialité de la TSR proviennent de milieux qui auraient sans doute préféré que ces deux informations soient tues. Ils entretiennent donc une conception de l’information toute particulière : celle-ci ne peut mentionner que ce qui est favorable à leur parti et au-delà à une fraction de l’opinion publique dite populiste.

On en retrouve l’équivalent dans la plupart des pays. En France on peut même l’évaluer à 30% à l’occasion de la campagne présidentielle. Aux Etats-Unis la moitié des Républicains croient toujours que l’élection de Biden fut frauduleuse. La Hongrie refuse le passage d’armes à destination de l’Ukraine.

Poutine ferait-il école avec sa guerre qui n’en est pas une ? Son prestige demeure pour certains. Il suffirait d’être nationaliste pour être justifié quoi que l’on fasse. On laisse entendre qu’il se bat légitimement contre les Etats-Unis en détruisant l’Ukraine. Il existe ainsi une internationale populiste qui se rejoint sur les mêmes thèmes : chaque Nation est élue et se doit de rester pure en refusant l’immigration ; les universités sont des lieux de corruption mentale investies par des gauchistes ; la médecine officielle est entre les mains de firmes pharmaceutiques et mieux vaut se soigner par des remèdes naturels ; tous les musulmans sont des terroristes en puissance ; les politiciens élus sont corrompus de nature ; la démocratie élective est une dictature secrète ; la dictature est la véritable démocratie ; l’Ukraine est coupable de se défendre.

La guerre d’Ukraine dépasse les frontières de ce pays. Elle représente le conflit entre deux conceptions de la société. Comme en 1940, le camp des démocraties se réduit de plus en plus, tant l’aspiration à la dictature se répand. La Suisse n’en est pas exempte.

 

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