L’armée russe cafouille sur le champ de bataille et démontre jour après jour qu’elle n’est pas plus capable d’asservir l’Ukraine qu’elle ne le fut de l’Afghanistan. Néanmoins la guerre continue parce qu’elle dispose d’un certain soutien en Russie. Dans la mesure où elle n’est pas une « guerre » mais une « opération militaire spéciale », néologisme inventé par Poutine pour ne pas effaroucher sa population. Il y aurait de quoi si elle savait ce qui se passe puisque les deux peuples sont frères par la culture, la religion et l’histoire. Ce que fait Poutine est identique à ce que ferait la France si elle tentait d’envahir la Suisse romande sous le prétexte qu’on y parle français. Il fallut donc compléter ce premier mensonge par d’autres : le pouvoir ukrainien serait nazi et mènerait un génocide à l’égard de sa propre population de langue russe.
En réalité, le seul nazi dans l’affaire est Poutine. Il recourt à la même tactique que les nazis allemands : soumettre le peuple à un déni de la réalité, d’autant plus crédible qu’il est énorme et que personne n’imagine que l’on puisse mentir avec une telle effronterie. Dans son roman «1984 », Georges Orwell a décrit le procédé comme l’invention de la « Novlangue ». C’est une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute critique de l’Etat, l’objectif étant d’aller jusqu’à empêcher l’idée même de cette critique. Ce qui ne peut plus se dire ne peut même plus se concevoir.
On a pu croire un moment que l’existence d’Internet empêcherait cette mainmise sur la réalité et que l’expression libre d’innombrables correspondants rendrait impossible le mensonge d’Etat. Ce fut le contraire. Lors de l’épidémie de Covid les thèses les plus farfelues furent répandues : il n’y a pas d’épidémie ; elle a été fabriquée dans les laboratoires pour vendre des vaccins ; ces vaccins ne protègent pas et même ils tuent ; il suffit de boire de l’eau de Javel (Trump) ou d’absorber de la chloroquine ; il ne sert à rien de porter un masque ; le passe sanitaire est contraire aux libertés constitutionnelles. Les porte-paroles officiels furent accusés de mensonge. L’erreur devenait vérité et la vérité erreur.
Pour l’instant, la Suisse bénéficie de médias véritablement indépendants qui remplissent consciencieusement leur mission. Le plus impartial est évidemment la SSR par suite de son mandat de service public. Il est donc logique que soit lancée une initiative pour réduire ses moyens. L’UDC a présenté un texte qui demande que la redevance radio-TV doive baisser à 200 francs et que les entreprises en soient exemptées. Pour la remplacer par quoi, sinon une télévision privée dotée des mêmes moyens et diffusant une fabrique de vérité : la Suisse est menacée par l’immigration ; les universités sont des repaires de gauchistes ; le Conseil fédéral est une dictature; il ne faut pas décréter de sanctions contre la Russie.
Pour balayer impartialement devant la porte de la société de consommation, il faut ne pas oublier son principal outil de désinformation à l’œuvre dans la logique mercantile : le bien-être de tous passe par le commerce de n’importe quoi pourvu que cela crée de l’emploi et des bénéfices aux entreprises. La publicité ! La pub, comme on dit. Tellement présente, proche et nécessaire que l’on utilise un diminutif, pour marquer la familiarité, la convivialité, l’intimité. La plupart des citoyens ne comprennent pas ce que la publicité représente : une machine de guerre inventée par les malins pour rouler les distraits, un instrument utilisé par les marchands pour exploiter les consommateurs, un dispositif employé par les riches pour maintenir les pauvres à leur rang, la plus subtile de toutes les armes dont le pouvoir se soit jamais doté.
Car la publicité nous parle de nous-mêmes. Elle présente des gens heureux lorsque nous sommes tristes et que nous regrettons de l’être. Elle décrit un monde simple et lisse qui nous change de celui que nous connaissons, compliqué et abrupt. Elle nous fait pénétrer dans un univers de rêve. Elle nous dit que le bonheur est à portée de main dans un magasin en libre-service. Dans le caddie il suffit d’empiler des céréales contre la constipation, des lessives plus blanches que le blanc, des couches culottes divinement absorbantes, du café de prétendument de Colombie et du camembert au lait pasteurisé, pour atteindre la félicité suprême du consommateur comblé
Publicité, lente effraction de l’âme, pente sur laquelle il fait bon glisser, toboggan de nos tentations. Tout d’abord, elle nous fait désirer des objets dont nous n’avons jamais eu besoin. Et ensuite, suave et compréhensive, elle nous fait prendre ces mêmes désirs pour des besoins. Avant d’avoir dit ouf!, on se retrouve avec un téléphone mobile, un ordinateur, une brosse à dent électrique, un CD de valses viennoises. De tout cela on n’avait pas besoin. Et très précisément, on l’a acheté parce que l’on n’en avait pas besoin. Parce que la réalité est pénible, la désinformation publicitaire la dissimule en faveur du rêve de la société d’abondance. Tout comme les démocratures remplacent le pouvoir du peuple par l’abandon à un chef charismatique, Poutine, Hitler, Staline, Xi Jin Ping, Kim Jong-un. Mais en Suisse nous ne courons évidemment pas ce risque.