Une chronique politique sans parti pris

La diagonale du fou

 

 

Cette image inspirée des échecs pourrait décrire la démarche de Vladimir  Poutine. En déclarant une guerre sur le continent européen, il a d’abord nui à son propre pays : la Russie subit des pertes économiques et aussi celle de la vie de milliers de soldats ; sa réputation internationale est abîmée pour de longues années ; elle est mise au ban de l’humanité dans des activités sportives ou culturelles. En supposant même qu’elle finisse par gagner quelques territoires, ce n’est pas ce dont elle a le plus besoin ; si elle réussit la neutralisation de l’Ukraine, ce sera au prix d’une occupation pérenne par une armée russe. Un chef d’Etat qui nuit à son pays à ce point subit le soupçon de la folie, car ce qu’il décide n’est en rien rationnel.

En l’occurrence le terme de fou n’est pas une injure mais une sorte de diagnostic sommaire. Dans un diagnostic plus précis Patrick Lemoine, considère trois hypothèses :

« La première est un grand patriote, parfaitement sain, très intelligent, grand joueur d’échecs, qui veut restaurer la grandeur passée de la Russie. Et d’évoquer les livres d’histoire dans lesquels voudrait figurer Vladimir Poutine, “aux côtés d’Alexandre Le Grand ou Napoléon par exemple.

La deuxième est celle d’un traitement qui aurait mal tourné, à voir comment son visage a évolué en seulement quelques années. Serait-il sous cortisone, ce qui laisserait entendre qu’il pourrait avoir une maladie de système, un cancer. La cortisone peut rendre totalement mégalomane, maniaque. Tout est permis, rien n’est interdit. On n’a plus peur de quoi que ce soit, on est le maître du monde quand on est sous cortisone, on peut être Dieu

La troisième est que Vladimir Poutine est paranoïaque. Il explique tout le temps que c’est les autres qui font ce qu’il va faire. Alors que c’est lui qui envahit, il dit qu’on va l’envahir. On voit qu’il a perdu le sens des réalités, qu’il se sent enfermé dans son immense Russie et qu’il a très peur de tous ses voisins, y compris la Chine.”

Quelle que soit l’origine de son aberration mentale, elle est peut-être multiple, les trois hypothèses coexistant et se renforçant mutuellement. Il y en a une quatrième plus étrange : Poutine agiterait son dérangement mental pour faire peur et pour obtenir ce qu’il ne peut atteindre ni sur le terrain, ni par la diplomatie. Il faut être ou paraître fou pour évoquer la menace nucléaire, car le passage à l’acte entrainerait la vitrification instantanée du territoire de la Russie suivi de l’empoisonnement de la planète et de la disparition de l’espèce humaine.

Cette tactique, si c’en est une, a parfaitement réussi. L’obsession de l’Occident est devenue la crainte d’une extension du conflit puisqu’un fou aurait le doigt sur la gâchette nucléaire. Dès lors on adopte à l’égard de Poutine cette attitude de complaisance qui vise à ne pas l’irriter et le faire sortir de ses gonds. On a déjà convenu que l’Ukraine ne sera pas couverte par le parapluie de l’Otan, comme s’il était normal que la Russie puisse imposer une telle décision à un pays souverain. On se résigne à entériner la conquête de la Crimée et du Donbass, au prétexte qu’il s’agirait de contrées russophones sur lesquelles Poutine possède des droits inaliénables. On fournit des armes à l’Ukraine mais surtout pas des avions parce que cela pourrait irriter ce personnage qui n’est plus maîtres de ses réflexes.

En somme on traite Poutine comme on est parfois obligé de le faire à l’égard d’un adolescent prolongé, d’un vieillard retombé en enfance ou d’un conjoint abusif. Ne surtout pas le brusquer, lui faire quelque peine que ce soit car les conséquences pourraient être terribles. On en arrive à lui chercher des justifications. Après la chute du Mur de Berlin, la Russie aurait subi des humiliations insupportables, parce qu’elle a dû rendre la liberté aux peuples de ses marches qu’elle opprimait depuis trois quarts de siècle. C’est cela qui rend Poutine exaspéré. Il veut reconstituer l’empire stalinien sans y parvenir. Peut-être qu’en sacrifiant quelque peuple ukrainien, cela le remettrait de meilleure humeur. Comme un dragon auquel on offrirait une vierge en sacrifice propitiatoire.

On n’ose trop le dire, même en Occident, Poutine est le nouvel Hitler. Celui-ci s’est aussi lancé dans une guerre qu’il ne pouvait que perdre en alliant contre lui la Russie, les Etats-Unis et l’Angleterre. Sa folie a causé la ruine de l’Allemagne dont il prétendait assurer l’empire universel. Il a bien fallu l’affronter après qu’il eut confisqué l’Autriche et les Sudètes, car il n’y avait pas de limite à sa démesure. Ne sommes-nous pas aujourd’hui dans le même cas de figure : un dictateur assouvissant une ambition sans limite par la violence et le mensonge, c’est-à-dire la négation de la réalité au point de finir par croire à ses propres fantasmes ? Avons-nous le choix de ne pas faire la guerre à celui qui nous l’impose ?

 

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