Nous votons jusqu’au 13 février pour le soutien éventuel de la Confédération aux médias. Les sondages se présentent mal, la loi votée à une large majorité par les deux Chambres risque d’être désavouée par le peuple. L’argument essentiel des opposants est le danger de mise sous contrôle par l’Etat. Il semblerait à première vue que ce risque serait réel : qui paie n’est-il pas le maître !
Cette votation surgit parce que la publicité, qui procurait une large part des ressources des médias, s’oriente de plus en plus vers les grandes plateformes internet internationales, les GAFA. En vingt ans la presse a été réduite au quart de son apport publicitaire et 70 titres suisses ont disparu à commencer par Le matin et l’Hebdo pour la Suisse romande. En clair, il y a perte de la souveraineté nationale dans le secteur de l’information parce que la publicité va tout naturellement là où elle rapporte le plus. Ou encore parce que les consommateurs d’information ne payaient pas leur média directement à son véritable coût, mais par leur achat de n’importe quoi d’autre. Insistons : le coût de la publicité n’est pas prélevé par les firmes sur leurs bénéfices, il est incorporé dans le prix du produit. Les consommateurs paient pour être manipulés.
Par ailleurs les vecteurs professionnels de l’information alimentés par des journalistes suisses sont de plus en plus concurrencés par des réseaux sociaux qui diffusent à longueur d’année les pires fakes news, c’est-à-dire de la désinformation pure et simple. L’expérience de ce blog démontre chaque semaine que la réalité sur certains sujets sensibles, comme la pandémie, est régulièrement mise en doute par des commentateurs sans doute de bonne foi, abusés par n’importe quel support : exemple récent le Covid, qui peut être guérie par l’artemisia. Ce qui est écrit sur internet devient plus crédible que ce qui est imprimé sur un journal papier suisse. On ne sait plus ce qui est vrai ou faux.
Il faut élargir le débat à l’ensemble de la formation et de l’information du grand public, les deux mécanismes étant étroitement liés : impossible d’informer un analphabète. L’Etat peut-il ou doit-il intervenir ? La réponse est donnée depuis longtemps. La formation mobilise une part importante du budget des pouvoirs publics. Cela n’a pas toujours été le cas. Avant le siècle des Lumières, la majorité de la population était illettrée et les meilleures écoles à la charge des Eglises visaient les classes favorisées. L’école primaire actuelle ne date en Suisse que du début du XIXe siècle . Elle était fréquentée par les enfants dès leur 6e ou 7e année pour une durée de quatre à six ans. Destinée à accueillir tous les élèves, elle était, aux termes de la constitution fédérale, obligatoire, gratuite, non-confessionnelle.
Gratuit mérite un commentaire : there is no such thing a s a free meal comme l’affirme un proverbe américain, il y a toujours quelqu’un qui paie. L’argent public est collecté par le fisc. Ce que les parents ne paient pas à l’école directement, ils le paient plus ou moins avec leurs impôts et leurs taxes. Mais ils paient tout de même. Les plus fortunés paient davantage. Concrètement cela signifie que les parents n’ont guère d’influence sur le contenu de la formation laissée à l’arbitraire des cantons et du corps enseignant. C’est loin d’être optimal mais cela a le mérite d’exister. Impossible de faire fonctionner une économie développée si les travailleurs ne savent pas au minimum lire, écrire et calculer.
Ainsi en est-il de l’information. Elle fut indirectement subsidiée par les pouvoirs publics déjà en 1849. Elle l’est pour l’instant par le soutien financier à la distribution des journaux par la poste selon un tarif dégressif qui avantage les petits et moyens médias. Ce mécanisme ne peut en rien influencer le contenu éditorial. La crainte de voir la Confédération dicter celui-ci n’est donc qu’un épouvantail vainement agité par les opposants à la version projetée des lois par Berne.
A titre personnel l’auteur peut témoigner de la liberté existante dans un média important, la TSR. Pendant douze ans il fut conseiller scientifique de l’émission A bon entendeur. Celle-ci ne put manquer d’offenser des producteurs de bien de consommation dont les tares des produits furent dénoncées. Il y eut des débats homériques à l’antenne. Mais jamais ni la Confédération principale source du budget, ni la direction ne sont intervenus dans le processus de rédaction. Un média largement et directement subsidié par un pouvoir public a pu librement fonctionner et diffuser une information souvent dérangeante pour l’économie. Pourquoi ? La raison saute aux yeux, une émission d’information des consommateurs qui ne serait pas en prise sur la réalité du marché, qui serait complaisante à l’égard du commerce, qui diffuserait de la désinformation publicitaire n’attirerait aucune audience et finirait par disparaître.
Cet exemple est transposable dans les médias actuels. S’ils diffusaient une propagande étatique comme c’est le cas des dictatures, la population s’en détournerait. Pendant la seconde guerre mondiale, les médias de la zone occupée par l’armée allemande furent contrôlés par la censure nazie. Cette propagande n’eut pas l’effet souhaité et ne convainquit pas les populations de se ranger du côté de l’Allemagne. La variété des médias suisses, presse papier ou numérique, radios et télévisions garantit la stabilité du pays par la diffusion d’une information crédible parce que véridique. La Confédération a donc le droit et le devoir d’éviter sa disparition. Pour reprendre un argument des opposants, « une démocratie vivante a besoin d’une presse indépendante ». Il est donc contradictoire de s’opposer à sa survie. Il demeure une double question intrigante, sans réponse actuellement : qui sont ces opposants et d’où provient leur financement ? Quel est leur objectif en attaquant la démocratie tout en prétendant la défendre ?