« Jorge Bergoglio, lui-même issu d’une famille de migrants italiens installés en Argentine, n’a de cesse de prôner l’accueil des milliers de “frères et sœurs”, sans distinguer la religion, ni le statut de réfugié ou d’exilé économique. Samedi, François a qualifié les migrants de “protagonistes d’une terrible odyssée moderne”, dans un discours devant les dirigeants grecs. En avril 2016 déjà, François avait symboliquement lancé : “Nous sommes tous des migrants”. »
Le pape remplit ainsi sa fonction. Il rappelle aux Européens, dont les Suisses font partie, que le refus d’accorder des visas aux réfugiés politiques et de sauver les naufragés en mer, sont deux pratiques qui violent non seulement les lois mais surtout les valeurs sur lesquelles sont bâties les démocraties. Il parle au nom de la tradition judéo-chrétienne, fondée voici quarante siècles par la figure légendaire d’Abraham, un juif errant. Il parle au nom de la culture antique où Ulysse naufragé est accueilli avec respect par Alkinoos, roi des Phéaciens.
Tel est le rôle des leaders spirituels, François répète à la suite du Dalaï Lama, de l’abbé Pierre, de Mère Teresa, d’une foule de militants des organisations humanitaires : tous les hommes sont égaux quelles que soient la couleur de leur peau ou celle de leur passeport, leur religion, leurs mœurs. Qui n’est pas solidaire avec les migrants risque un jour de se retrouver dans leur situation.
Et cependant, on sait que les cinquante migrants qui reviendront à Rome avec le pape ne sont qu’un symbole, qui ne résoudra pas le problème : des millions de candidats veulent s’échapper d’Afrique ou d’Asie, soit parce que l’insécurité y règne, soit parce qu’ils meurent de faim. Cela varie de pays à pays mais, pour tous, l’Europe fait figure de havre de paix et de paradis économique.
Il y a un milliard d’Africains et dans une génération, ils seront deux milliards. Non seulement l’Europe ne peut en accueillir une substantielle proportion, mais elle se ferme de plus en plus. Le long de la frontière Est de Schengen se reconstruisent ces murs de barbelés qui furent le déshonneur et la ruine du monde soviétique. L’immigration redoutée est devenue un débat politique majeur. En France, l’élection présidentielle se décidera en fonction de ce thème ; la droite au sens le plus élargi du terme, environ 45% de l’électorat, fait assaut de mesures radicales : zéro immigration, abandon du droit du sol, abandon du regroupement familial, expulsion des étrangers délinquants.
Or ces mesures sont impraticables. Dans l’économie mondialisée, les cadres, les chercheurs, les étudiants doivent impérativement se déplacer ; les délinquants étrangers ne sont pas récupérés par leurs pays d’origine. Mais ces mesures font partie du stock des promesses électorales à la fois irréalistes et néanmoins indispensables pour appâter une majorité. A la marge les pays riches peuvent subsidier à la raclette le développement des pays pauvres mais ceux-ci manquent moins d’argent que d’inspiration. Face au discours du pape, la réalité de la politique s’inscrit en nette contradiction. Accepter des migrants revient à perdre les prochaines élections et à renforcer l’extrême droite, quand ce n’est pas l’extrême gauche.
Qui ne peut ne peut. Les Droits de l’homme ne sont plus praticables! Les attentats meurtriers des djihadistes ont réduit l’Europe à imiter le refus de l’étranger des islamistes. Après les ambiguïtés de la colonisation est venue la déroute de la décolonisation, puis la montée des régimes dictatoriaux, corrompus, incompétents. L’Europe, qui pourrait vivre sur ses propres ressources et s’occuper de tenir tête à ses concurrents économiques et politiques, doit vivre avec cette plaie à son flanc, cette machine infernale qui pourrit son avenir.
Cependant, l faut que l’Esprit continue à parler même si la Realpolitik parle plus fort.
