Une chronique politique sans parti pris

Découverte forcée du génome

 

 

Nous en sommes arrivés au coronavirus omikron. Le dernier dont on avait parlé était le delta. On a donc enjambé dix lettres de l’alphabet grec depuis epsilon jusqu’à xi. Ces lettres ont bien été utilisée pour désigner des variants plutôt moins contagieux qui ne se sont pas répandus.  On n’en a donc pas soufflé mot, mais cette débauche de mutations a bien eu lieu. En dehors de l’apprentissage de l’alphabet grec par l’opinion publique, la découverte forcée de la génétique par bribes constitue un considérable progrès de notre culture, obligée d’intégrer le mécanisme détesté de l’évolution.

Le fondateur de la science génétique fut l’excellent moine Gregor Mendel qui étudia la généalogie des petits pois dans le potager de son monastère, sans s’occuper de déterminer si les lois qu’il découvrait s’appliquaient aussi aux animaux. Car sa première étude sur les souris fut arrêtée par son supérieur, légitimement inquiet : les souris sont des mammifères, donc plus proches que les petits pois des humains. Or, ceux-ci se considèrent comme des êtres à part que l’on ne peut enfermer dans un destin déterminé par la statistique et la chimie : ils se contemplent comme libres et responsables.

L’invention du terme « génétique » revint au biologiste anglais Bateson (1861-1926), qui l’utilisa pour la première fois en 1905. La génétique contemporaine date de la découverte de la structure en double hélice de l’ADN réalisée par Watson et Crick en 1953. Cela constitue une révolution culturelle, semblable à celles de Galilée ou de Darwin. La vie apparait comme une manifestation de la chimie du carbone, sans rien de surnaturel. Par la découverte de la multitude des exoplanètes, on se convainc de plus en plus qu’elle apparait ailleurs, partout où les conditions physico-chimiques sont réunies.

La vie évolue constamment grâce à la flexibilité de son support, la longue molécule d’ADN, qui collecte des bribes apportées de l’extérieur, précisément par les virus. Cela nous enseigne que nous, comme espèce qui se situe présomptueusement au sommet de la vie et qui la dépasserait même par la conscience, nous sommes le fruit du hasard des mutations et de la nécessité de la survie des mieux adaptées à l’environnement. A ce titre nous fonctionnons comme les virus, les bactéries, les animaux : la vie déploie sans cesse un éventail de possibilités dont les plus aptes émergent par l’élimination des autres.

Un virus plus contagieux prend la place d’un précédent qui l’était moins. De son point de vue, un virus se perfectionne continuellement, d’autant plus vite qu’il a à disposition un réservoir d’humains qui ne sont ni vaccinés, ni immunisés par une infection antérieure : cette fraction de l’humanité se comporte comme un bouillon de culture où se propager, se multiplier et s’améliorer jusqu’à devenir irrésistible.

Il est donc intéressant que l’humanité intériorise petit à petit ces données élémentaires sur notre existence et qu’elle en tire des conclusions réalistes. La Nature n’est pas un monument construit jadis, une fois pour toutes. Le grand phénomène de l’évolution continuera indéfiniment. Rien n’est acquis, tout fluctue. Rien ne garantit la pérennité de notre espèce. Sa disparition ne ferait qu’ouvrir le champ aux autres vivants ou à des agents infectieux plus perfectionnés. Jadis les Européens avaient appris à vivre avec la variole au prix d’une mortalité infantile endémique : lorsqu’ils débarquèrent dans les Amériques, les indigènes furent massivement éliminés par contagion.

Si nous comprenions cela, nous reviendrions de loin. Journaux et magazines continuent à publier imperturbablement des horoscopes qui prétendent prédire le destin des humains à partir de la position des planètes et qui sont désirés par la fraction la plus crédule des lecteurs. Ce ne sont pas seulement des ignorants qui croient que nous sommes gouvernés par le ciel. Le 31 octobre 2006 sur le plateau de l’émission de télévision Infrarouge, je fus confronté à Elizabeth Teissier « astrologue, écrivain, journaliste, docteur en sociologie de la Sorbonne à Paris ». Je découvris une assemblée de notables, avocat, médecin, journaliste, politicien, professeur d’université, tous adeptes de l’horoscope. Ainsi, l’astrologie n’était pas – comme je le croyais jusque là – un jeu de société, une croyance vague, mais l’expression la plus voyante de la névrose sourde ravageant les couches instruites de la société, méfiantes, voire hostiles aux sciences naturelles et démunies de religion.

Autre anecdote significative : lorsqu’en 2001 le parlement fédéral commença à discuter de la loi OGM, on organisa une matinée d’information donnée par un spécialiste. A sa troisième phrase un des élus eut l’honnêteté intellectuelle de l’interpeller : « Vous parlez d’une molécule d’ADN. Mais qu’est-ce que c’est qu’une molécule ? » La commission en charge de la science comportait en son sein des membres qui ignoraient tout de la Chimie, qui ignoraient même qu’elle existât. Quelle conception avaient-ils du phénomène de la vie ? Comment discuter raisonnablement d’un choix politique délicat lorsque l’on vit dans l’univers conceptuel des siècles antérieurs ?

Contraints et forcés nous commençons à sortir de la fantasmagorie, de l’ignorance, de la crédulité pour nous rapprocher d’une vision réaliste des phénomènes vitaux. La raison est austère et la superstition séduisante. Certes la science n’épuise pas le réel mais l’ignorance ne l’effleure même pas. La votation du 28 novembre est encourageante : le front de la connaissance, de la lucidité et du réalisme l’a emporté largement. Les futures mutations du virus règleront le sort des dissidents. La Nature est bien faite.

Dans l’enseignement obligatoire on n’en fera donc jamais assez pour initier les enfants aux sciences naturelles. Comme on renonce à leur imposer l’orthographe, on dispose de davantage de temps pour annihiler les vieilles légendes et pour leur enseigner la vie, telle qu’elle est dans sa splendeur et sa cruauté. Alors, la génération suivante se vaccinerait plus volontiers et éviterait la création de variants.

 

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