Une chronique politique sans parti pris

L’investissement en désinformation

 

 

La loi sur le Covid sera sans doute acceptée par le peuple le 28 novembre : le dernier sondage donne 67% de oui. Néanmoins ses adversaires financent une dispendieuse campagne d’affiches et de tracts, apparemment à fonds perdus. Il se trouve donc des sponsors pour engager des millions dans une cause perdue d’avance. Sauf si l’objectif véritable de la campagne n’était pas de gagner cette votation, mais  d’atteindre tout autre chose. Mais quoi ?

 

C’est très difficile à cerner. Le refus de la loi Covid agrège plusieurs tribus aux objectifs disparates, allant des extrêmes de la droite à la gauche : les adversaires habituels de la chimie opposés à toute injection parce qu’ils  ignorent que leur corps est composé de molécules chimiques ; la Suisse centrale méfiante à l’égard de la Confédération qu’elle suppose toujours aux ordres des Habsbourg ; les complotistes, …. L’unique parti opposé à la loi est l’UDC mais avec une certaine dispersion puisque seuls 62% des adhérents rejettent la loi. Certains sont opposés à la vaccination, d’autres sont vaccinés et rejettent le passe. Les Conseillers d’Etat UDC, en charge de la santé sur le terrain, soutiennent la loi car ils en expérimentent tous les jours le bien fondé.

 

Dans un toutes-boîtes de vingt pages, les thèses de cette campagne de désinformation sont expliquées et justifiées avec la prétention de ne diffuser que des informations provenant de sources fiables. Les textes sont pour la plupart anonymes, hormis six d’entre eux. Les titres des articles sont éloquents : « Non à la discrimination et à la division de la société », « Les fake news du Conseil fédéral », « Tout le pouvoir au Conseil fédéral ? », « Indigne d’un Etat de droit démocratique », « Les coûts immenses de la pandémie », « Actuellement notre démocratie est en danger », « Une surveillance mondiale via le certificat Covid-19 », « Les chiffres magiques de l’OFSP », « Y a-t-il vraiment une pandémie de non vaccinés », « Les lits d’hôpitaux suisse et leur véritable occupation », « La directrice  du CDC : les vaccins n’empêchent pas l’infection », « Les vaccins Covid : quelle est leur efficacité réelle ? ».

Il faudrait un livre entier pour réfuter ces articles les uns après les autres. La plupart des textes proviennent sans doute d’une agence de relations publiques et sont tout à fait professionnels : ils relèvent des méthodes classiques de la propagande, en insinuant plus qu’en affirmant, en semant le doute, en brouillant les pistes de réflexion, en noyant le lecteur sous une marée de chiffres, en pratiquant l’amalgame. Le lecteur moyen de ce pamphlet peut difficilement y résister. Face à une épidémie et aux risque de nouveau confinement, c’est de l’inconscience félonne.

Reste à s’interroger sur le mobile réel des mécènes qui ont soutenu cette campagne. Lors d’une interview télévisée, une cheffe d’entreprise a révélé le chiffre de 1.3 millions rassemblés entre une demi-douzaine de dirigeants. Alors que le but visé par ce pamphlet est la fraction la moins instruite de la population, ouverte à ce genre de propagande, on ne peut estimer la même chose de ces dirigeants, souvent munis de diplômes universitaires. N’importe qui a acquis une formation sérieuse en sciences naturelles sait que la vaccination est l’arme la plus efficace pour enrayer une épidémie virale et que le passe permet une vie normale à ceux qui sont immunisés pour le plus grand bénéfice de l’économie.

Si l’on se réfère aux titres recensés plus haut, ils se rangent finalement en deux catégories : les premiers prétendent que la démocratie helvétique est en péril du fait du Conseil fédéral ; les autres que le vaccin ne protège ni de la contagion, ni de la transmission. Ces deux assertions mensongères laissent croire que la Suisse serait en voie de devenir une dictature par l’artifice d’une campagne de vaccination sans aucune justification. C’est tellement exagéré que cela en devient insignifiant.

Certes, il y a des mesures de contrainte en Suisse mais elles sont plutôt bénignes en comparaison de celles prises dans les pays voisins. Certes c’est désagréable, comme tout ce qu’il faut accepter pour vivre en société, le code de la route, les impôts, le service militaire, en temps de guerre le rationnement. Ces contraintes constituent le moyen légal utilisé par des autorités démocratiquement élues pour lutter contre une situation d’urgence. L’épidémie n’est pas un complot inventé par la Confédération, mais une importation de l’Asie. Le Conseil fédéral n’est pas une coterie d’apprentis dictateurs mais sept personnes représentant la Suisse dans sa diversité et sa tradition.

Le but réel de la campagne est donc une attaque frontale contre nos institutions. Alors que celles-ci font l’envie des nations et qu’elles garantissent le bien-être extraordinaire de la Suisse, les partisans du non s’efforcent de prouver le contraire par une propagande mensongère. Ce n’est ni la première ni la dernière fois. Et cela a souvent réussi ailleurs, à Berlin, à Rome, à Saint Pétersbourg,  et cela continue à réussir, et cela a failli à Washington.

Pour l’instant, la seule explication rationnelle imaginable est une campagne de recrutement d’électeurs par l’UDC, qui drague tous ceux qui disent non à tout pour les raisons les plus diverses et les plus contradictoires. C’est une stratégie occulte de contestation d’un système fondé sur la concordance, le consensus, la modération, la retenue et même le recours à la raison. C’est la volonté de conquérir le pouvoir en abusant de la démocratie pour l’éreinter.

Accessoirement, cette campagne vise à discréditer encore plus la science, en la ramenant à un vulgaire conflit d’opinions contradictoires, entre lesquelles le citoyen peut choisir celle qui conforte ses propres préjugés. Comme si un consensus des personnes compétentes n’était pas bien établi au sujet de la vaccination comme arme décisive. Cela fait partie d’une dégradation du statut de la science dans l’opinion publique qui n’est pas spécifique à la Suisse. Elle subit le même sort que les religions, les partis, les arts dans un vaste mouvement de déséquilibre.

La liberté d’expression est intangible. Toute loi votée par le parlement peut et même doit être soumise à l’agrément du peuple. Cette liberté autorise de mentir dans la campagne des initiants, même dans une situation de crise où seule la vérité peut sauver.

Si d’aventure ils l’emportaient en empêchant le Conseil fédéral de gouverner, ils devraient en assumer les conséquences ultimes. Il reste que les auteurs de cette conspiration mériteraient a posteriori d’être tenus pour responsables des morts, des handicapés et des pertes de l’économie dont ils seraient responsables. Il reste qu’ils diffament les Conseillers fédéraux, l’administration en charge de la santé et tout le corps médical. Pour leur propre sécurité, il vaut donc mieux qu’ils échouent.

 

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