Une chronique politique sans parti pris

A Glasgow, il est déjà trop tard

Du 31 octobre au 12 novembre, la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques prend ses quartiers à Glasgow.  Pour qui a assisté, fut-ce comme figurant, à ce genre de réunion, la cause est entendue : il se publiera des documents rédigés pour dissimuler l’absence de décisions opérationnelles, qui sont d’ailleurs impossibles à imposer. En ce sens, qu’il n’existe pas de gouvernement planétaire possédant le pouvoir d’inverser la tendance au réchauffement, mais une foule d’Etats maîtres de leurs décisions sur leurs territoires. Or, ils sont tous en compétition économique et la disponibilité de l’énergie en est un facteur crucial. Cela, c’est le fondement de l’économie actuelle dont nous ne sommes pas près de nous distancer. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait viser un gouvernement mondial parce que ce serait se fixer un autre objectif impossible à atteindre. Il n’y a pas d’autre voie que la négociation diplomatique. Elle vise surtout à faire croire que quelque chose de décisif va advenir.

La mise en scène de ce genre de Conférence est donc très importante pour lui donner l’importance qu’elle ne peut avoir mais ses apparences. Les délégués sont correctement vêtus, logés dans les meilleurs hôtels, transbahutés dans des voitures de fonction, préservés des manifestations populaires par une foule de policier, discutant dans des locaux confortables. Dans cet environnement factice, impossible de se représenter les véritables enjeux, qui se changent en entités abstraites. Les morts actuels et ceux à venir ne sont plus que deux statistiques, l’élévation de température actuelle et future deux chiffres qui ne disent pas l’essentiel : les incendies de forêts, les inondations, les logements détruits, les récoltes diminuées, la déjà réelle pénurie d’énergie, le mécontentement des populations dont le revenu s’érode, les vastes migrations qu’aucun Etat ne veut accueillir. L’opinion publique, elle, est persuadée qu’une action est entreprise puisque 20 000 personnes sont rassemblées à Glagow et qu’il en sortira tout de même quelque chose. En fait ce sera de la poudre aux yeux.

La réalité toute crue est celle-ci : depuis la première réunion du genre en 1992 à Rio, avec le si beau nom de Sommet de la Terre, en quarante ans non seulement la production de CO2 n’a pas diminué, elle ne s’est même pas stabilisée, elle a augmenté de 40%, c’est-à-dire que l’élévation de la température mondiale s’accélère au-delà de toute prévision, au-delà de tout objectif raisonnable. C’est la vingt-sixième fois que les négociateurs se réunissent, mais ils n’ont pas d’autre mandat que de rédiger des résolutions que leurs mandants, les gouvernements, ne peuvent, ni ne veulent honorer. On ne voit pas pourquoi 25 réunions n’ont servi à rien et que celle-ci réussirait. Selon le rapport récent des Nations Unies nous ne nous rapprochons pas de l’objectif d’un réchauffement limité à 1,5 degré, nous nous en écartons : la Suisse fait partie des pays pour lesquels en 2030 la production de CO2 n’aura pas diminué, mais sans doute  augmenté.

Pourquoi ? Parce que ni les négociateurs, ni les gouvernants n’ont le pouvoir. Parce que le lobby des pétroliers agrège un chiffre d’affaire supérieur au PNB de chaque nation prise individuellement. Parce que ceux qui jouissent théoriquement du pouvoir, n’en possèdent que les apparences, mais qu’ils en s’en rendent dupes. D’origine plutôt modeste, ils mènent pendant une ou deux décennies la vie de château. Cela suffit à leur faire croire qu’ils sont arrivés. Mais où ? Nulle part.

L’enjeu n’est pas un accord douanier, le budget des Nations Unies, le démantèlement de l’arme nucléaire, la création d’un réseau numérique international. Tout cela est secondaire face à une question de vie ou de mort pour la planète et, plus concrètement encore, de vie ou de mort pour des centaines de millions de ses habitants. Personne ne peut prédire jusqu’où la température montera, puisque personne ne peut empêcher les voitures à combustible fossile de rouler, ni interdire les chauffages au fuel, ni fermer les centrales à charbon. Personne ne peut fermer les puits de pétrole, les captages de gaz, les mines de charbon qui appartiennent aux véritables puissants Ceux-ci disposent de tous les moyens de persuasion pour inciter les citoyens à ne pas soutenir les partis qui pourraient s’attaquer sérieusement à résoudre le problème.

Celui-ci n’est pas seulement politique, économique, technique, voire scientifique. Il a des racines bien plus profondes, difficiles à déterrer, celles de la société d’abondance, celles de la mondialisation, celles du libéralisme, celles mêmes de la démocratie représentative dans un cadre national. Le défi est de changer de culture, ce qui n’arrive que sous la contrainte des grandes catastrophes, peste, guerre et famine et le retour des dictatures élémentaires. C’est ce qui est arrivé au siècle passé avec le nazisme et le communisme pour l’Allemagne humiliée de 1919 et la Russie affamée de 1917. C’est ce qui menace les pays démocratiques aujourd’hui, déjà menacés à la marge.

En laissant la température physique monter à Glasgow, les prétendus négociateurs s’écarteront aussi un peu plus de la paix qui règne, plus ou moins, dans le monde depuis 1945. Même la plus pacifique des nations, la Suisse, porte une part de responsabilité dans cette dérive. Les hommes ne sont pas assez fous pour déclencher délibérément une guerre. Mais parfois ils y arrivent contraints et forcés, sans se rendre compte que leur égoïsme national en fut la cause lointaine. Quand une pénurie grave mettra en danger la survie de certains, ils n’auront pas d’autre réflexe.

On ne peut pas imaginer que spontanément les citoyens des pays les plus industrialisés vont couvrir leurs toits de cellules photovoltaïques, supporter que les éoliennes se répandent, isoler à grand frais leurs maisons, diminuer leur consommation de viande et de fruits exotiques, renoncer aux voyages en avion, se limiter aux transports publics. Cela signifierait sortir d’une zone de confort, considérée comme acquise une fois pour toute. Dans l’état actuel la population n’en veut pas. Seuls des événements de plus en plus dramatiques serviront d’instruction, mais il est regrettable de devoir en arriver là.

Comment y échapper ? Tout d’abord en réprimant la désinformation dans la folie des réseaux dits sociaux. En supprimant la publicité. En créant une industrie vouée au changement climatique. C’est-à-dire en changeant de culture. Mais on n’en change pas comme de chemise. C’est le défi d’une véritable conversion. On attend des prophètes.

 

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