Une chronique politique sans parti pris

Pourquoi nous ne nous vaccinons pas

 

 

La Suisse est en retard par rapport à ses voisins en matière de vaccination. Or nous ne manquons ni de finances, ni de personnel. Mais une fraction de la population n’en veux pas. Au lieu de chercher maintes explications et excuses, il faut mettre en exergue cette déclaration courageuse faite par un récalcitrant : « je préfère encore mourir que d’être vacciné ».  Selon une certaine rumeur, son vœu le plus cher fut exaucé, il eut la joie de mourir sans avoir succombé aux prescriptions du pouvoir. Un esprit libre dans un corps maitrisé. Un héros helvétique.

La raison bien cachée de ce refus de la vaccination semble liée au fond à celui de la médecine préventive, qui est contraire au génie suisse et à l’esprit, si l’on ose dire, de l’assurance maladie. Celle-ci est faite pour guérir, et donc logiquement pas pour empêcher d’être malade. Comparons le coût dérisoire d’une vaccination avec les frais d’un malade grave intubé pendant dix jours : il est clair que la rentabilité des prestataires de soin (et de l’assurance) est mieux garantie dans le second cas. Evidemment cela entraine une explosion des coûts de l’assurance qui grimpent cinq fois plus vite que les salaires, au rythme de 4% par an. Mais nous n’aurions pas le meilleur service de santé du monde si nous lésinions sur les coûts. Nous ne saurions même pas qu’il est le meilleur si nous ne l’utilisions pas dans ses ressources les plus sophistiquées. Mieux vaut mourir ruiné mais tardivement que solvable mais précocement. Dans la vie future, les francs suisses ne servent à rien.

Et forcément je peine à payer mon assurance maladie qui mange 20% de ma pension. Comme tout le monde. On me dit qu’elle augmente parce que c’est ma faute et que je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même. Si je ne dépensais pas tellement en soins, mon assurance coûterait moins. Un bon truc, répètent inlassablement de bonnes âmes, consisterait à prévenir plutôt qu’à guérir. Il faut empêcher que la maladie se déclare. Mais ce n’est qu’un vœu pieux, la dissimulation du véritable objectif qui est de soigner. C’est comme la Croix Rouge : s’il n’y avait plus de guerres, il faudrait la dissoudre. Perte d’emplois, perte de renommée, ignorance de l’histoire.

Car la prévention est contraire à l’esprit même de l’institution comme j’en fis l’expérience à mes dépens dans une aventure qui résuma toute la médecine et toute l’assurance. Nous avions projeté un voyage de contemporains en Côte d’Ivoire. L’agence de voyages avait recommandé de se faire vacciner. Un médecin spécialiste dressa un projet extensif : vaccinations contre la fièvre jaune, la paratyphoïde, la poliomyélite ; sérum contre l’hépatite ; protection contre la malaria par des comprimés de chloroquine à 100 mg, tous les jours, une semaine avant le départ et quatre semaines après le retour. Lors de mon voyage précédent au Sénégal, il suffisait d’un seul comprimé de chloroquine par semaine. Le médecin rétorqua que le parasite de la malaria a eu le temps depuis lors de s’habituer à la chloroquine. Même au rythme d’un comprimé par jour, je courrais encore des risques. Il les prévint par un second produit, la méfloquine, à prendre si jamais je commençais à avoir la fièvre.

Vaccinés et bourrés de médicaments, nous prîmes l’avion pour Abidjan. Nous étions susceptibles plus que d’autres d’attraper de vilaines maladies, contre lesquelles nous n’avions aucune immunisation naturelle à cause de l’hygiène maniaque de l’Helvétie. Le premier soir, à table durant le dîner, nous nous sommes tous mis à parler de plus en plus fort, puis à crier. En effet, la chloroquine, que nous croquions à belles dents depuis une semaine, a pour effet collatéral de rendre sourd, en engendrant des sifflements horribles dans les oreilles. Nous avons tous bu pour nous consoler et oublier, mais cela sifflait de plus belle.

Le lendemain, un médecin, pratiquant en Côte d’Ivoire, assura que la chloroquine ne servait pratiquement plus à rien. Nos oreilles sifflaient sans que nous fussions protégés pour autant. Je lui présentai mon médicament de secours, la méfloquine. Il ne faut surtout pas en prendre, me dit-il, ce produit donne des hallucinations et rend définitivement fou les personnes prédisposées. Comme je craignais d’appartenir à cette catégorie, je jetai à la poubelle le médicament qui avait pourtant coûté assez cher. Le médecin me confia un troisième anti malarien, l’Halfan, dont il m’assura qu’il était à la fois efficace et sans effets secondaires. Je ne le crus pas, car comment imaginer qu’un médicament puisse produire un effet utile sans en engendrer de néfastes. Je jetai également ce troisième produit. Après tout, la malaria n’est pas toujours mortelle. Et mieux vaut tout de même mourir que de subir des effets secondaires dont on ne sait rien alors que la mort nous est tellement familière. Même réflexe à cette époque que pour les antivaxs d’aujourd’hui.

Rentré à Lausanne, j’envoyai naïvement les factures de médecin et de pharmacie à ma caisse maladie, qui me les renvoya avec une lettre de reproche. Une lettre circulaire, les seules qui s’échangent entre une bureaucratie et un individu, mais le préposé avait tout de même écrit de sa main à l’encre rouge en travers du formulaire un commentaire personnel tant l’indignation l’étouffait : “Ne demandez pas le remboursement de la médecine préventive !” A l’encre rouge, la couleur de la honte. J’avais osé prendre des mesures pour ne pas tomber malade et j’osais en demander le remboursement, tout comme si j’étais vraiment tombé malade. Je me suis rendu compte, mais un peu tard, que je prenais le chemin de l’escroquerie.

J’ai ainsi compris qu’il ne faut pas se prémunir contre les maladies pour trois raisons : tout d’abord, on n’est pas absolument protégé ; ensuite, on risque sérieusement des effets secondaires en ingérant les produits préventifs ; enfin une caisse maladie n’est pas là pour vous aider à ne pas devenir malade mais pour vous aider à guérir après que vous eussiez pris soin de tomber malade. Il faut donc au minimum consentir cet effort. C’est fait. Mes sifflements d’oreille persistent et s’amplifient. La caisse maladie m’a fait savoir qu’elle était prête à payer six mille francs un appareil auditif pour cette maladie médicalisée à titre préventif, afin d’éviter la malaria que je n’ai pas eue.

Molière en a tiré la conclusion voici quatre siècles dans Le malade imaginaire : « Ne vous avisez surtout pas de mourir sans l’autorisation du médecin ! ». Il aurait pu préciser : « et de refuser de tomber malade. ». Certains Suisses, les meilleurs, ne se vaccinent pas afin de donner du grain à moudre aux soins intensifs des hôpitaux. Au risque de leur vie. Cela s’appelle la solidarité nationale.

 

 

 

 

 

 

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