Une chronique politique sans parti pris

Les lois non écrites

 

Le 12 septembre lors d’une réunion UDC:

 « Dans son discours, le ministre des Finances déplore une “concentration du pouvoir” entre les mains du Conseil fédéral et d’experts “certainement intelligents mais qui ne sont pas élus”. Une concentration des pouvoirs qu’il juge “dangereuse” et qui s’est “accentuée” avec la pandémie, bien qu’elle ait commencé avant le Covid. Ueli Maurer appelle donc la population à “faire contrepoids”, à “se défendre” contre cette tendance. Pour le conseiller fédéral UDC, la Suisse “a réussi à sauvegarder son économie” depuis un an et demi. Ueli Maurer critique en revanche la réponse sanitaire de la Confédération et des cantons. “Dans le domaine de la politique de santé, je pense que le Conseil fédéral et les autorités ont échoué. (…) C’est une crise de leadership”, relève-t-il, regrettant que l’on soit aujourd’hui “dans cette situation où on impose le certificat Covid”. » Préalablement Ueli Maurer avait porté le T-shirt des “Freiheitstrychler”, un groupe de sonneurs de cloches fermement opposé aux mesures de lutte contre le coronavirus, par “pur hasard”et seulement pendant 5 minutes, précisant par ailleurs qu’il ne s’agissait pas d’une provocation.

Tels sont les faits qui démontrent non seulement que Ueli Maurer reste sur la ligne de son parti, ce qui ne saurait étonner personne, mais encore qu’il le manifeste en public. Dès lors il rompt la collégialité qui suppose que chaque Conseiller défende les décisions du Conseil fédéral, que cela lui plaise ou non. C’est plus qu’une coutume, c’est la condition essentielle pour que fonctionne la concordance, qui demande que tous les partis soient représentés au gouvernement.

Il faut en être bien conscient. La Suisse n’est pas gouvernée comme les autres pays démocratiques : en général le parti qui emporte les élections désigne un chef de l’exécutif, Chancelier en Allemagne, Premier ministre en Angleterre, Président aux Etats-Unis. Celui-ci recrute un cabinet ministériel, généralement dans son parti ou dans une coalition, qui reçoit l’investiture de sa majorité au parlement sur base d’un programme annoncé.

En Suisse, il n’y a ni chef, ni gouvernement recruté par celui-ci, ni programme, ni majorité au parlement. Le système est beaucoup plus subtil et il fonctionne très bien depuis plus d’un siècle. La concordance entraine l’élection par les Chambres réunies de sept personnalités représentant autant que possible les partis importants et les régions du pays. Il n’y a aucun impératif de voter pour une équipe soudée, mais au contraire séparément pour chaque Conseiller. Un programme sera annoncé ultérieurement mais il ne témoigne pas d’une ligne particulière. Enfin ce Conseil fédéral ne peut pas compter sur une majorité stable mais fluctuante, qui lui est parfois refusée. En un mot c’est un exécutif entièrement sous la dépendance du législatif qui, lui, est soumis au peuple souverain par le biais du droit d’initiative. Le pouvoir est aussi réparti que cela est possible. Et cela fonctionne.

Pourvu que tout le monde joue le jeu. Si une majorité, qu’elle soit de droite ou de gauche, s’avisait de voter pour un CF monocolore, en rusant avec la règle de concordance, celle-ci serait de fait abrogée et le système s’enrayerait. De même si un Conseiller fédéral ne respecte pas la collégialité en critiquant le gouvernement dont il fait partie, il affaiblit le système. En d’autres mots les institutions suisses fonctionnent bien si chacun respecte ces lois non écrites que sont la concordance et la collégialité.

Le premier exemple historique de loi non écrite fut le mythe d’Antigone dans la Grèce antique. Antigone est un symbole et un exemple de dévouement : elle assistera son père Œdipe jusqu’à la fin, avant de lutter pour enterrer son frère au prix de sa propre vie. Elle représente l’équité et la morale qui sont supérieures aux lois de l’Etat. En notre temps, les Justes qui ont sauvé de Juifs en France en violant les lois de Vichy en sont un autre exemple. Plus récemment encore, les ONG affrétant des bateaux pour sauver des réfugiés en Méditerranée contre la volonté des Etats en sont l’incarnation vivante.

La réussite politique (pas de guerres récentes) et économique de la Suisse implique la bonne volonté de tous et le refus de s’en prendre à un système relativement fragile, reposant essentiellement sur le consensus. Guy Parmelin donne l’exemple d’un Conseiller fédéral qui s’élève au-dessus des impératifs de son parti pour atteindre la dignité et l’autorité d’un chef d’Etat, même temporaire. Ueli Maurer se comporte en sens contraire dans cette affaire. Puisque son collège Alain Berset a la charge de la politique sanitaire, il s’en prend ouvertement à lui, alors que cette politique a été décidée collégialement. L’attaque sur la vie privée du même relève d’une volonté d’ébranler le système, en feignant de croire qu’un Conseiller fédéral serait tenu de respecter la morale privée qui n’est pas obligée pour le reste de la population. C’est aussi la fabrication d’une loi non écrite, dont l’objectif est politicien, en confondant morale publique et morale privée.

On peut saper les institutions du pays en refusant de se plier aux lois non écrites qui en assurent la viabilité. Comme tous les régimes en fin de compte, la bonne gouvernance d’un pays dépend essentiellement de la vertu d’une majorité des citoyens. Mais la démocratie directe est le plus exigeant de tous les régimes

 

 

 

 

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