Une chronique politique sans parti pris

Qui sème le vent…

 

 

 

« L’opposition aux mesures de lutte contre la pandémie a pris une nouvelle dimension avec la manifestation de jeudi soir à Berne. Le cortège des personnes s’opposant au certificat et aux mesures anti-Covid, non autorisé, a réuni jeudi soir entre 3000 et 4000 individus. Pour protéger le Palais fédéral des débordements, la police a dû avoir recours à un canon à eau, et elle a fait usage de balles en caoutchouc et de gaz irritant. Le président de la Confédération Guy Parmelin et les deux présidents des Chambres fédérales condamnent les violences. Le conseiller municipal bernois en charge de la sécurité Reto Nause a écrit jeudi soir sur twitter que la police cantonale bernoise a empêché un possible assaut sur le Palais fédéral. D’après les réseaux sociaux, on sait que certains opposants aux mesures contre le coronavirus ont idéalisé l’assaut sur le Capitole à Washington en début d’année. »

On doit ajouter que selon la police une tentative de démontage de la barrière s’est produite, qu’elle requiert des outils spéciaux et que cela suppose la préméditation de certains participants qui souhaitaient procéder à des déprédations du palais fédéral, tels que jets de peinture et bris de vitres.

Durant douze années d’activités parlementaires, environ cent jours par an, plus de mille fois j’ai traversé la Bundesplatz en admirant sa sérénité de ville provinciale, à mille lieues des métropoles de l’étranger, tout juste rehaussée par un marché ou quelques manifestants d’une amabilité exemplaire. La Berne fédérale est l’image vivante des institutions helvétiques, du fédéralisme, de la neutralité, de la concordance, de la milice. Le fractionnement  du pouvoir dans le droit d’initiative qui fait de chaque citoyen un petit roi : c’est l’acratie dans toute sa splendeur et sa réussite, la sécurité, le bien-être, la paix. Jamais je n’ai envisagé que cet Eden puisse être remplacé par une barrière métallique, des jets de balle de caoutchouc et de gaz lacrymogènes. Berne n’est tout de même pas Paris.

François Chérix a considéré que nous sortions de ce concept traditionnel d’acratie pour évoluer vers une egocratie, où les pulsions des individus se fédèrent contre toute forme de vie en commun sous l’égide de pouvoirs constitués. Un concept corrompu de liberté devient la seule valeur. Les manifestants de Berne désavouent à la foi la validité scientifique d’un vaccin et les règles imposées par le gouvernement. L’Université et la Confédération sont contestées jusque dans leur existence, leur légitimité, leur validité. D’où l’assaut symbolique du Palais fédéral, lieu du législatif et de l’exécutif. C’est le grand parti de ceux qui sont toujours et partout contre ce qui est pour et pour ce qui est contre.

L’assaut du Capitole américain le 6 janvier a naturellement servi de prototype. Dans deux démocraties parmi les plus anciennes, le concept lui-même est remis en question. Lors d’un événement de l’UDC le conseiller fédéral Ueli Maurer a été vu arborant l’habit du groupe des «Freiheitstrychler» de fervents opposants aux mesures sanitaires. Rupture flagrante de la collégialité au moment où Alain Berset s’évertue à prôner la vaccination et impose le passe sanitaire là où celui-ci permet la reprise des activités économiques, sportives, culturelles. Comme par hasard au même moment la Welwoche lui cherche noise pour sa vie privée, ce qui est contraire aux consignes habituelles de la presse suisse, répugnant à la littérature de caniveau.

Rien dans l’ADN du plus grand parti suisse ne lui enjoint de s’opposer aux mesures sanitaires pour lutter contre une épidémie ravageuse. Son but n’est pas de favoriser celle-ci, mais de recruter comme membres et électeurs tous ceux qui sont opposés à cette lutte : ceux qui la voient comme une gripette, ceux qui prétendent que les vaccins sont inefficaces ou dangereux, ceux qui par principe mettent en cause les pharmas. Idem pour le réchauffement climatique: il n’existe pas, il n’est pas d’origine humaine, il n’est pas dangereux. Idem dans son opposition au mariage pour tous. En résumé un parti populiste vise tous les mécontents, les laissés pour compte de l’évolution économique, les identitaires, les fanatiques religieux, pour en former une masse électorale irrésistible, sans l’ombre d’un programme de gouvernement réaliste.

C’est la technique la plus primitive du coup d’Etat comme il s’en est tellement produits au siècle passé en Europe. Les institutions démocratiques débordées par des problèmes insolubles cédèrent la place à des dictatures, tout aussi impuissantes, sauf à déclencher la violence de guerres civiles ou internationales. Il ne suffit pas de condamner en paroles la violence comme l’ont fait à juste titre les présidents (UDC) de la Confédération et des deux chambres. On peut correctement supposer que ces trois personnalités modérées aient été surprises parc ce qui s’est passé. Encore aurait-il fallu ne pas en créer les conditions préalables par une critique perpétuelle du « système ».

Celui-ci n’est pas parfait. Il a le mérite d’exister vaille que vaille. Il ne peut qu’évoluer à son rythme vers plus de justice sociale, de bien-être pour tous, de consensus élargi, de lutte réelle contre des menaces tout aussi réelles. Mais, par quelque initiative brutale il ne pourra jamais atteindre une perfection instantanée, sauf dans certains esprit enfiévrés des extrêmes de l’échiquier politique, qui font miroiter cette perspective face aux fractions les plus démunies de la population, au matériel comme à l’intellectuel.

 

 

 

 

 

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