Une chronique politique sans parti pris

L’enfant entre biologie et amour

 

Dans Le Temps du 13 septembre, Mgr. Jean-Marie Lovey s’oppose au mariage pour tous proposé le 26 septembre aux suffrages des Suisses. En tant que citoyen valaisan c’est son droit le plus strict. En tant qu’évêque de Sion, il engage de ce fait l’Eglise catholique en donnant une publicité à sa position.

Car de son côté la Conférence des évêques suisses (CES) s’est engagée dans le même sens : « La CES relève que le mariage civil n’est pas seulement une reconnaissance publique de sentiments réciproques. En effet, il a pour but l‘inscription de la filiation dans une institution stable, notamment en vue de protéger la mère et l’enfant. Le mariage civil est en ce sens ordonné à la fondation de la famille. Or, pour ce faire, les couples de même sexe doivent recourir à la PMA. La CES s’oppose de manière générale à son utilisation (aussi pour les couples hétérosexuels), puisque la PMA impliquant un don de gamètes s’oppose aux droits de l’enfant. La CES signale notamment la souffrance et la difficulté qu’ont ces enfants de se construire, par l’impossibilité de connaître leur origine biologique. »

Il s’agit donc bien ici seulement du mariage civil et d’une opposition portant sur la PMA, même pour les couples hétérosexuels. La dernière phrase indique que la CES est mue par le souci de garantir à l’enfant la connaissance de son origine biologique. Cet argument de droit naturel n’est pas une règle religieuse qui aurait son origine dans l’Ecriture ou la Tradition. On ne reprochera pas aux évêques de s’y référer mais on se situe alors dans un débat purement politique, où ils procèdent comme citoyens.

Est-ce un débat fondamental par rapport aux droits de l’enfant ? La Convention des Nations Unies relatives aux droits de l’enfant (CDE) a été ratifiée par le parlement fédéral le 26 mars 2007. Les organisations de protection de l’enfance s’accordent à dire que la situation des enfants en Suisse s’est globalement améliorée. : le nouveau droit au divorce qui accorde davantage d’importance au droit des enfants d’être entendu, les mesures contre la violence domestique qui impose à la personne violente de s’éloigner du domicile, la modification du code pénal rendant la possession de matériel de pornographie enfantine punissable, le congé maternité ou encore l’harmonisation des allocations familiales. Cependant ces droits fondamentaux n’évoquent pas la connaissance de l’origine biologique.

Dans certains cas, de viol, d’inceste, d’adultère, ce droit parait bien problématique. Le droit à la vie de l’enfant dans un environnement affectueux et respectueux semble plus important que celui de cette connaissance toute théorique. Il y a donc matière à un débat politique. Celui-ci a eu lieu lors du vote de la Loi fédérale sur l’analyse génétique humaine, dont les articles 31 à 34 établissent de façon très restrictive les conditions de son autorisation dans le cas d’une recherche de filiation. De toute façon, rares sont les démarches dans ce domaine.

En donnant suite aux prises de position publiques, y compris celle des évêques, l’opposition au mariage pour toutes et tous s’est renforcée, passant de 29% à 35% dans les sondages. Néanmoins la modification du code civil continue de bénéficier d’un large soutien de la population (63%, – 6 points). Si la votation avait eu lieu début septembre, le projet soumis au peuple, qui autorise les couples homosexuels à se marier et ouvre la procréation médicalement assistée aux couples de lesbiennes, aurait réuni une majorité dans toutes les régions du pays. Avec 56% de oui (-5 points), les Tessinois sont légèrement moins favorables que les Romands et les Alémaniques (63% de oui, en baisse de 6 points chacun).

En termes d’affiliation politique, seuls les proches de l’UDC refusent le mariage pour toutes et tous (64% de non, +14 points). Au nom de quoi ? Du refus de tout changement ? De l’appréhension de l’homosexualité ?

Les électeurs et électrices de tous les autres grands partis sont majoritairement favorables au projet. Le soutien est plus massif chez les écologistes et les socialistes qu’auprès du Centre et du PLR. Le oui est particulièrement net chez les personnes ne revendiquant l’appartenance à aucun parti.

En dehors des électeurs de l’UDC, les seuls groupes qui refusent le mariage pour tous sont les membres des Eglises chrétiennes libres (82% de non, +6 points) et des communautés non chrétiennes (59% de non, +40 points). A l’inverse, 60% des fidèles des Eglises réformée ou catholique se disent favorables au texte. Plus de trois quarts des personnes sans confession entendent voter oui.

Mgr. Lovey utilise une image appropriée pour justifier sa position : « il faut parfois ramer à contre-courant ». S’il souhaite traverser un torrent, c’est peine perdue, il sera emporté. Dans dix ans on se demandera comment le refus a été possible. La majorité des fidèles catholiques sont favorables au projet, contre l’avis des évêques. Néanmoins dans la structure actuelle de l’Eglise catholique, ces derniers seuls possèdent la parole que ne détiennent pas les fidèles. Or, il existe une vieille référence à ce que l’on appelle le sensus fidei ou encore sensus fidelium, c’est-à-dire l’inspiration divine dans l’interprétation de la foi qui serait accordée à l’ensemble des fidèles. Le clergé n’en aurait pas le monopole et devrait tenir compte de ce que pensent les fidèles. En dehors du débat, tout de même très relatif, sur l’origine biologique d’un enfant, c’est la relation entre clergé et fidèles qui est ici en cause.

Pour le chrétien de base, le droit de l’enfant porte d’abord sur son bien-être au sein d’une famille, à proportion de l’amour et du respect qu’il y reçoit. Telle est l’inspiration du peuple chrétien dans sa majorité. En fonction de celle-ci, c’est bien le peuple qui a dû intervenir dans les cas de pédophilie parmi le clergé, qui ne furent pas exceptionnels. Il y a quelque inconséquence à se focaliser sur l’origine biologique de l’enfant après avoir violé son droit à l’intégrité sexuelle. Il serait opportun que le clergé catholique cesse de prescrire continuellement ce que la sexualité peut ou ne pas être. Le christianisme a un autre message à apporter, bien plus urgent et pertinent.

 

 

 

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