Une chronique politique sans parti pris

Saisie de la culture par l’administration

 

Ainsi les cantons romands viennent de décider de modifier l’orthographe du français, comme si la langue entrait dans leur juridiction. Au Grand Siècle, Richelieu créa l’Académie Française pour lui confier ce rôle, c’est-à-dire une assemblée de véritables praticiens de la langue, les écrivains. Eux-seuls peuvent observer les modifications spontanées de celle-ci sous l’effet de l’usage populaire. A la marge, ils peuvent essayer d’y apporter quelque ordre, mais sans se faire trop d’illusions. L’anglais évolue plutôt bien sans académie. Il existe des éditeurs pour les dictionnaires

Car toutes les langues ont pour nature d’évoluer. Le latin n’a-t-il pas éclaté d’abord en une foule de dialectes locaux qui se sont finalement agglomérés autour de six à sept langues qui elles-mêmes n’ont pas cessé d’évolue ? Il n’est donc pas question de se récrier devant des tentatives de remise à jour. Sauf que celle-ci concerne l’orthographe. On peut et on doit en dire tout le mal qu’elle mérite, par ses complications infinies qui ont pour seul mérite de créer le métier de grammairien et les fonctions d’enseignants. Dans un pays francophone, les enfants parlent le français quand ils abordent l’école obligatoire. Ils le parlent, mais ils ne le lisent ni ne l’écrivent.

Il faut donc leur apprendre que les lettres è et ê se disent de la même façon, o ou au se prononcent de la même façon, comme en, an, em, am. Le p de loup ne s’énonce pas,  mais son féminin n’est pas loupe selon une certaine logique mais louve. Un î ou un û se prononce toujours i ou u.  Les graphies sain, saint, sein, seing, ceint se prononcent de la même façon, mais ont des sens bien différents. Etc…

On conçoit donc que la maîtrise de l’orthographe ne soit pas à la portée de tout le monde, spécialement des enfants élevés dans des familles démunies de livres, de journaux ou de revues. Cela existe. C’est donc un facteur de discrimination sociale fondée non sur l’argent, mais sur la culture. Des instituteurs ou des enfants d’instituteurs (Marcel Pagnol) peuvent concurrencer des fils de banquiers. Insolent. L’orthographe n’est donc qu’un fragment de la culture, un bien gratuit que peuvent s’approprier les plus modestes, moyennant de la persévérance et de l’engagement. A ce titre, elle mérite quelque attention au moment de la bazarder.

Anecdote vécue. Voici quelques années un diplômé de l’EPFL souhaitant se consacrer à l’enseignement s’inscrivit à la Haute Ecole Pédagogique vaudoise. Très rapidement il déchanta et m’apporta, comme pièce à conviction, un cours de pédagogie bourré de fautes d’orthographe, dont le thème principal était d’ailleurs tout à fait cohérent, puisqu’il stigmatisait l’orthographe comme étant un facteur gratuit de discrimination sociale. Je remis cette chose à la Conseillère d’Etat vaudoise. Qui fit la moue. Peu de temps après, je fus interpellé par la directrice du service en charge de lutte contre le harcèlement dans l’administration, passablement agacée par ma démarche harcelante à l’égard de ce pauvre enseignant. Pour m’absoudre, elle me proposa de dénoncer l’étudiant coupable de cet acte de lèse-enseignant. Ce que je refusai naturellement de faire, en priant cette administration de cesser d’enquêter sans juridiction sur l’activité de parlementaires cantonaux.

Cette histoire a le mérite de dépeindre froidement ce que notre système éducatif public pense de l’orthographe et d’expliquer pourquoi ces administrations se jugent compétentes pour la réformer. Dans le sens de la simplification. Puisque l’effort demandé à l’élève est pénible, il est urgent de le réduire. Telle est l’inspiration de cette pédagogie du relâchement des exigences. La même dégradation est du reste sensible dans l’enseignement des mathématiques vaudoises, plaisantes et ludiques, qui se gardent bien d’aborder réellement ces disciplines austères et utiles, mais difficiles, que sont la géométrie, l’algèbre et la trigonométrie. Le but n’est pas d’enseigner mais de socialiser dans une bonne ambiance décontractée. C’est le concept « Club Med » de l’école.

Il a la vertu inestimable de laisser à leur place ceux qui n’en ont guère. Pour certains partis, leur électorat se recrute d’ailleurs parmi les humbles et les offensés, les diplômés à la sauvette, les rejetons de familles défavorisées sans accès à la culture en général. Il ne faut pas trop ébranler leur condition pour qu’ils restent fidèles aux seuls partis qui leur promettent toujours que cela changera et qui se gardent bien de le faire jamais. La culture apparaît ainsi comme l’ennemie de certains intérêts politiques, très particuliers. Ce n’est pas nouveau. Ce n’est pas propre à notre pays. Bien avant, bien ailleurs, certains dictateurs l’avaient compris.

 

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