Une chronique politique sans parti pris

Le jour d’après arrive-t-il ?

 

Un gigantesque soupir de soulagement, on peut aller au restaurant, à la piscine, au cinéma, au théâtre. On ne doit plus porter le masque qu’à titre de précaution supplémentaire, pour se conformer à la loi là où elle l’exige. On essaye de se persuader que c’est fini, que l’on se réveille après le cauchemar. Est-ce vraiment vrai ?

Car en même temps des nouvelles inquiétantes parviennent de Russie et d’ailleurs. Le variant Delta engendre une nouvelle vague. Il est vrai qu’à peine 10% des Russes sont vaccinés ce qui donne la mesure de l’arriération mentale de la population. Le pouvoir a agi à la russe : ceux qui ne seront pas vaccinés perdront leur emploi. Bonne leçon. Il reste 14% des patients à risque en Suisse qui refusent le vaccin : cela signifie qu’ils seront responsables peut-être d’une obligation de se vacciner.

Personne ne sait ce qui va se passer, sauf ceux qui ne savent pas ce que c’est que de savoir. Pendant une année, nous avons espéré « le jour d’après », que nous imaginions aussi plaisant que le jour d’avant, peut-être en plus serein, en moins agité, en plus convivial encore qu’auparavant pour rattraper le temps perdu.  La traversée de l’épreuve exaltait nos futurs plaisirs. Cependant, au terme de ces 18 mois, nous commençons à soupçonner qu’il n’y aura pas de jour d’après. Si le virus mute, si un autre virus surgit, il n’y aura plus que du présent indéfiniment répété, entre vagues et confinements, couvre-feux et fermetures.

Nous ne récupèrerons jamais  le temps perdu, nous ne reviendrons pas au passé. Nous avons  égaré une année, comme si nous ne l’avions pas vécue. Et peut-être même perdu la quiétude pour toujours. Quand nous y repensons – nous avons maintenant tout le temps de songer- nous nous demandons comment nous avons pu être aussi sourds aux coups que le destin frappait à la porte.

Voici plus d’un an, ce n’était des heurts légers, un effleurement discret de l’Histoire, un grincement des gonds : déjà des grippes tenaces en Asie, des migrants noyés dans la Méditerranée, le fascisme renaissant de ses cendres aux confins de l’Europe, la Crimée envahie, un bouffon élu l’homme le plus puissant du monde par une majorité d’analphabètes du pays le plus riche, la noria des cargos chargés de containers déversant sur notre continent les biens fabriqués ou récoltés dans le monde entier, par le labeur de travailleurs sous-payés. Et nous, les Développés, tous ensemble, même les moins favorisés, nous nous croyions devenus bénéficiaires, rentiers, propriétaires, adjudicataires de la planète, la seule habitable dans le système du Soleil.

Certes, aucun après n’est jamais tout à fait comme son avant, mais certains ensuite diffèrent radicalement de leur auparavant. D’une part, il y a des périodes, lentes et majestueuses ainsi qu’un discours éloquent, 37 siècles de l’Egypte des pharaons, un millénaire romain, comme si le temps devenait l’éternité. D’autre part il y a des époques, qui ressemblent à un cri. Nous sommes entrés dans ce genre d’époque où tout chavire.

C’est déjà arrivé. Entre 1347 et 1352, cinq ans à peine, et un tiers ou la moitié des Européens morts de ce que l’on appela, faute de mieux, peste, noire. Un tiers ou la moitié, on ne sait pas, car on ne parvenait plus à compter, on n’avait pas le temps de les enterrer. En même temps, l’empire de Chine, celui des Khmers et celui de Byzance s’effondrèrent. A tout hasard, on arrêta les Juifs pour les brûler vifs, puisqu’il fallait trouver des coupables à cette explosion de colère divine. A force d’insister, ce monstrueux bûcher éteignit l’épidémie, du moins dans l’imaginaire. Car la peste fut endémique jusqu’au XIXe siècle. Elle ne frappait plus que ceux qui n’avaient pas hérités de leurs parents survivants les anticorps nécessaires.

Et nous y revoilà. Le virus mute pour prendre les vaccins de vitesse. Nous ferons des progrès considérables dans leur invention, dans leur production, dans leur distribution. Nous irons jusqu’à les donner aux peuples nécessiteux. Pas par bonté d’âme. Nous le prétendrons, pour nous nous donner bonne conscience, mais ce sera en vérité pour éteindre cet incendie toujours prêt à reprendre. Car nous saurons désormais vivre sur un volcan toujours prêt à exploser. Nous reconnaîtrons enfin qu’il y a un feu dans les entrailles de la Planète. Elle n’est pas faite pour nous, l’espèce qui se croit idéale, méritant l’exclusivité Elle est faite pour la vie, celle qui est la plus forte, la plus simple, la moins exigeante, celle du virus ou de la bactérie, des fourmis ou des termites.

Huit milliards d’hommes sur la Terre, c’était de la provocation. Tous se rêvant avec un téléphone portable, une voiture, un frigo, des vacances au soleil des tropiques. Quel songe et quelle illusion ! La terre n’est pas faite pour huit milliards de surconsommateurs. Quelques millions de chasseurs cueilleurs, voici dix mille ans, c’était tolérable. Mais huit milliards d’habitués d’huile de palme et de viande de bœuf, cela n’est pas possible. Il fallait les éliminer, les réduire à la portion congrue, menacer de les ramener à courir derrière l’auroch vêtus de peaux de bêtes. La machine virale s’est mise en marche et elle ne s’arrêtera que lorsque nous aurons compris.

Pas seulement qu’il existe des virus, mais aussi un climat qui dérive, une politique qui s’affole, des conflits qui s’amorcent, des artisans et commerçants ruinés, des chômeurs qui ne parviennent même plus à se nourrir. L’Extrême-Orient a éliminé le virus et s’est remis à travailler et à s’enrichir. Certains de ces pays sont des îles et d’autres des dictatures. Et ça marche. La Suisse en est le contraire. Car, bien qu’elle se croie une île, elle est en fait entourée des terres ; on n’a jamais fait autant en matière de démocratie. C’est bien simple, personne n’exerce le pouvoir, celui-ci s’est dissous. Lorsque le ministre de la Santé dispose de mesures indispensables pour contenir l’épidémie, il se fait traiter de dictateur. Il faut n’avoir jamais vécu dans une dictature pour affirmer ce genre de niaiserie.

Le problème pressant n’est donc pas seulement de rouvrir les restaurants et les stades pour amadouer la population, mais de réussir à lui faire changer de perspectives. Comment continuer à vivre en pesant moins sur l’environnement ? Par exemple en renonçant à l’avion, en ramenant son usage à une exception. Et donc en ne déversant pas de l’argent public dans ce secteur pour tenter de prolonger son agonie. En n’acceptant pas que la publicité relance l’excès de son usage. Pratiquement, cela signifie mettre en conserve les appareils existants en attendant d’estimer si on peut les convertir à l’hydrogène ; aider le personnel navigant à trouver une autre qualification.

Autre piste. Revenir à l’approvisionnement local, à produire l’essentiel de la nourriture sur le territoire, à la distribuer dans des commerces de proximité accessibles à pied. Même objectif pour les médicaments et l’électricité. Implanter des éoliennes et des panneaux photovoltaïques, isoler les bâtiments. Apprendre aux enfants des écoles l’informatique et l’évolution. Concevoir toute chose pour survivre le mieux possible si l’importation devenait impossible. Adapter les institutions pour les rendre plus agiles en cas de catastrophe.

Personne ne sait ce qui va se passer, sauf si nous décidions de cesser de réagir, et de commencer à agir.

 

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